La Compagnie de Publication de la Revue Canadienne (p. 89-90).

XVIII


En effet, Élisabeth se trouva à Baltimore dans une sorte de paradis.


«  C’est presque à faire tourner mon pauvre esprit, écrivait-elle à Cécilia Seton. Des messes depuis l’aube du jour jusqu’à huit heures. Mon appartement si charmant, si commode : il touche presque à la chapelle. Les vêpres et la bénédiction, tous les soirs. Tous les cœurs nous font des caresses. Dans les yeux de chacun, des regards de bienveillance et de paix. »


Comme l’avait prévu M. du Bourg, l’établissement de Mme Seton prospéra. Mais, non contente de se dévouer aux jeunes filles riches qu’on lui confiait, Élisabeth rêvait d’ouvrir ses bras aux enfants pauvres et à tous les malheureux.

Un matin, après avoir communié dans la chapelle du séminaire de Sainte-Marie, elle exposait à Notre-Seigneur ce besoin de son cœur, quand un nouveau converti, M. Cooper, vint s’agenouiller près d’elle.

«  Ah ! très doux Sauveur, dit-elle, comme involontairement, quelles grâces j’obtiendrais de votre bonté, si vous vouliez seulement me confier le soin des pauvres petits enfants. Voilà M. Cooper qui est là en prière. Il a de l’argent : si vous vouliez lui inspirer d’en donner un peu, pour qu’on puisse apprendre à ces pauvres petits à vous connaître et à vous aimer. »

Ce sera, disait un grand religieux, l’une des joies du ciel d’apprendre le secret du pouvoir de la prière.

Mme Seton n’attendit pas jusque-là.

Le même jour, rencontrant M. du Bourg, elle se mit à lui parler de son dessein de recueillir les enfants abandonnés ; et continuant sur ce sujet, elle finit par lui faire part de ce qu’elle appelait ses rêveries du matin.

M. du Bourg l’écouta avec une attention profonde, et, joignant les mains, lui dit tout ému :

« C’est une chose étrange que vous n’ayez parlé de ceci à personne, et que ce matin même j’aie reçu la visite de M. Cooper, qui venait me demander par quel moyen il pourrait contribuer à faire élever et instruire les enfants pauvres. Si je connaissais quelqu’un, m’a-t-il dit, qui pût se charger de cette œuvre, j’y consacrerais une somme considérable. » Puis, ajouta M. du Bourg, après m’avoir expliqué ce qu’il était en mesure de faire, il m’a dit : « Croyez-vous que Mme Seton voulût nous seconder dans une telle œuvre ?[1] »

  1. M. Cooper appartenait au meilleur monde. Il avait une vive intelligence, et la passion des voyages l’avait conduit presque aux extrémités du monde connu. Il revenait de l’une de ces courses aventureuses quand il tomba malade à Paris. Protestant de nom, il avait toujours vécu dans la plus profonde indifférence religieuse. Il chercha pourtant la consolation à ses souffrances dans la lecture de l’Écriture. Les récits de l’Évangile le troublèrent profondément et il se prit d’amour pour le Seigneur Jésus. « Que faire ? où aller pour devenir son vrai disciple ? » Ces pensées le torturaient depuis des jours, quand il entendit une voix lui dire : « Je suis près de celui qui me cherche, il ne dépend que de toi de m’avoir pour ami. » M. Cooper examina les diverses communions chrétiennes avec une parfaite droiture et se fit catholique. La parole de Notre-Seigneur au jeune homme l’avait surtout frappé, et la charité ne tarda pas à le dépouiller de tout ce qu’il possédait. Devenu pauvre pour l’amour de Jésus-Christ, il se fit prêtre, et son apostolat fut singulièrement béni.