La Compagnie de Publication de la Revue Canadienne (p. 90-93).

XIX


On décida que Mme  Seton commencerait son œuvre, non à Baltimore, — comme M. du Bourg l’aurait voulu — mais à Emmettsburg, qui en est éloigné d’une cinquantaine de milles. Ce petit village entièrement catholique était encore comme perdu au milieu des bois et des montagnes ; mais, charmé de la beauté du site, M. du Bourg y avait déjà établi son séminaire du Mont Sainte-Marie.

À deux milles du Séminaire encore inachevé, M. Cooper acheta un terrain et y fit construire une maison (a loghouse) pour recevoir les enfants, les vieillards et les infirmes. Pendant que l’on bâtissait, quatre jeunes filles[1] offrirent leur concours à Mme  Seton. Elle accueillit avec une joie inexprimable les aides que Dieu lui envoyait, et Mgr  Carroll voulut bénir lui-même la communauté naissante. Il en confia solennellement la direction à Mme  Seton, à qui il donna le titre de Mère.

La mère Seton, depuis sa conversion au catholicisme, avait toujours désiré se faire religieuse. Mais la responsabilité que Mgr  Carroll mettait sur ses épaules sembla d’abord l’accabler. Le soir de ce jour-là, se trouvant seule avec ses compagnes, elle se prit à pleurer amèrement. Puis, comme pressée du besoin de s’humilier, elle se jeta à genoux et accusa à haute voix toutes les fautes de sa vie. Après quoi, levant les mains et les yeux au ciel, elle s’écria, tout en larmes : « Et c’est moi qui suis chargée de conduire les autres, moi si coupable, si misérable, si ignorante de moi-même ! »

Il avait été décidé que la nouvelle société prendrait pour modèle l’Institut des Filles de la Charité. En attendant qu’on pût se procurer une copie des règles données par Saint Vincent de Paul, la mère Seton et ses compagnes suivirent une règle provisoire ; et, par dévotion à l’auguste gardien de Jésus et de Marie, elles prirent le nom de Sœurs de Saint-Joseph.

Ainsi qu’il arrive presque toujours, l’argent donné pour fonder la communauté avait été employé à l’achat des terres, aux constructions, et les généreuses femmes eurent à endurer ce martyre de détail, qui se compose de tous les jeûnes, de toutes les privations.

« Mais, écrivait plus tard la mère Seton, les sœurs s’appliquaient à la mortification avec une ferveur si grande, qu’on trouvait le café au jus de carottes et la soupe au lait de beurre une nourriture trop délicate. »

Cette âpre pauvreté ne troublait point la mère Seton : elle y voyait au contraire une source de bénédictions.

Le jour de Noël, comme la communauté n’avait pour dîner que des harengs secs, quelques cuillérées de melasse et du pain de seigle : « Oh ! mes sœurs, s’écria-t-elle, heureuse d’avoir part à la pauvreté du Sauveur, aimons-le ! aimons-le ! Demeurons toujours prêtes à faire sa divine volonté. Il est notre Père ! quand nous serons dans l’éternité, nous saurons quel trésor il y avait dans les souffrances. »

Malgré la rude vie qu’on menait à Emmettsburg, beaucoup de postulantes ne tardèrent pas à s’y présenter.

« Que la Providence est admirable dans ses vues, écrivait M. de Cheverus à la fondatrice. Déjà je vois les chœurs nombreux des Vierges qui vous suivront à l’autel. Voici votre congrégation bénie, qui se propage dans toute la région des États-Unis ; elle répand au loin le parfum de Jésus-Christ. »

Il y a toujours par le monde des âmes capables de tous les héroïsmes, pourvu qu’elles trouvent un guide. M. de Cheverus le savait et Élisabeth en fit la douce et fortifiante expérience. Elle écrivait : » La perspective qui s’ouvre devant nous est vraiment céleste. Qui pourrait dire ce que j’apprends chaque jour de la piété de ces chères âmes qui ont mis toute leur joie dans la croix ? »

En attendant que leur couvent fût prêt à les recevoir, les Sœurs de Saint-Joseph habitaient, tout auprès, une petite maison de fermier. Elles y étaient terriblement à l’étroit. Cependant, en dépit des gênes et des souffrances de toute nature, les cœurs débordaient de joie. Parmi ces dames accoutumées au confortable et même à toutes les recherches de l’élégance et, du luxe, c’était à qui semblerait le moins s’apercevoir de tout ce qui manquait.

Mais Mgr  Carroll déclarait ne pouvoir penser de sang-froid à leur situation, et se demandait avec angoisse si elles en sortiraient la vie sauve.

  1. La première, Mlle  Cécilia O’Conway, était de Philadelphie. Résolue de se faire religieuse, elle se préparait à passer en Europe, quand le P. Babad, prêtre français réfugié aux États-Unis, lui parla de Mme  Seton et de l’œuvre qu’elle allait entreprendre. Mlle  O’Conway fut si touchée qu’elle abandonna son dessein et s’offrit à Mme  Seton pour partager ses travaux. Elle rendit de grands services à la communauté naissante. Après avoir lu la vie de la Mère de l’Incarnation, elle vint à Québec se faire Ursuline.