La Compagnie de Publication de la Revue Canadienne (p. 83-87).


XVI


Harriet et Cécilia Seton, les deux plus jeunes belles-sœurs d’Élisabeth, n’avaient cessé ni de l’admirer, ni de l’aimer. La voir traitée comme une paria leur était un amer chagrin ; et Cécilia, étant tombée malade, supplia sa famille de la faire venir.

Son état était grave ; on n’osa la refuser et l’on envoya chercher Madame Seton. Elle vint et continua de visiter la malade. Or, un jour qu’on les avait laissées seules, Cécilia lui confia que, touchée de son exemple, elle était résolue de se faire catholique.

Cachant sa joie au fond de son cœur, Madame Seton lui conseilla de bien prier, et de ne rien dire ni rien faire sans mûre réflexion.

Mais la réflexion et la prière confirmèrent Cécilia dans son dessein. Aussitôt rétablie, elle s’empressa de se faire instruire et déclara intrépidement sa résolution. On l’accabla de reproches, on s’emporta contre Élisabeth, l’accusant, d’avoir perverti son esprit.

James Seton (frère puîné de William) reconnu comme le chef de la famille, était un homme d’une grande valeur. Cependant, emporté par son fanatisme, il ne craignit pas de séquestrer rigoureusement sa jeune sœur, la menaçant, si elle persistait, de l’expédier aux Indes occidentales et de faire expulser Élisabeth de New-York par la législature.

Cécilia n’avait pas encore quinze ans. Jusque-là elle avait été idolâtrée de sa famille.

Elle n’en fut pas moins inébranlable, et, au mois de juin 1806, elle abjura le protestantisme.

En rentrant, elle le déclara franchement. Les Seton se réunirent ; il y eut un conseil de famille, et Cécilia fut chassée de la maison. Ainsi jetée sur le pavé, la frêle enfant alla frapper à l’humble porte d’Élisabeth.

Elle fut accueillie à bras ouverts : mais sa conversion fit un bruit terrible. On en tint Madame Seton responsable ; et ses parents — si bons, si aimables, quand les préjugés religieux n’étaient pas en cause — s’unirent à ses anciens pasteurs pour la réduire à la mendicité. Ils forcèrent M. Harris de renvoyer cette hypocrite, cette sirène, peste de la société.

Heureusement que les cruelles lois de l’État de New-York contre les catholiques avaient été abolies cette année même (1806), car on ne sait où le fanatisme se serait arrêté.

«  La populace s’est rassemblée pour jeter à bas notre église et, y mettre le feu, écrivait Mme Seton à Antonio Filicchi. On l’a dispersée ; mais un constable a été tué et d’autres ont été blessés. Il était grand temps qu’on intervînt ! la croix avait été arrachée. Le maire a fait une proclamation pour arrêter le mal. Nos messieurs, près de l’église, ont eu un triste moment. »

En faisant perdre à Madame Seton son emploi, on avait espéré réduire les converties à la misère aiguë. Mais Antonio Filicchi, qui se trouvait alors à Londres, vint promptement et, noblement au secours de la veuve de son ami.

« Si ceux qui sont dans les pleurs méritent d’être appelés bienheureux, vous, ma bien-aimée sœur, vous êtes en effet bien heureuse. Courage et persévérance ! Vous le savez, la couronne de glorieuse immortalité attend ceux-là seulement qui auront persévéré jusqu’à la fin. Laissez votre nouvelle sainte Cécilia venir prendre rang dans votre famille bienheureuse, sans vous arrêter au vain mépris de qui que ce soit, et priez pour vos persécuteurs. Votre modération, votre charité, votre courage, votre piété, les feront rougir à la fin. Dieu est votre protecteur. Ne le serai-je pas aussi, moi, votre ami ? Qui donc pourriez-vous craindre ? Mon bon ange gardien m’a suggéré d’adresser à mes amis Murray la lettre que je joins à celle-ci, et que je laisse ouverte afin que vous la lisiez, et qu’elle serve à réconforter votre cœur. »


ANTONIO FILICCHI À MM. MURRAY.
« À MM. Murray & Fils, à New-York.

« La religion chrétienne, fondée sur la charité, est si peu comprise par quelques-uns de ceux qui vivent dans votre voisinage, qu’ils s’attribuent le droit de remplacer par l’injure et par la persécution la consolation et le secours qu’on doit à la vertu dans le malheur. En disant ceci, j’ai en vue ma vertueuse et infortunée amie, Mme W.-M. Seton. C’est elle qui est la persécutée. Les persécuteurs sont ses proches, ses prétendus amis ; et c’est la religion qui, par une déplorable inconséquence de leur esprit, sert de prétexte au mal qu’ils font. Je professe, et j’en rends grâces à Dieu, des principes qui sont meilleurs. En sus des ordres que je vous ai laissés lors de mon départ d’Amérique, je vous requiers de fournir à Mme Seton n’importe quelle somme elle réclamera de vous, et en quelque temps que ce soit, pour ses besoins et ceux de sa famille. Peut-être se résoudra-t-elle à venir chercher la tranquillité ou la retraite chez nous autres, pauvres insensés catholiques romains. En ce cas, je vous prierai, mes dignes amis, de lui prêter l’assistance nécessaire, pour laquelle mes dus remerciements et ma pleine responsabilité vous sont offerts à l’avance, avec le plus grand empressement par moi, votre obéissant serviteur et ami.

ANTONIO FILICCHI.

De son côté, l’évêque de Baltimore écrivait à Élisabeth :

« Encore que vous soyez persécutée pour avoir obéi à ce que votre conscience vous dictait, et qu’il vous soit interdit de vous entretenir librement avec les personnes qui vous sont unies par les liens les plus étroits et les plus chers, votre exemple, cependant, votre patience, et, je puis le dire, votre joie à souffrir, produiront certainement, et ont déjà commencé de produire leur effet sur la conscience de tous ceux qui mettent à un plus haut prix le salut éternel que les intérêts terrestres. À l’égard de votre persévérance, je ne me sens aucune appréhension ; mais ma sollicitude est grande pour ceux qui, s’étant exclus volontairement, de l’enseignement que votre exemple leur donnerait si bien, se privent du pain de vie. En pensant à eux, toutefois, je me confie en la paternelle bonté de Dieu, auquel il est si facile d’écarter les obstacles et les ténèbres que l’erreur répand sur le chemin de ceux qu’il a élus.

« Tout ce que j’apprends et entends de vous accroît mon intérêt, mon respect et mon admiration. Mais gardez-vous de vous attribuer aucun mérite pour tout ce que vous avez fait. Ce qui est digne d’être loué en vous, dans l’ordre de la nature ou de la grâce, est un don de Dieu et lui appartient. Il serait au-dessous de la dignité d’une âme chrétienne, qui a médité souvent sur le désordre de l’orgueil, de s’attribuer une gloire qui n’appartient qu’à Dieu seul. »

« Je ne finirai pas sans vous dire que vous devrez compter sur moi en toute circonstance où il serait en mon pouvoir de m’employer pour vous ; et sans vous assurer que si vous aviez le moindre besoin de mes encouragements, ils ne vous feraient pas défaut pour vous aider à persévérer dans la constance que vous avez montrée au milieu de vos épreuves. »