Électre (Crébillon)/Acte II
Oui, mon cher Antënor, c’eſt Tydée, oui, lui-même ;
Tu ne te trompes point.
Parmi des ennemis défiants, furieux !
Au plaiſir de vous voir, ciel ! Quel trouble ſuccède !
Dans le palais d’Argos le fils de Palamède,
D’une pompeuſe cour attirant les regards,
Et de vœux & d’honneurs comblé de toutes parts !
Je ſais juſques où va la valeur de Tydée ;
D’un heureux ſort toujours qu’elle fut ſecondée :
Mais ce n’eſt pas ici qu’on doit la couronner.
À la cour d’un tyran…
Ceſſe de t’étonner.
Le vainqueur des deux rois de Corinthe & d’Athènes,
Le guerrier défenſeur d’Égiſthe & de Mycènes,
N’eſt autre que Tydée.
Et quel eſt votre eſpoir ?
Dans ce fatal ſéjour dis-moi ce qui t’amène.
Que dit-on à Samos ? Que fait l’heureux Thyrrhène ?
Ce grand roi, qui chérit Oreſte avec tranſport,
Depuis plus de ſix mois incertain de ſon ſort,
Alarmé chaque jour & du ſien & du vôtre,
M’envoie en ces climats vous chercher l’un & l’autre.
Mais puiſque je vous vois, tous mes vœux ſont comblés.
Le fils d’Agamemnon… Seigneur, vous vous troublez !
Malgré tous les honneurs qu’ici l’on vous adreſſe,
Vos yeux ſemblent voilés d’une ſombre triſtesse.
De tout ce que je vois mon eſprit éperdu…
Anténor, c’en eſt fait ! Tydée a tout perdu.
Seigneur, éclairciſſez ce terrible myſtère.
Oreſte eſt mort…
Grands dieux !
Et je n’ai plus de père.
Et qui vous l’a ravi ? Par quel malheur affreux…
Tu ſais ce qu’en ces lieux nous venions entreprendre :
Tu ſais que Palamède, avant que de s’y rendre,
Ne voulut point tenter ſon retour dans Argos,
Qu’il n’eût interrogé l’oracle de Delos.
À de ſi juſtes ſoins on ſouscrivit ſans peine :
Nous partîmes, comblés des bienfaits de Thyrrhène.
Tout nous favoriſait ; nous voguâmes longtemps,
Au gré de nos déſirs bien plus qu’au gré des vents :
Mais, ſignalant bientôt toute ſon inconſtance,
La mer en un moment ſe mutine & s’élance ;
L’air mugit, le jour fuit, une épaiſſe vapeur
Couvre d’un voile affreux les vagues en fureur ;
La foudre, éclairant ſeule une nuit ſi profonde,
À ſillons redoublés ouvre le ciel & l’onde,
Et, comme un tourbillon embraſſant nos vaiſſeaux,
Semble en ſource de feu bouillonner ſur les eaux.
Les vagues, quelquefois nous portant ſur leurs cimes,
Nous fout rouler après ſous de vaſtes abîmes,
Où les éclairs preſſés pénétrant avec nous
Dans des gouffres de feux ſemblaient nous plonger tous
Le pilote effrayé, que la flamme environne,
Aux rochers qu’il fuyait lui-même s’abandonne.
À travers les écueils notre vaiſſeau pouſſé
Se briſe, & nage enfin ſur les eaux diſpersé.
Dieux ! Que ne fis-je point, dans ce moment funeſte,
Pour ſauver Palamède & pour ſauver Oreſte ?.
Vains efforts ! La lueur qui partoit des éclairs
Ne m’offrit que des flots de nos débris couverts ;
Tout périt.
Pûtes-vous au péril vous derober vous-même ?
Tout offrait à mes yeux l’inévitable mort :
Mais j’y courais en vain ; la rigueur de mon ſort
A de plus grands malheurs me réſervoit encore,
Et me jeta mourant vers les murs d’Épidaure.
Itys me ſecourut ; & de mes triſtes jours,
Malgré mon déſespoir, il prolongea le cours.
Juge de ma douleur, quand je ſus que ma vie
Était le prix des ſoins d’une main ennemie !
Des périls de la mer Tydée enfin remis,
Une nuit, allait fuir loin de ſes ennemis,
Lorſque, la même nuit, d’un vainqueur en furie
Epidaure éprouva toute la barbarie.
Figure-toi les cris, le tumulte & l’horreur.
Dons ce trouble, ſoudain je m’arme avec fureur,
Incertain du parti que mon bras devait prendre,
S’il faut preſſer Égiſthe, ou s’il faut le défendre.
L’ennemi cependant occupait les remparts,
Et ſur nous à grands cris fondait de toutes parts.
Le ſort m’offrit alors l’aimable Iphianaſſe,
Et ma haine bientôt a d’autres ſoins fit place.
Ses pleurs, ſon déſespoir, Itys près de périr,
Quels objets pour un cœur facile à s’attendrir !
Oreſte ne vit plus : mais, pour la sœur d’Oreſte,
Il faut de ſes états conſerver ce qui reſte,
Me diſais-je à moi-même, et, loin de l’accabler,
Secourir le tyran qu’on devait immoler :
Je chaſſerai plutôt Égiſthe de Mycènes,
Que d’en chaſſer les rois de Corinthe & d’Athènes.
Par ce motif ſecret mon cœur determiné,
Ou par des pleurs touchants bien plutôt entraîne,
Du ſoldat qui fuyait ranimant le courage,
À combattre du moins mon exemple l’engage ;
Et le vainqueur preſſé, pâliſſant a ſon tour,
Vers ſon camp à grands pas médite ſon retour.
Que ne peut la valeur où le cœur intéreſſe !
J’en fis trop, Anténor ; je revis la princeſſe.
C’eſt t’en apprendre aſſez ; le reſte t’eſt connu.
D’un péril ſi preſſant Égiſthe revenu
Me comble de bienfaits, me charge de pourſuivre
Deux rois épouvantés, dont mon bras le délivre.
Je porte la terreur chez des peuples heureux,
Et la paix va ſe faire aux dépens de mes vœux.
Ah ! ſeigneur, fallait-il, à l’amour trop ſensible,
Armer pour un tyran votre bras invincible ?
Et que prétendez-vous d’un ſuccès ſi honteux ?
Anténor, que veux-tu ? Prends pitié de mes feux,
Plains mon ſort : non, jamais on ne fut plus à plaindre.
Il eſt enror pour moi des maux bien plus à craindre.
Mais apprends des malheurs qui te feront frémir,
Des malheurs dont Tydée à jamais doit gémir.
Entraîné, malgré moi, dans ce palais funeſte
Par un déſir ſecret de voir la sœur d’Oreſte,
Hier, avant la nuit, j’arrive dans ces lieux.
La ſuperbe Mycène offre un temple à mes yeux :
Je cours y conſulter le dieu qu’on y révère,
Sur mon ſort, ſur celui d’Oreſte & de mon père.
Mais à peine aux autels je me fus proſterné,
Qu’à mon abord fatal tout parut conſterné :
Le temple retentit d’un funèbre murmure ;
( Je ne ſuis cependant meurtrier ni parjure.)
J’embrAſſe les autels, rempli d’un ſaint reſpect ;
Le prêtre épouvanté recule à mon aſpect,
Et, ſourd à mes ſouhaits, refuſe de répondre :
Sous ſes pieds & les miens tout ſemble ſe confondre.
L’autel tremble ; le dieu ſe voile à nos regards,
Et de pâles éclairs s’arme de toutes parts :
L’antre ne nous répond qu’à grands coups de tonnerre,
Que le ciel en courroux fait gronder ſous la terre.
Je l’avoue, Anténor ; je ſentis la frayeur,
Pour la première fois, s’emparer de mon cœur.
À tant d’horreurs enfin ſuccède un long ſilence.
Du dieu qui ſe voilait j’implore l’aſſistance :.
« Écoute-moi, grand dieu ; ſois ſensible à mes cris :
D’un ami malheureux, d’un plus malheureux fils,
Dieu puiſſant, m’écriai-je, exauce la prière ;
Daigne ſur ce qu’il craint lui prêter ta lumière. »
Alors, parmi les pleurs & parmi les ſanglots,
Une lugubre voix fît entendre ces mots :
« Ceſſe de me preſſer ſur le deſtin d’Oreſte ;
Pour en être éclairci tu m’implores en vain :
Jamais deſtin ne fut plus triſte & plus funeſte.
Redoute pour toi-même un ſemblable deſtin.
Apaiſe cependant les mânes de ton père :
Ton bras ſeul doit venger ce héros malheureux
D’une main qui lui fut bien fatale & bien chère ;
Mais crains, en la vengeant, le ſort le plus affreux. »
Une main qui lui fut bien fatale & bien chère !
Ma mère ne vit plus, & je n’ai point de frère.
Juſte ciel ! Et ſur qui doit tomber mon courroux ?
De ces lieux cependant fuyons, arrachons-nous.
Allons trouver le roi… Mais je vois la princeſſe.
Ah ! fuyons ; mes malheurs, mon devoir, tout m’en preſſe :
Partons, dérobons-nous la douceur d’un adieu.
En ce moment, Seigneur, mon père devait être.
Je croyais…
En effet, il y devait paraître.
Madame, même ſoin nous conduiſait ici ;
Vous y cherchez le roi, je l’y cherchois auſſi.
Pénétré des bienfaits qu’Égiſthe me diſpense,
Je venais, plein de zèle & de reconnaiſſance,
Rendre gräce à la main qui les répand ſur moi,
Et, dans le même temps, prendre congé du roi.
Ce départ aura lieu, Seigneur, de le ſurprendre :
Moi-même en ce moment j’ai peine à le comprendre.
Et pourquoi de ces lieux vous bannir aujourd’hui,
Et dépouiller l’État de ſon plus ferme appui ?
Vous le ſavez, la paix n’eſt pas encor jurée :
La victoire, ſans vous, ſerait-elle aſſurée ?
Le roi peut-il encor craindre des ennemis ?
Que ne vaincrez-vous point ? Quelle haine obſtinée
Tiendrait contre l’eſpoir d’un illuſtre hyménée ?
Du bonheur qui l’attend Téléphonte charmé,
Sur cet eſpoir flatteur, a déjà déſarmé ;
Et, ſi j’en crois la cour, cette grande journée
Doit voir Iphianaſſe à ſon lit deſtinée.
Non, le roi de Corinthe en eſt en vain épris,
Si la tête d’Oreſte en doit être le prix.
Madame, & de ces lieux ma fuite eſt réſolue :
Vous n’avez plus beſoin du ſecours de mon bras.
Ah ! Quel indigne prix met-on à vos appas !
Juſte ciel ! Se peut-il qu’une loi ſi cruelle
Faſſe de vous le prix d’une main criminelle ?
Ainſi, dans ſa fureur, le plus vil aſſassin.
Pourra donc à ſon gré prétendre a votre main,
Lorſqu’avec tout l’amour qu’un doux eſpoir anime
Un héros ne pourrait l’obtenir ſans un crime ?
Ah ! Si, pour ſe flatter de plaire à vos beaux yeux,
II ſuffisait d’un bras toujours victorieux,
Peut-être à ce bonheur aurais-je pu prétendre.
Avec quelque valeur, & le cœur le plus tendre,
Quels efforts, quels travaux, quels illuſtres projets
N’eût point tentés ce cœur charmé de vos attraits ?
Seigneur !
Je n’ai pu vous revoir & garder le ſilence ;
Mais je vais m’en punir par un exil affreux,
Et cacher loin de vous un amant malheureux,
En dit-moins qu’il ne ſent, mais plus qu’il n’en doit dire.
J’ignore quel deſſein vous a fait révéler
Un amour que l’eſpoir ſemble avoir fait parler.
Mais, ſeigneur, je ne puis recevoir ſans colère
Ce téméraire aveu que vous oſez me faire.
Songez qu’on n’oſe ici ſe déclarer pour moi,
Sans la tête d’Oreſte, ou le titre de roi ;
Qu’un amant comme vous, quelque feu qui l’inſpire,
Doit ſoupirer du moins ſans oſer me le dire.
Moi parler, pour me voir accabler de mépris !
Les ai-je mérites, cruelle Iphianaſſe ?
Mais quel était l’eſpoir de ma coupable audace ?
Que venois-je chercher dans ce cruel ſéjour ?
Moi, dans la cour d’Argos entraîné par l’amour !
Rappelons ma fureur. Oreſte, Palamède…
Ah ! Contre tant d’amour inutile remède !
Que ſervent ces grands noms, dans l’état où je ſuis,
Qu’à me couvrir de honte & m’accabler d’ennuis ?
Ah ! fuyons, Anténor ; et, loin d’une cruelle,
Courons où mon devoir, où l’oracle m’appelle :
Se laiſſons point jouir de tout mon déſespoir
Des yeux indifférents que je ne dois plus voir.
Le roi vient ; dans mon trouble il faut que je l’évite.
Ainſi que le héros brille par ſes exploits,
La grandeur des bienfaits doit ſignaler les rois.
Tout parle du guerrier qui prit notre défenſe :
Mais rien ne parle encor de ma reconnaiſſance.
Il eſt temps cependant que mes heureux ſujets,
Témoins de ſa valeur, le ſoient de mes bienfaits.
Que pourriez-vous penſer, & que dirait la Grèce ?
Mais quoi ! Vous ſoupirez ! Quelle douleur vous preſſe ?
Malgré tous vos efforts elle éclate, Seigneur ;
Un déplaiſir ſecret trouble votre grand cœur :
Même ici mon abord a paru vous ſurprendre.
Avez-vous des ſecrets que je ne puiſſe apprendre ?
De tels ſecrets, Seigneur, ſont peu dignes de vous ;
Je crains peu qu’un grand roi puiſſe en être jaloux ;
Permettez cependant qu’à mon devoir fidèle
Je retourne en des lieux où ce devoir m’appelle.
J’ai fait peu pour Égiſthe, & de quelque ſuccès
Sa bonté chaque jour s’acquitte avec excès.
S’il eſt vrai que mon bras eut part à la victoire,
II ſuffit à mon cœur d’en partager la gloire.
Ne m’arrêtez donc plus ſur l’eſpoir des bienfaits :
Les vôtres n’ont-ils pas ſurpassé mes ſouhaits ?
J’en ſuis comblé, Seigneur ; mon âme eſt ſatisfaite ;
Je ne demande plus qu’une libre retraite.
Argos perdrait en vous ſon plus ferme rempart.
Des héros tels que vous, ſitôt qu’on les poſſède,
Sont, pour les plus grands rois, d’un prix à qui tout cède.
Heureux ſi je pouvais, par les plus forts liens,
Attacher pour jamais vos intérêts aux miens !
Je vous dois le ſalut de toute ma famille,
Et ne veux point ſans vous diſposer de ma fille.
Ciel ! Où tend ce diſcours ?
Qu’avec la paix un roi me demande ſa main :
Quelque éclataut que ſoit un pareil hyménée,
Au ſort d’un autre époux ma fille eſt deſtinée ;
Sûr de vaincre avec vous, je crains peu déſormais
Tout le péril que ſuit le refus de la paix.
Il ne tient plus qu’à vous d’affermir ma puiſſance.
J’ai beſoin d’une main qui ſerve ma vengeance,
Et qui faſſe tomber dans l’éternelle nuit
L’ennemi déclaré que ma haine pourſuit,
Qui me pourſuit moi-même, & que mon cœur déteſte.
Point d’hymen, quel qu’il ſoit, ſans la tête d’Oreſte :
Ma fille eſt à ce prix ; & cet effort ſi grand,
Ce n’eſt que de vous ſeul que ma haine l’attend.
De moi, ſeigneur ? De moi ? Juſte ciel !
Calmez de ce tranſport la violence extrême.
Quelle horreur vous inſpire un ſi juſte deſſein ?
Je demande un vengeur, & non un aſſassin.
Lorſque, pour détourner ma mort qu’il a jurée,
J’exige tout le ſang du petit-fils d’Atrée,
Je n’ai point prétendu, Seigneur, que votre bras
Le fît couler ailleurs qu’au milieu des combats.
Oreſte voit partout voler ſa renommée ;
La Grèce en eſt remplie, & l’Aſie alarmée ;
Ses exploits ſeuls devraient vous en rendre jaloux ;
C’eſt le ſeul ennemi qui ſoit digne de vous.
Courez donc l’immoler ; c’eſt la ſeule victoire,
Parmi tant de lauriers, qui manque à votre gloire.
Dites un mot, Seigneur ; ſoldats & matelots
Seront prêts avec vous a traverſer les flots.
Si ma fille eſt un bien qui vous paraiſſe digne
De porter votre cœur à cet effort inſigne,
Pour vous aſſocier à ce rang glorieux
Je ne conſulte point quels furent vos aïeux.
Lorſqu’on a les vertus que vous faites paraître,
On eſt du ſang des dieux, ou digne au moins d’en être.
Quoi qu’il en ſoit, ſeigneur, pour ſervir mon courroux
Je ne veux qu’un héros, & je le trouve en vous.
Me ſerais je flatté d’une vaine eſpérance,
Quand j’ai fondé ſur vous l’eſpoir de ma vengeance ?
Vous ne répondez point ! Ah ! Qu’eſt-ce que je vois ?
La juſte horreur du coup qu’on exige de moi.
Mais il faut aujourd’hui, par plus de confiance,
Payer de votre cœur l’affreuſe confidence.
Votre fille, Seigneur, eſt d’un prix à mes yeux
Au deſſus des mortels, digne même des dieux.
Je vous dirai bien plus : j’adore Iphianaſſe ;
Tout mon reſpect n’a pu ſurmonter mon audace ;
Je l’aime avec tranſport ; mon trop ſensible cœur
Peut à peine ſuffire à cette vive ardeur :
Mais quand avec l’eſpoir d’obtenir ce que j’aime,
L’univers m’offrirait la puiſſance ſuprême.
Contre votre ennemi bien loin d’armer mon bras,
Je ne ſais point quel ſang je ne répandrois pas.
Revenez d’une erreur à tous les deux funeſte.
Qui ? Moi, grands dieux ! Qui ? Moi, vous immoler Oreſte !
Ah ! quaud vous le croyez ſeul digne de mes coups,
Savez-vous qui je ſuis ? Et me connaiſſez-vous ?
Quand même ma vertu n’aurait pu l’en défendre,
N’eût-il pas eu pour lui l’amitié la plus tendre ?
Ah ! Plût aux dieux cruels, jaloux de ce héros,
Aux dépens de mes jours l’avoir ſauvé des flots !
Mais, hélas ! C’en eſt fait ; Oreſte & Palamède…
Ils ſont morts ? Quelle joie à mes craintes ſuccède !
Grands dieux, qui me rendez le plus heureux des rois,
Qui pourra m’acquitter de ce que je vous dois ?
Mon ennemi n’eſt plus ! Ce que je viens d’entendre
Eſt-il bien vrai, Seigneur ? Daignez au moins m’apprendre
Comment le juſte ciel a terminé ſon ſort,
En quels lieux, quels temoins vous avez de ſa mort.
Mes pleurs. Mais, au tranſport dont votre âme eſt épriſe,
Je me repens déjà de vous l’avoir appriſe.
Vous voulez de ſon ſort en vain vous éclaircir ;
II me fait trop d’horreur, à vous trop de plaiſir ;
Je ne reſſens que trop ſa perte déplorable,
Sans m’impoſer encore un récit qui m’accable.
Je ne vous preſſe plus, Seigneur, ſur ce récit.
Oreſte ne vit plus ; ſon trépas me ſuffit :
Votre pitié pour lui n’a rien dont je m’offenſe ;
Et quand le ciel ſans vous a rempli ma vengeance,
Puiſque c’eſt vous du moins qui me l’avez appris,
Je crois vous en devoir toujours le même prix.
Je vous l’offre, acceptez-le ; aimons-nous l’un & l’autre ;
Vous fîtes mon bonheur, je veux faire le vôtre.
Sur le trône d’Argos déſormais affermi,
Qu’Égiſthe en vous, Seigneur, trouve un gendre, un ami :
Si ſur ce choix votre âme eſt encore incertaine,
Je vous laiſſe y penſer, & je cours chez la reine.
Et moi, de toutes parts de remords combattu,
Je vais ſur mon amour conſulter ma vertu.