Police Journal Enr (3p. 15-19).

CHAPITRE III

LES ÉLÉPHANTS


Rien ne survint cependant jusqu’à l’arrivée à Gaspé.

La voie d’évitement où le Chef de gare avait fait avancer les wagons du Cirque pour faire descendre les bêtes et le matériel, était un peu en dehors de la ville.

Conrad Bastien, toujours flanqué de Guy, surveillait le débarquement, dans un coin, à l’écart de la foule.

Soudain un homme, qui portait un uniforme de police s’approcha du directeur et se nomma :

— Je suis le chef de police de Gaspé. Vous êtes bien monsieur Conrad Bastien, n’est-ce pas ?

L’autre le regarda et demanda :

— C’est vrai, je suis bien Bastien, mais comment se fait-il que vous me connaissiez : je ne suis jamais venu par ici ?

— Vous ne savez donc pas que votre portrait est affiché partout par ici et a paru dans les journaux locaux qui ont annoncé l’arrivée de votre Cirque ?

— C’est vrai. Je n’y pensais pas. Mais que puis-je faire pour vous, chef ?

— Je suis venu vous chercher en auto pour vous amener à mon bureau au sujet des formalités à remplir relativement aux exhibitions que vous allez donner ici.

— Je pensais que tout était arrangé au préalable ?

— Nous avons bien vu votre délégué, en effet, mais il faudrait que vous veniez vous-même pour compléter. Cela ne prendra pas de temps d’ailleurs et je vous ramènerai bientôt à vos occupations.

Ils marchèrent alors dans la direction d’une automobile stationnée tout près.

Sur le siège avant, à côté de la place du chauffeur, il y avait un autre policier en uniforme, qui paraissait attendre.

Le Chef présenta son assistant, Frank Maroon et invita Conrad Bastien à monter sur le siège arrière.

C’est alors que Guy intervint :

— J’accompagne monsieur Bastien, dit-il.

— Mais en quel honneur ? demanda le Chef.

Guy montra alors sa carte et expliqua qu’il venait d’être appointé gardien spécial pour son patron, sans spécifier cependant les raisons exactes qui avaient motivé son entrée en fonction.

Le Chef ne dit rien naturellement et pria Guy de monter aux côtés de son patron.

L’auto partit bientôt.

De temps en temps Maroon se tournait en arrière et conversait avec les passagers, tandis que le Chef conduisait.

Maroon avait sur les genoux un imperméable enroulé.

Il questionnait Guy sur ses fonctions, sans paraître trop curieux cependant et celui-ci heureux d’être considéré comme un policier prenait plaisir au jeu.

S’il avait fallu qu’on sache qui il était en réalité…

Lui que la police de toute la province cherchait en ce moment, il venait d’être appointé policier.

Il fut question de choses et d’autres, puis vint la question des armes.

— Vous portez un .45, n’est-ce pas, monsieur Claveau ? demanda Maroon.

— Oui. Vous autres ce sont généralement des .38, je pense ?

— Oui. Tenez…

Et en disant cela, il passait son révolver à Guy qui le prit dans ses mains et le regarda pendant quelques instants.

— Le mien est passablement plus gros, déclara Guy en rendant le .38 et en détachant le sien de son étui pour le faire voir à l’autre.

— C’est vrai, s’exclama aussitôt Maroon ! Une balle de cette arme doit faire un joli trou dans la tête d’un type ?

— Je vous crois…

Et Guy avança la main pour reprendre son arme, mais Maroon l’avait échappée sur le plancher de l’auto en avant et se baissait pour la ramasser.

Quand il se releva cependant, il découvrit une petite mitrailleuse, qui avait été tout le temps enveloppée dans le paletot de pluie.

— Rien ne vous sert de faire le moindre mouvement pour appeler, vous deux, dit Maroon. Nous sommes aux limites de la ville et nous dirigeons en rase campagne.

— Mais je ne comprends pas ? demanda Guy hypocritement, tandis que son patron restait calme, malgré la gravité de la situation.

— Je vais vous expliquer, à vous deux. Il y a des gens qui sont beaucoup intéressés à vous, Bastien. Ils m’ont offert $40,000 si je vous livre à eux vivant, $20,000 si je ne peux apporter que votre cadavre. Mais comme vous voyez, cela paye encore.

— Vous travaillez pour le compte de l’Allemagne ?

— Actuellement oui. Mais j’ai déjà travaillé pour les Japonais, les Anglais, enfin tout le monde qui paye bien leurs espions.

— Et qu’allez-vous faire de nous ?

— Je n’étais d’abord intéressé qu’à Bastien, mais depuis que vous le suivez partout, vous avez peut-être appris quelque chose d’utile. Dans ce cas j’obtiendrai quelque chose pour vous. Vous faites donc partie de notre voyage.

— Où allons-nous ainsi ?

— Faire un petit tour sur le bord de l’eau.

— Ne me dites pas qu’il y a un bateau allemand dans les environs ?

— Il y a une embarcation, mais ce n’est pas un bateau.

— Je m’en doute pas mal, un sous-marin, n’est-ce pas ?

— Je n’ai pas besoin de vous le cacher, car c’est là que nous nous dirigeons. Encore une fois, je vous le répète, si vous ne faites aucune tentative pour vous échapper, je serai bien doux avec vous, mais au moindre geste, je tire et vous comprendrez que j’aime mieux $20,000 que rien.

Le type avait l’air tellement convaincu que Guy décida qu’il mettrait sa menace à exécution, si nécessaire.

Il décida donc de rester coi et de chercher froidement un moyen de se tirer de cette situation difficile.

Il en avait déjà rencontré d’autres déjà et cela ne l’émouvait pas trop.

Il pensait cependant à monsieur Bastien et cela le piquait considérablement de passer à ses yeux pour un imbécile

Ne venait-il pas inconsidérablement de remettre son révolver aux bandits qui les enlevaient sans difficultés.

Et dire qu’il s’attendait à quelque chose du genre… ?

Il lui fallait se résoudre cependant et attendre tout en cherchant un moyen de s’échapper.

***

Ce fut alors que le bruit d’une explosion se fit entendre.

Conrad Bastien et Guy regardèrent dans la direction d’où venait le bruit, mais ce fut Maroon qui expliqua encore une fois.

— C’est un de mes associés qui vient de faire sauter une petite bombe inoffensive.

— Mais pourquoi ? demanda Guy.

— Il devait faire cela au moment où les éléphants descendaient du train. Cela va créer une commotion et pendant que tout le monde du cirque sera occupé à ramener les animaux, on ne pensera pas à nous et à notre petit voyage. Pas mal, n’est-ce pas ?

Un autre cependant attira bientôt l’attention.

— Entendez-vous, monsieur Bastien, les éléphants ont pris peur et courent maintenant tous ensemble…

— Je crois même qu’ils se dirigent dans notre direction, Claveau. Ils doivent être enragés.

— Mais le pire peut arriver. Ils sont capables de tout détruire sur leur passage.

— Naturellement. Pourvu qu’ils ne tuent personne.

— C’est très dangereux.

Le bruit se rapprochait maintenant et on s’apercevait que les bêtes s’en venaient.

Maroon demanda à son compagnon d’aller plus vite.

Il s’apercevait lui-même du tour que prenait l’aventure et on aurait dit qu’il commençait à craindre quelque chose.

C’était en effet bien vrai.

Au loin, dans la plaine, un nuage de poussière s’élevait vers le ciel.

On ne voyait rien encore, mais ce ne pouvait être autre chose que les éléphants.

La route serpentait, comme toutes les routes dans la Baie des Chaleurs, et on se rapprochait involontairement des bêtes redevenues féroces.

Bientôt elles ne furent plus qu’à quelques verges de l’auto qui ne pouvait aller vite, vu l’état des chemins.

Elles étaient maintenant en avant et on se demandait si elles se lanceraient sur la route.

Il n’était plus temps de retourner et d’un autre côté il n’y aurait pas moyen de passer si elles prenaient la route en avant de l’auto.

Maroon ordonna au chauffeur de redoubler de vitesse, au risque de se casser le cou, et lui-même jeta un œil de côté pour escompter les chances qu’ils avaient de passer en temps.

C’est ce qu’attendait Guy.

La vitre de la portière arrière était ouverte.

Dès qu’il vit que les yeux de Maroon se portaient de l’autre côté, il s’élança à travers sur la route.

La vitesse acquise le fit rouler pendant quelques verges, mais heureusement il n’avait rien de brisé.

D’un autre côté Maroon ne pouvait s’occuper de lui, car il tenait maintenant son arme braquée sur les éléphants, se demandant toujours s’ils pourraient passer.

Conrad Bastien, habitué lui-même au danger, restait impassible.

Guy se releva donc et fit entendre le cri auquel était habitué le vieux Burno, celui qui conduisait tous les autres.

Surpris Burno s’arrêta et regarda Guy.

Allait-il repartir ou obéirait-il ?

En réalité c’était la première fois que Guy avait affaire aux éléphants.

Le dompteur l’avait fait pénétrer dans leurs cages au moment du départ et quand il avait été leur donner leur repas, mais était-ce assez ?

Sans hésiter cependant Guy s’approcha de la grosse bête immobilisée et lui accrochant une oreille, il se hissa sur son cou.

Burno accepta son nouveau maître, ce que voyant les autres attendirent ce que Burno ferait.

Immédiatement Guy donna l’ordre du départ et se mit à la poursuite de l’auto.

La route tremblait sous les pas rapides des bêtes libérées.

L’auto naturellement filait maintenant à trop vive allure pour qu’il soit possible aux bêtes de l’atteindre.

Guy avait un autre plan dans la tête et c’est là-dessus qu’il comptait pour délivrer Conrad Bastien.

Maroon et son acolyte comprirent que la vitesse seule les sauverait.

Aussi prenaient-ils des chances.

Ils arrivèrent ainsi sur le bord de la mer et prirent une petite route, presqu’impratiquable, qui descendait jusqu’à l’eau.

Du haut de son observatoire mobile, Guy aperçut le sous-marin qui venait d’émerger.

Le capot était ouvert et des hommes commençaient à sortir de l’intérieur.