Élégies et poésies nouvelles/Une Jeune Fille et sa Mère
UNE JEUNE FILLE
ET SA MÈRE.
Je cesse d’en parler pour y penser tout bas…
Ce jour donnait des fleurs que je n’avais point vues.
Mille parfums nouveaux sortaient des champs plus verts,
Et pour ces douceurs imprévues,
Les oiseaux plus nombreux inventaient des concerts :
Le soleil répandait comme une autre lumière,
Il embrasait le ciel, il brûlait ma paupière,
Il éclairait ma vie avec d’autres couleurs…
D’où vient que de tes mains s’échappe ton ouvrage ?
Si vous saviez mon mal vous pourriez le guérir :
Forcez-moi de parler, car j’ai peur de mourir.
Car c’est la fête aussi du maternel séjour.
Et Daphnis, au hameau, n’était pas de retour.
De son père, à la ville il conduit les troupeaux :
Il a déja sans doute oublié sa chaumière.
Il arrivait tout seul, j’étais seule à mon tour :
Ma mère, quel bonheur ! Daphnis m’a dit, Bonjour.
Il a bien des vertus, n’est-il pas vrai, ma mère ?
Ce bon vieillard se plaint de n’avoir point de fille.
C’est une fleur, dit-il, qui pare une famille :
Alors, il me regarde et m’embrasse souvent.
Je le savais ! il sait qu’on peut mourir par elle ;
Qu’à chaque instant du jour il faut en soupirer,
Et qu’en chantant surtout on est près de pleurer,
Dans mes ennuis, dit-il, j’ai fait une couronne :
Elle est fanée, hélas ! pourtant je te la donne.
Je l’ai sentie alors descendre sur mes yeux,
Et je n’y voyais plus ; mais sa voix est si tendre !
Et depuis si long-temps je n’avais pu l’entendre !
Et quand on n’y voit plus, ma mère, on entend mieux.
De quitter un vain bruit pour le calme des champs,
Pour nos danses du soir, nos fêtes, nos doux chants,
Pour retrouver ma voix qui manque à son oreille.
Que son père le plaint et le fait revenir :
« Mais, a-t-il dit plus bas, que vais-je devenir ?
« Mon père te connaît, il sait donc que je t’aime ;
« Et moi, je ne sais pas si tu penses de même ? »
Je n’ai pu le lui dire avant de vous parler,
Ma mère, et j’ai senti qu’il fallait m’en aller.
Je ne pouvais courir. Une joie accablante
Me retenait toujours, toujours je m’arrêtais.
Depuis, pour vous parler je reste à la chaumière ;
Daphnis en vain m’attend, je pleure en vain tout bas :
Je ne puis parler la première,
Et vous ne me devinez pas !
Je tremble auprès de lui ; je tremble ici de même :
Nos tourmens ne sont pas finis !
Jamais je n’oserai vous dire que je l’aime…