Élégies et poésies nouvelles/À madame Sophie Gay

À MADAME SOPHIE GAY.

Lyon.

Vous dont la voix absente enhardit mon courage,
Vous, qui m’avez cherchée en mon obscur séjour,
Dont le désir charmant de me faire un beau jour,
A ralenti d’un jour le rapide voyage ;
Sophie, éprouvez-vous ce tendre étonnement
 Qui naît d’une amitié nouvelle ?
Votre cœur, moins distrait, sent-il en ce moment
 Qu’un cœur de plus vous nomme et vous appelle ?
De mes regrets nouveaux sentez-vous la moitié ?
Ceux qui vous oppressaient remplissent ma mémoire :
Hélas ! en m’apprenant qu’il n’est plus d’amitié,

D’où vient que vous m’y faisiez croire ?
C’est que vos doux regards étaient fixés sur moi ;
C’est que l’amitié même y versait tant de flamme,
Qu’en y voyant briller quelques pleurs et votre ame,
En m’effrayant un peu vous rengagiez ma foi.
Qui se croirait heureuse et se dirait aimée,
Si vous ne l’étiez pas ?
Si quelque ame volage et désaccoutumée
Oubliait de chercher son bonheur sur vos pas ?
Soyez lente à le croire ; apprenez de moi-même
Qu’on ne change plus quand on aime.
Ces bords, où vos ennuis cherchaient un ciel plus doux,
Ce fleuve enorgueilli d’avoir porté Delphine,
L’écho qui dit encor sa voix jeune et divine,
Ici, tout me ressemble et tout parle de vous.

Dans le trouble riant d’une fête imprévue,
Où parut un moment m’oublier la douleur,

Comme un bel arbrisseau, fier de sa tendre fleur,
N’est-ce donc pas vous que j’ai vue ?
Quoi ! les ai-je rêvés, ces rapides discours,
Cette ombre plus rapide, et belle comme un songe,
Cette amitié promise ?… Ah ! si c’est un mensonge,
Laissez-le me bercer toujours !

Mais le plaisir s’arrête ;
Vous partez : de la fête
L’éclat s’est effacé.
Sous de longs flots d’ébène
La nuit couvre la plaine,
Où Delphine et sa mère et ma joie ont passé.

Pardonnez, si mon ame à son chant monotone
Retourne en voyant fuir les muses et les fleurs :
Vous partez, et voici l’automne ;
On dirait qu’elle attend des pleurs.

L’été vient d’épuiser sa dernière corbeille :
Pour vous revoir sourire il s’est éteint plus tard ;
Et septembre au ciel gris, avec votre départ,
A vu fuir la dernière abeille.
La feuille commence à jaunir,
Les bois vont perdre leur parure :
Déja pour les amours qu’un regret sait punir,
Leur froide retraite est moins sûre.
Quelquefois, sur moi-même arrêtant ma pitié,
Je frémis : je regarde où s’en va l’espérance ;
Elle est loin ; et de l’amitié
J’ai plus que vous peut-être éprouvé l’inconstance !

Mais vous m’avez parlé : captive à votre voix,
Tout ce que vous disiez, j’aurais voulu l’écrire ;
Et tout ce que de vous à présent je reçois,
Oh ! que ne puis-je encor vous entendre le dire !