Éducation et sociologie/Introduction

Texte établi par Paul Fauconnet, Librairie Félix Alcan (p. 1-33).


INTRODUCTION


L’œuvre pédagogique de Durkheim.


Durkheim a enseigné toute sa vie la pédagogie, en même temps que la sociologie. À la Faculté des lettres de Bordeaux, de 1887 à 1902, il a toujours donné, hebdomadairement, une heure de cours à la pédagogie. Ses auditeurs étaient surtout des membres de l’Enseignement primaire. À la Sorbonne, c’est dans la chaire de Science de l’Éducation qu’en 1902 il suppléa, qu’en 1906 il remplaça M. Ferdinand Buisson. Jusqu’à sa mort, il y a réservé, à la pédagogie, un tiers au moins, et souvent les deux tiers de son enseignement : cours publics, conférences pour les membres de l’Enseignement primaire, cours aux élèves de l’École Normale Supérieure. Cette œuvre pédagogique est presque entièrement inédite. Nul de ses auditeurs, sans doute, ne l’a embrassée dans toute son étendue. Nous voudrions ici la présenter en raccourci.


I


Durkheim n’a pas partagé son temps ni sa pensée entre deux activités distinctes, coordonnées l’une à l’autre d’une manière accidentelle. C’est par le côté où elle est un fait social qu’il aborde l’éducation : sa doctrine de l’éducation est un élément essentiel de sa sociologie. « Sociologue, dit-il, c’est surtout en sociologue que je vous parlerai d’éducation. D’ailleurs, bien loin qu’à procéder ainsi on s’expose à voir et à montrer les choses par un biais qui les déforme, je suis, au contraire, convaincu qu’il n’est pas de méthode plus apte à mettre en évidence leur véritable nature. » L’éducation est chose éminemment sociale.

L’observation le prouve. D’abord, dans chaque société, il y a autant d’éducations spéciales qu’il y a de milieux sociaux différents. Et, même dans des sociétés égalitaires comme les nôtres, qui tendent à éliminer les différences injustes, l’éducation varie et doit nécessairement varier, selon les professions. Sans doute, toutes ces éducations spéciales reposent sur une base commune. Mais cette éducation commune varie d’une société à l’autre. Chaque société se fait un certain idéal de l’homme. C’est cet idéal « qui est le pôle de l’éducation ». Pour chaque société, l’éducation est « le moyen par lequel elle prépare dans le cœur des enfants les conditions essentielles de sa propre existence ». Ainsi, « chaque type de peuple a son éducation qui lui est propre et qui peut servir à le définir au même titre que son organisation morale, politique et religieuse ». L’observation des faits conduit donc à la définition suivante : « L’éducation est l’action exercée par les générations adultes sur celles qui ne sont pas encore mûres pour la vie sociale. Elle a pour objet de susciter et de développer chez l’enfant un certain nombre d’états physiques, intellectuels et moraux que réclament de lui et la société politique dans son ensemble et le milieu spécial auquel il est particulièrement destiné ». Plus brièvement, « l’éducation est une socialisation… de la jeune génération ».

Mais pourquoi en est-il nécessairement ainsi ? C’est « qu’en chacun de nous, peut-on dire, il existe deux êtres qui, pour être inséparables autrement que par abstraction, ne laissent pas d’être distincts. L’un est fait de tous les états mentaux qui ne se rapportent qu’à nous-mêmes et aux événements de notre vie personnelle : c’est ce qu’on pourrait appeler l’être individuel. L’autre est un système d’idées, de sentiments et d’habitudes, qui expriment en nous, non pas notre personnalité, mais le groupe ou les groupes différents dont nous faisons partie ; telles sont les croyances religieuses, les croyances et les pratiques morales, les traditions nationales ou professionnelles, les opinions collectives de toutes sortes. Leur ensemble forme l’être social. Constituer cet être en chacun de nous, telle est la fin de l’éducation. » Sans la civilisation, l’homme ne serait qu’un animal. C’est par la coopération et par la tradition sociales que l’homme s’est fait homme. Moralités, langages, religions, sciences sont des œuvres collectives, des choses sociales. Or, c’est par la moralité que l’homme forme en lui la volonté, qui dépasse le désir ; c’est le langage qui l’élève au-dessus de la pure sensation ; c’est dans les religions d’abord, puis dans les sciences, que s’élaborent les notions cardinales dont est faite l’intelligence proprement humaine. — « Cet être social n’est pas donné tout fait dans la constitution primitive de l’homme… C’est la société elle-même qui, à mesure qu’elle s’est formée et consolidée, a tiré de son propre sein ces grandes forces morales… L’enfant, en entrant dans la vie, y apporte que sa nature d’individu. La société se trouve donc, à chaque génération nouvelle, en présence d’une table presque rase sur laquelle il lui faut construire à nouveaux frais. Il faut que, par les voies les plus rapides, à l’être égoïste et asocial qui vient de naître, elle en surajoute un autre, capable de mener une vie morale et sociale. Voilà quelle est l’œuvre de l’éducation. » L’hérédité transmet les mécanismes instinctifs qui assurent la vie organique et, chez les animaux qui vivent en sociétés, une vie sociale assez simple. Mais elle ne suffit pas à transmettre les aptitudes que suppose la vie sociale de l’homme, aptitudes trop complexes pour pouvoir « se matérialiser sous la forme de prédispositions organiques ». La transmission des attributs spécifiques qui distinguent l’homme se fait par une voie qui est sociale, comme ils sont sociaux : c’est l’éducation.

Pour l’esprit exercé à regarder les choses de ce biais, cette conception sociologique de la nature et du rôle de l’éducation s’impose avec la force de l’évidence. Durkheim l’appelle : un axiome fondamental. Disons plus exactement : une vérité d’expérience. Nous voyons clairement, quand nous pensons en historien, que l’éducation à Sparte, c’est la civilisation lacédémonienne faisant des Spartiates pour la cité lacédémonienne ; — que l’éducation athénienne, au temps de Périclès, c’est la civilisation athénienne faisant des hommes conformes au type idéal de l’homme, tel que le conçoit Athènes à cette époque, pour la cité athénienne et, en même temps, pour l’humanité, telle qu’Athènes se la représente dans ses rapports avec elle. Il nous suffit d’anticiper sur l’avenir pour comprendre comment les historiens interpréteront l’éducation française au xxe siècle : même dans ses tentatives les plus audacieusement idéalistes et humanitaires, elle est un produit de la civilisation française ; elle consiste à la transmettre ; bref, elle cherche à faire des hommes, conformes au type idéal de l’homme qu’implique cette civilisation, à faire des hommes pour la France, et aussi pour l’humanité, telle que la France se la représente dans ses rapports avec elle.

Pourtant, cette vérité d’évidence a été généralement méconnue, surtout au cours des derniers siècles. Philosophes et pédagogues sont d’accord pour voir, dans l’éducation, une chose éminemment individuelle. « Pour Kant, écrit Durkheim, pour Kant comme pour Mill, pour Herbart comme pour Spencer, l’éducation aurait avant tout pour objet de réaliser, en chaque individu, mais en les portant à leur plus haut point de perfection possible, les attributs constitutifs de l’espèce humaine en général. » Mais cet accord n’est pas une présomption de vérité. Car nous savons que la philosophie classique a presque toujours oublié de considérer l’homme réel d’un temps et d’un pays, le seul qui soit observable, pour spéculer sur une nature humaine universelle, produit arbitraire d’une abstraction faite, sans méthode, sur un nombre très restreint d’échantillons humains. On admet généralement aujourd’hui que son caractère abstrait a faussé, dans une large mesure, la spéculation politique du xviiie siècle, par exemple : individualiste à l’excès, trop détachée de l’histoire, elle légifère souvent pour un homme de convention, indépendant de tout milieu social défini. Les progrès qu’ont accompli, au xixe siècle, les sciences politiques, sous l’influence de l’histoire et des philosophies inspirées de l’histoire, progrès vers lequel s’orientent, à la fin du siècle, toutes les sciences morales, la philosophie de l’éducation doit l’accomplir à son tour.

L’éducation est chose sociale : c’est-à-dire qu’elle met en contact l’enfant avec une société déterminée, et non avec la société in genere. Si cette proposition est vraie, elle ne commande pas seulement la réflexion spéculative sur l’éducation, elle doit faire sentir son influence sur l’activité éducative elle-même. En fait, cette influence est incontestable ; en droit, elle est souvent contestée. Examinons quelques-unes des résistances que soulève, quand il l’énonce, la proposition de Durkheim.

On entend d’abord la protestation qu’on peut appeler universaliste ou humaniste. Elle fera grief à la sociologie d’encourager un nationalisme étroit, voire d’immoler les intérêts de l’humanité à ceux de l’État, bien plus même, aux intérêts d’un régime politique. Au cours de la guerre, on a souvent opposé l’éducation germanique à l’éducation latine, celle-là purement nationale et tout au bénéfice de l’État, celle-ci libérale et humaine. Sans doute, a-t-on dit, l’éducation élève l’enfant pour la Patrie, mais aussi pour l’Humanité. Bref, de diverses manières, on établit un antagonisme entre ces termes : éducation sociale, éducation humaine, société et humanité. Or la pensée de Durkheim plane bien au-dessus d’objections de ce genre. Il n’a jamais eu l’intention, comme éducateur, de faire prévaloir les fins nationales sur les fins humaines. Dire que l’éducation est chose sociale, ce n’est pas formuler un programme d’éducation ; c’est constater un fait. Durkheim tient ce fait pour vrai, partout, quelle que soit la tendance qui prévaut, ici ou là. Le cosmopolitisme n’est pas moins social que le nationalisme. Il y a des civilisations qui poussent l’éducateur à mettre sa Patrie au-dessus de tout, d’autres qui le poussent à subordonner les fins nationales aux fins humaines, ou mieux, à les harmoniser. L’idéal universaliste est lié à une civilisation synthétique qui tend à combiner toutes les autres D’ailleurs, dans le monde contemporain, chaque nation a son cosmopolitisme, son humanisme propre, où se reconnaît son génie. Quelle est, en fait, pour nous, Français du xxe siècle, la valeur relative des devoirs envers l’Humanité et des devoirs envers la Patrie ; comment peuvent-ils entrer en conflit ; comment peut-on les concilier ? Nobles et difficiles questions, que le sociologue ne résout pas, au profit du nationalisme, en définissant, comme il le fait, l’éducation. Quand il abordera ces problèmes, il aura les mains libres. Reconnaître le caractère social qui appartient réellement à l’éducation, ne préjuge rien de la manière dont on analysera les forces morales, qui sollicitent l’éducateur dans des directions diverses ou opposées.

La même réponse vaudra contre les objections individualistes. Durkheim définit l’éducation une socialisation de l’enfant. Mais alors, pensent quelques-uns, que deviennent la valeur de la personne humaine, l’initiative, la responsabilité, le perfectionnement propres de l’individu. On est si accoutumé à opposer la société à l’individu, que toute doctrine, qui fait du mot société un usage fréquent, semble sacrifier l’individu. Ici encore, on se méprend. Si un homme a été un individu, une personne, dans tout ce que le terme implique d’originalité créatrice et de résistance aux entraînements collectifs, c’est Durkheim. Et sa doctrine morale correspond si bien à son propre caractère qu’on n’avancerait pas un paradoxe, en donnant à cette doctrine le nom d’individualisme. Son premier ouvrage, la Division du Travail social, propose toute une philosophie de l’histoire, où la genèse, la différenciation, l’affranchissement de l’individu apparaissent comme le trait dominant du progrès de la civilisation, l’exaltation de la personne humaine, comme son terme actuel. Et cette philosophie de l’histoire aboutit à cette règle morale : distingue-toi, sois une personne. Comment donc une pareille doctrine verrait-elle, dans l’éducation, je ne sais quel procédé de dépersonnalisation ? Si faire une personne est actuellement le but de l’éducation, et si éduquer, c’est socialiser, concluons donc que, selon Durkheim, il est possible d’individualiser en socialisant. Telle est bien sa pensée. On pourra discuter la manière dont il conçoit l’éducation de l’individualité. Mais sa définition de l’éducation est d’un penseur qui, pas un instant, ne méconnaît ou ne sous-estime le rôle ni la valeur de l’individu. Et il faut signaler aux sociologues que c’est dans son analyse de l’éducation qu’ils apercevront le mieux le fond de la pensée de Durkheim, sur les rapports de la société et de l’individu et sur le rôle des individus d’élite dans le progrès social.

Au nom de l’idéal, enfin, il arrive qu’on résiste au réalisme de Durkheim. On lui reprochera d’humilier la raison et de décourager l’effort, comme s’il se faisait l’apologiste systématique de ce qui est, et restait indifférent à ce qui doit être. Pour comprendre comment, au contraire, ce réalisme sociologique lui paraît apte à diriger l’action, voyons quelle idée il s’est faite de la pédagogie.


II


Tout l’enseignement de Durkheim répond à un besoin profond de son esprit, qui est l’exigence essentielle de l’esprit scientifique lui-même. Durkheim éprouve une véritable répulsion pour les constructions arbitraires, pour les programmes d’action qui traduisent seulement les tendances de leur auteur. Il a besoin de réfléchir sur un donné, sur une réalité observable, sur ce qu’il appelle une chose. Considérer les faits sociaux comme des choses, telle est la première règle de sa méthode. Quand il prenait la parole sur des sujets de morale, on le voyait d’abord présenter des faits, des choses ; et sa mimique même marquait que, bien qu’il s’agît de choses spirituelles, non matérielles, il ne se bornait pas à analyser des concepts, mais qu’il saisissait, montrait, maniait des réalités. L’éducation est une chose, ou, d’un autre mot, un fait. En fait, dans toutes les sociétés, il se donne une éducation. Conformément à des traditions, à des habitudes, à des règles explicites ou implicites, dans un cadre déterminé d’institutions, avec un outillage propre, sous l’influence d’idées et de sentiments collectifs, en France, au xxe siècle, des éducateurs éduquent, des enfants sont éduqués. Tout cela peut être décrit, analysé, expliqué. La notion d’une science de l’éducation est donc une idée parfaitement claire. Elle a pour rôle unique de connaître, de comprendre ce qui est. Elle ne se confond ni avec l’activité effective de l’éducateur, ni même avec la pédagogie, qui vise à diriger cette activité. L’éducation est son objet : entendons par là, non pas qu’elle tend aux mêmes fins que l’éducation, mais au contraire qu’elle la suppose, puisqu’elle l’observe.

Cette science, Durkheim ne conteste nullement qu’elle soit, dans une large mesure, d’ordre psychologique. Seule, la psychologie, appuyée sur la biologie, élargie par la pathologie, permet de comprendre pourquoi l’enfant humain a besoin d’éducation, en quoi il diffère de l’adulte, comment se forment et évoluent ses sens, sa mémoire, ses facultés d’association, d’attention, son imagination, sa pensée abstraite, son langage, ses sentiments, son caractère, sa volonté. La psychologie de l’enfant, rattachée à celle de l’homme adulte, complétée par la psychologie propre de l’éducateur, telle est l’une des voies par où la science peut aborder l’étude de l’éducation. L’idée est universellement reçue.

Mais la psychologie n’est qu’une des deux voies d’accès possibles. Qui la suit exclusivement s’expose à n’aborder le fait éducation que par l’une de ses deux faces. Car la psychologie est évidemment incompétente, quand il s’agit de dire, non plus ce qu’est l’enfant, qui reçoit l’éducation, sa manière propre de l’assimiler et d’y réagir, mais la nature même de la civilisation que l’éducation transmet et de l’outillage qu’elle emploie pour le transmettre. La France du xxe siècle a quatre enseignements : primaire, secondaire, supérieur, technique, dont les rapports ne sont pas du tout ce qu’ils sont en Allemagne, en Angleterre ou aux États-Unis. Son enseignement secondaire porte sur le français, les langues classiques, les langues vivantes, l’histoire, les sciences ; vers 1600, il portait exclusivement suf le latin et le grec ; au moyen âge, sur la dialectique. Notre enseignement fait une part à la méthode intuitive et expérimentale ; celui des États-Unis une part bien plus grande ; l’éducation médiévale et humaniste était exclusivement livresque. Or, il est clair que les institutions scolaires, les disciplines, les méthodes sont des faits sociaux. Le livre lui-même est un fait social ; le culte du livre, le déclin de ce culte dépendent de causes sociales. On ne voit pas comment la psychologie pourrait en connaître. L’éducation physique, morale, intellectuelle, que donne une société, à un moment de son histoire, est manifestement du ressort de la sociologie. Pour étudier scientifiquement l’éducation, comme un fait donné à l’observation, la sociologie doit collaborer avec la psychologie. Sous l’un de ses deux aspects, la science de l’éducation est une science sociologique. C’est de ce biais que Durkheim l’abordait.

Ce faisant, il frayait une voie nouvelle, poussé par la logique interne de sa propre pensée, précurseur, et non imitateur, de doctrines aujourd’hui fort en vogue, que la sienne dépasse en netteté et en fécondité. L’Allemagne a créé le terme Sozialpadagogik, les États-Unis, le terme Educational Sociology, qui marquent, assurément la même tendance[1]. Mais, sous ces mots, se mêlent encore souvent des choses bien distinctes, par exemple, d’une part, une orientation plus ou moins incertaine vers l’étude sociologique de l’éducation, telle que Durkheim la conçoit, et, d’autre part, un système d’éducation qui se préoccupe plus particulièrement de préparer l’homme à la vie sociale, de former le citoyen : Staatsbürgerliche Erziehung, comme l’appelle Kerschensteiner[2]. L’idée américaine d’Educational Sociology s’applique confusément à l’étude sociologique de l’éducation et, en même temps, à l’introduction de la sociologie dans les classes, comme matière d’enseignement. La science de l’éducation, définie par Durkheim, est sociologique, dans une acception beaucoup plus claire du terme.

Quant à ce qu’il entend par Pédagogie, ce n’est ni l’activité éducative elle-même, ni la science spéculative de l’éducation. C’est la réaction systématique de la seconde sur la première, l’œuvre de la réflexion qui cherche, dans les résultats de la psychologie et de la sociologie, des principes pour la conduite ou pour la réforme de l’éducation. Ainsi conçue, la pédagogie peut être idéaliste, sans verser dans l’utopie.

Que bon nombre de pédagogues illustres aient cédé à l’esprit de système, assigné à l’éducation un but inaccessible ou arbitrairement choisi, proposé des procédés artificiels, non seulement Durkheim ne le nie pas, mais il met mieux en garde que quiconque contre leur exemple. La sociologie combat ici l’ennemi qu’elle a l’habitude de trouver en face d’elle : dans tous les domaines, en morale, en politique, même en économie politique, l’étude scientifique des institutions a été précédée par une philosophie essentiellement artificialiste, qui prétendait formuler des recettes pour assurer aux individus ou aux peuples le maximum de bonheur, sans connaître d’abord suffisamment leurs conditions d’existence. Rien n’est plus contraire aux habitudes intellectuelles du sociologue que de dire d’emblée : voici comme il faut élever l’enfant, en faisant table rase de l’éducation qu’on lui donne réellement. Cadres scolaires, programmes d’enseignement, méthodes, traditions, habitudes, tendances, idées, idéaux des maîtres, ce sont là des faits, dont elle cherche à découvrir pourquoi ils sont ce qu’ils sont, bien loin de prétendre d’abord les changer. Si l’éducation française est largement traditionnelle, peu disposée à se couler dans les formes techniques de méthodes concertées ; si elle fait largement crédit aux facultés d’intuition, de tact, d’initiative des maîtres ; si elle est respectueuse de l’évolution libre de l’enfant ; si même elle résulte, pour la majeure partie, non de l’action systématique des maîtres, mais de l’action diffuse et non volontaire du milieu, c’est là un fait, qui a ses causes, et qui répond, en gros, aux conditions d’existence de la société française. La pédagogie, inspirée par la sociologie, ne risque donc pas de se faire l’apologiste d’un système aventureux, ou de conseiller une mécanisation de l’enfant, qui contrarierait son développement spontané. Ainsi, tombent les objections de penseurs éminents, qui s’obstinent à opposer Éducation et Pédagogie, comme si réfléchir sur l’action qu’on exerce, c’était nécessairement se condamner à fausser cette action.

Mais ce n’est pas à dire que la réflexion scientifique soit pratiquement stérile, et que le réalisme soit le fait de l’esprit conservateur, qui accepte paresseusement tout ce qui est. Savoir, pour prévoir et pourvoir, disait Auguste Comte, de la science positive. En fait, mieux on connaît la nature des choses, mieux on a chance de l’utiliser efficacement. L’éducateur est obligé, par exemple, de manier l’attention de l’enfant. Personne ne niera qu’il la maniera mieux, s’il en connaît plus exactement la nature. La psychologie comporte donc des applications pratiques, dont la pédagogie formule les règles pour l’éducation. De la même façon, la science sociologique de l’éducation peut comporter des applications pratiques. En quoi consiste la laïcisation de la moralité ? Quelles sont ses causes ? D’où proviennent les résistances qu’elle soulève ? Quelles difficultés l’éducation morale a-t-elle à vaincre, quand elle se dissocie de l’éducation religieuse ? Problème manifestement social, problème d’actualité pour les sociétés contemporaines : comment contester que son étude désintéressée puisse conduire à formuler des règles pédagogiques, dont l’instituteur français du xxe siècle aurait avantage à s’inspirer, dans sa pratique éducative ? Les crises sociales, les conflits sociaux ont des causes : cela ne veut pas dire qu’il soit interdit de leur chercher des issues et des remèdes. Les institutions ne sont ni absolument plastiques, ni absolument réfractaires à toute modification délibérée. Les adapter prudemment à leur rôle respectif, les adapter les unes aux autres et chacune d’elles à la civilisation où elles s’incorporent : il y a là un beau champ d’action pour une politique rationnelle, et, s’il s’agit des institutions de l’éducation, pour une pédagogie rationnelle, ni conservatrice ni révolutionnaire, efficace dans les limites où l’action délibérée de l’homme peut être efficace.

Ainsi peuvent se concilier le réalisme et l’idéalisme. Les idéaux sont des réalités. En fait, par exemple, la France contemporaine a un idéal intellectuel ; elle conçoit un type idéal d’intelligence qu’elle propose à l’enfant. Mais cet idéal est complexe et confus. Les publicistes, qui prétendent l’exprimer, n’en montrent généralement chacun qu’une des faces, un des éléments : éléments de provenance, d’âge et, pour ainsi dire, d’orientation divers, solidaires, les uns de certaines tendances sociales, les autres de tendances différentes ou opposées. Il n’est pas impossible de traiter cet idéal complexe comme une chose, c’est-à-dire d’en analyser les composants, de déterminer leur genèse, leurs causes et les besoins auxquels ils correspondent. Mais cette étude, d’abord toute désintéressée, est la meilleure préparation au choix qu’une volonté raisonnable peut se proposer de faire entre les divers programmes d’enseignement concevables, entre les règles à suivre pour l’application du programme choisi. On pourrait répéter la même chose, mutatis mutandis, de l’éducation morale, et des questions de détail, aussi bien que des problèmes les plus généraux. Bref, l’opinion, le législateur, l’administration, les parents, les maîtres ont, à tout instant, des choix à faire, qu’il s’agisse de réformer profondément les institutions ou de les faire fonctionner au jour le jour. Or, ils travaillent sur une matière résistante qui ne se laisse pas manier arbitrairement : milieu social, institutions, habitudes, traditions, tendances collectives. La pédagogie, en tant qu’elle dépend de la sociologie, est la préparation rationnelle de ces choix.

Durkheim attachait la plus haute importance, non seulement comme savant, mais comme citoyen, à cette conception rationaliste de l’action. Hostile à l’agitation réformiste, qui trouble sans améliorer, surtout aux réformes négatives, qui détruisent sans remplacer, il avait cependant le sens et le goût de l’action. Mais, pour que l’action fût féconde, il voulait qu’elle portât sur ce qui est possible, limité, défini, déterminé dans les conditions sociales où elle s’exerce. Son enseignement pédagogique, s’adressant à des éducateurs, a toujours eu un caractère immédiatement pratique. Absorbé par ses autres travaux, il n’a pas eu le temps de s’appliquer à des recherches purement spéculatives sur l’éducation. Dans ses cours, les sujets sont abordés selon la méthode scientifique définie tout à l’heure. Mais le choix des sujets est dicté par les difficultés pratiques que rencontre l’éducateur public dans la France contemporaine, et c’est à des conclusions pédagogiques que le professeur aboutit.


III


Durkheim a laissé le manuscrit, complètement rédigé, d’un cours en dix-huit leçons sur l’Éducation morale à l’École primaire. En voici l’économie générale. La première leçon est une introduction sur la morale laïque, Durkheim y définit la tâche morale qui, dans la France contemporaine, incombe à l’instituteur : il s’agit, pour lui, de donner une éducation morale laïque, rationaliste. Cette laïcisation de la moralité est commandée par tout le développement historique. Mais elle est difficile. La religion et la moralité ont été, dans l’histoire de la civilisation, si intimement unies, que leur dissociation nécessaire ne saurait être une opération simple. Si l’on se contente de vider la moralité de tout contenu religieux, on la mutile. Car la religion exprime, à sa manière, dans un langage symbolique, des choses vraies. Ces vérités, il ne faut pas les laisser perdre, avec les symboles qu’on élimine ; il faut les retrouver, en les projetant sur le plan de la pensée laïque. Les systèmes rationalistes, surtout les systèmes non-métaphysiques, ont généralement présenté, de la moralité, une image beaucoup trop simplifiée. En se faisant sociologique, l’analyse morale peut donner un fondement rationnel, ni religieux ni métaphysique, à une moralité aussi complexe, plus riche même, sous certains rapports, que la moralité religieuse traditionnelle, et remonter jusqu’aux sources d’où jaillissent les forces morales les plus énergiques.

Les leçons qui suivent se groupent en deux parties bien distinctes, et ce plan illustre ce que nous avons dit de la contribution qu’apportent respectivement, à la pédagogie, la sociologie d’une part, la psychologie de l’autre. La première partie étudie la moralité en elle-même, c’est-à-dire la civilisation morale que l’éducation transmet à l’enfant : c’est une analyse sociologique. La seconde étudie la nature de l’enfant qui devra s’assimiler cette moralité : ici la psychologie est au premier plan.

Les huit leçons que Durkheim a consacrées à l’analyse de la moralité sont ce qu’il a laissé de plus achevé sur ce sujet, puisque la mort l’a interrompu au moment où il rédigeait, pour la publication, les prolégomènes de sa Morale. Elles sont à rapprocher des pages qui ont paru dans le Bulletin de la Société française de philosophie sur La détermination du fait moral. Il n’y traite pas des divers devoirs, mais des caractères généraux de la moralité. C’est l’équivalent, chez lui, de ce que les philosophes appellent la Morale théorique. Mais la méthode qu’il applique renouvelle le sujet.

On conçoit aisément comment la sociologie peut étudier ce que sont, en fait, la famille, l’État, la propriété, le contrat. Mais, quand il s’agit du Bien et du Devoir, il semble quon ait affaire à de purs concepts, non à des institutions, et qu’une méthode d’analyse abstraite s’impose ici, à défaut d’une observation inapplicable. Voici le biais par où Durkheim aborde son sujet. L’éducation morale a, sans doute, pour rôle d’initier l’enfant aux divers devoirs, de susciter en lui les vertus particulières, prises une à une. Mais elle a aussi pour rôle de développer en lui l’aptitude générale à la moralité, les dispositions fondamentales qui ; sont à la racine de la vie morale, de constituer en lui l’agent moral, prêt aux initiatives qui sont la condition du progrès. Quels sont, en fait, dans la société française contemporaine, les éléments du tempérament moral, dont la réalisation est le but vers lequel doit tendre l’éducation morale générale ? Ces éléments, on peut les décrire, comprendre leur nature et leur rôle. Et c’est, en somme, cette description qui forme le contenu des morales dites théoriques. Chaque philosophe définit, à sa manière, ces éléments fondamentaux. Mais il construit, plutôt qu’il ne décrit. Nous pouvons refaire le même travail, en prenant pour objet, non plus notre idéal personnel, mais l’idéal qui est, en fait, celui de notre civilisation. Ainsi l’étude de l’éducation morale nous permet de saisir, dans les faits, les réalités auxquelles correspondent les concepts très abstraits que manient les philosophes. Elle met la science des mœurs en mesure d’observer ce qu’est la moralité, dans ses caractères les plus généraux, parce que, dans l’éducation, nous apercevons la moralité au moment où elle se transmet, au moment où, par conséquent, elle se distingue le plus nettement des consciences individuelles, dans la complexité desquelles elle est, habituellement, enveloppée.

Durkheim ramène à trois ces éléments fondamentaux de notre moralité. Ce sont l’esprit de discipline, l’esprit d’abnégation et l’esprit d’autonomie. Indiquons, à titre d’exemple, quel plan suit Durkheim dans l’analyse du premier élément. L’esprit de discipline est, à la fois, le sens et le goût de la régularité, le sens et le goût de la limitation des désirs, le respect de la règle, qui impose à l’individu l’inhibition des impulsions et l’effort. Pourquoi la vie sociale exige-t-elle régularité, limitation et effort ? Puis, comment l’individu trouve-t-il, finalement, à accepter ces exigences pénibles, les conditions de son propre bonheur ? Répondre à ces questions, c’est dire quelle est la fonction de la discipline. Comment la société est-elle apte à imposer la discipline et, notamment, à éveiller dans l’individu le sentiment du respect dû à l’autorité d’un impératif catégorique, qui apparaît comme transcendant ? Répondre à cette question, c’est traiter de la nature de la discipline et de son fondement rationnel. Pourquoi, enfin, la règle peut-elle et doit-elle être conçue comme indépendante de tout symbolisme religieux et même métaphysique ? En quoi cette laïcisation de la discipline modifie-t-elle le contenu même de l’idée de discipline, ce qu’elle exige et ce qu’elle permet ? Ici, nous rattachons la nature et la fonction de la discipline, non plus aux conditions de la civilisation en général, mais aux conditions particulières d’existence de la civilisation où nous vivons. Et nous recherchons si notre esprit de discipline, à nous, Français, est bien tout ce qu’il doit être, s’il n’est pas pathologiquement affaibli, et comment l’éducation, tout en respectant ses caractères propres, peut améliorer notre moralité nationale.

Une analyse symétrique s’applique à l’esprit d’abnégation. Qu’est-il, à quoi sert-il, du point de vue de la société, comme du point de vue de l’individu ? Quelles sont les fins auxquelles nous, Français du xixe siècle, nous devons nous dévouer ? Quelle est la hiérarchie de ces fins, et d’où proviennent, comment peuvent se concilier leurs antagonismes partiels ? — Mêmes questions pour l’esprit d’autonomie. L’analyse de ce dernier élément est particulièrement féconde, parce qu’il s’agit ici d’un des traits les plus récents de la moralité, du trait le plus caractéristique de la moralité laïque et rationaliste de nos sociétés démocratiques.

Ces indications sommaires suffisent à marquer l’une des principales supériorités de la méthode suivie par Durkheim. Il réussit à montrer toute la complexité, toute la richesse de la vie morale, richesse faite d’oppositions qui ne peuvent jamais être que partiellement fondues dans une synthèse harmonieuse, richesse telle qu’aucun individu, si grand soit-il, ne peut jamais aspirer à porter en lui, à leur plus haut degré de développement, tous ces éléments et, ainsi, à réaliser, intégralement, en lui seul, la moralité tout entière. Personnellement, Durkheim, comme l’avait été Kant, fut avant tout un homme de volonté et de discipline. De la moralité, c’est l’aspect kantien qu’il voit d’abord et le plus nettement. Et l’on a parfois voulu faire, de la contrainte, la seule action qu’exerçait, selon lui, la société sur l’individu. Sa véritable doctrine est infiniment plus compréhensive, et il n’y a peut-être pas de philosophie morale qui le soit au même degré. Il a bien montré, par exemple, que les forces morales, qui contraignent et même violentent la nature animale de l’homme, exercent aussi, sur l’homme, une attraction, une séduction, et que c’est à ces deux aspects du fait moral que répondent les deux notions du devoir et du bien. Et il a montré que, vers ces deux pôles, s’orientaient deux activités morales distinctes, dont ni l’une ni l’autre n’est étrangère à l’agent moral bien constitué, mais qui, selon que prévaut l’une ou l’autre, distinguent les agents moraux en deux types différents, l’homme du sentiment, de l’enthousiasme, chez qui domine l’aptitude à se donner, et l’homme de volonté, plus froid et plus austère, chez qui domine le sens de la règle. L’eudémonisme, l’hédonisme ont eux-mêmes leur place dans la vie morale : il faut, disait un jour Durkheim, qu’il y ait des épicuriens. Ainsi, des disparates, même des contraires, se fondent dans la richesse de la civilisation morale, richesse que l’analyse abstraite des philosophes se condamne généralement à appauvrir, parce qu’elle veut, par exemple, déduire l’idée du bien de celle du devoir, concilier les concepts d’obligation et d’autonomie, et réduire ainsi au jeu logique de quelques idées simples une réalité très compliquée.

Les neuf leçons qui forment la deuxième partie du cours abordent le problème proprement pédagogique. On vient de dénombrer et de définir les éléments de la moralité qu’il s’agit, pour nous, de constituer chez l’enfant. Comment la nature de l’enfant se prête-t-elle à la recevoir, quelles ressources, quels ressorts, mais aussi quels obstacles y rencontre l’éducateur ? Les titres des leçons suffisent à indiquer la marche de la pensée : la discipline et la psychologie de l’enfant d’abord, la discipline scolaire, la pénalité et les récompenses scolaires ; puis l’altruisme chez l’enfant et l’influence du milieu scolaire sur la formation du sens social ; enfin l’influence générale de l’enseignement des sciences, des lettres, de l’histoire, de la morale elle-même, et aussi de la culture esthétique, sur la formation de l’esprit d’autonomie.

L’autonomie est l’attitude d’une volonté qui accepte la règle, parce qu’elle la reconnaît rationnellement fondée. Elle suppose l’application, libre mais méthode que, de l’intelligence à l’examen des règles que l’enfant reçoit d’abord, toutes faites, de la société dans laquelle il grandit, mais que, bien loin de les accepter passivement, il doit, peu à peu, apprendre à vivifier, à concilier, à épurer de leurs éléments caducs, à réformer, pour les adapter aux conditions d’existence, changeantes, de la société dont il devient un membre actif. C’est, dit Durkheim, la science qui confère l’autonomie. Elle seule apprend à reconnaître ce qui est fondé dans la nature des choses, nature physique, mais aussi nature morale, ce qui est inéluctable, ce qui est modifiable, ce qui est normal, quelles sont donc les limites de l’action efficace pour améliorer la nature, nature physique, nature morale. Tout renseignement a, de ce point de vue, une destination morale, celui des sciences cosmologiques, mais surtout l’enseignement de l’homme lui-même, par l’histoire et par la sociologie. Et c’est ainsi que l’éducation morale complète réclame, aujourd’hui, un enseignement de la morale : deux choses que Durkheim distingue nettement, bien que la seconde serve à achever la première. Il lui paraît indispensable, même à l’École primaire, que le maître enseigne à l’enfant ce que sont les sociétés où il est appelé à vivre : famille, corporation, nation, communauté de civilisation qui tend à incorporer l’humanité tout entière ; comment elles se sont formées et transformées ; quelle action elles exercent sur l’individu et quel rôle il y joue. Du cours qu’il a fait plusieurs fois sur cet Enseignement de la morale à l’École primaire, nous n’avons que des ébauches de rédaction ou des plans de leçons. Durkheim y montre, aux instituteurs, comment il est possible de traduire, pour les mettre à la portée des intelligences enfantines, les résultats de ce qu’il appelait la « Physiologie du droit et des mœurs ». C’est la vulgarisation de la science des mœurs, à laquelle il a, par ailleurs, consacré la majeure partie de ses ouvrages et de ses cours.


IV


L’Éducation intellectuelle à l’École primaire fait l’objet d’un cours, complètement rédigé, lui aussi, parallèle à celui qui concerne l’éducation morale et construit à peu près sur le même plan. Durkheim en était moins satisfait : il sentait la difficulté de mettre au point son travail. C’est que l’idéal intellectuel de notre démocratie est moins défini que son idéal moral, son étude scientifique a été moins préparée, la matière est plus nouvelle.

Ici encore, deux parties d’orientations différentes : l’une regarde le but visé, l’autre les moyens employés ; la première demande à la sociologie de définir le type intellectuel que notre société s’efforce de réaliser ; l’autre demande à la logique et à la psychologie quel apport chaque discipline fournit, quelles ressources, quels ressorts, quelles résistances l’esprit de l’enfant présente à l’éducateur qui travaille à la réalisation de ce type. Parmi les leçons purement psychologiques, signalons seulement celles qui traitent de l’attention ; elles témoignent de ce que Durkheim pouvait faire, quand il s’appliquait à la psychologie.

Pour assigner à l’éducation intellectuelle primaire un but déterminé, Durkheim étudie les origines de l’Enseignement primaire et recherche comment il a, en fait, pris conscience de sa nature et de son rôle propres. Il s’est développé postérieurement à l’enseignement secondaire, et s’est défini, dans quelque mesure, par opposition avec lui. C’est chez deux de ses principaux initiateurs, Comenius et Pestalozzi, que Durkheim cherche à saisir son idéal en formation. Tous deux se sont demandé comment un enseignement pouvait être à la fois encyclopédique et élémentaire, — donner une idée du tout, former un esprit juste et équilibré, c’est-à-dire capable d’appréhender le réel tout entier, sans en méconnaître aucun élément essentiel, — mais aussi s’adresser à tous les enfants sans exception, dont le plus grand nombre devra se contenter de notions sommaires, faciles à assimiler rapidement. Par l’interprétation critique des tentatives de Comenius et de Pestalozzi, Durkheim élabore sa détermination de l’idéal à réaliser. Comme la moralité, l’intellectualité requise chez le Français contemporain exige la constitution, dans l’esprit, d’un certain nombre d’aptitudes fondamentales. Durkheim les appelle des catégories, notions-mères, centres d’intelligibilité, qui sont les cadres et les outils de la pensée logique. Entendez, par catégories, non pas seulement les formes les plus abstraites de la pensée, la notion de cause ou celle de substance, mais les idées, plus riches de contenu, qui président à notre interprétation du réel, à notre interprétation actuelle : notre idée du monde physique, notre idée de la vie, notre idée de l’homme, par exemple. Ces catégories, on ne voit pas qu’elles soient innées à l’esprit humain. Elles ont une histoire ; elles se sont, peu à peu, construites au cours de l’évolution de la civilisation et, dans notre civilisation, par le développement des sciences physiques et morales. Un bon esprit est un esprit dont les idées maîtresses, qui règlent l’exercice de la pensée, sont en harmonie avec les sciences fondamentales, telles qu’elles sont actuellement constituées : ainsi armé, cet esprit peut se mouvoir dans la vérité, telle que nous la concevons. Il faut donc enseigner à l’enfant les éléments des sciences fondamentales, disons mieux, des disciplines fondamentales, pour bien marquer que la grammaire ou l’histoire, par exemple, coopèrent, elles aussi, et au plus haut degré, à la formation de l’entendement.

Avec tant de grands pédagogues, Durkheim s’accorde donc à demander ce qu’on appelle, d’un terme barbare, la culture formelle : former l’esprit, non le remplir ; ce n’est pas pour l’utilité qu’elles procurent que valent surtout les connaissances. Rien de moins utilitaire que cette conception de l’instruction. Mais son formalisme est original et s’oppose nettement à celui d’un Montaigne, à celui des humanistes. En effet, la transmission, par le maître à l’élève, d’un savoir positif, l’assimilation par l’enfant d’une matière lui paraît être la condition d’une véritable formation intellectuelle. On en voit la raison : l’analyse sociologique de l’entendement entraîne des conséquences pédagogiques. La mémoire, l’attention, la faculté d’association sont des dispositions congénitales chez l’enfant, que l’exercice développe, dans le champ de la seule expérience individuelle, quel que soit l’objet auquel ces facultés s’appliquent. Les idées directrices élaborées par notre civilisation sont, au contraire, des idées collectives qu’il faut transmettre à l’enfant, parce qu’il ne saurait les élaborer seul. On ne refait pas la science, par son expérience propre, parce qu’elle est sociale et non individuelle ; on l’apprend. Sans doute, elle ne se transvase pas d’un esprit dans un autre : c’est le vase même, c’est-à-dire l’intelligence, qu’il s’agit, par et sur la science, de modeler. Ainsi, quoique les idées directrices soient des formes, il n’est pas possible de les transmettre vides. Auguste Comte disait déjà qu’on ne peut étudier la logique sans la science, la méthode des sciences sans leur doctrine, s’initier à leur esprit sans s’assimiler quelques-uns de leurs résultats. Durkheim pense avec lui qu’il faut apprendre des choses, acquérir du savoir, abstraction faite même de la valeur propre des connaissances, parce que des connaissances sont nécessairement impliquées dans les formes constitutives de l’entendement.

Pour apercevoir tout ce que Durkheim tire de ces principes, il faudrait entrer dans le détail de la seconde partie du cours. Il y étudie successivement la didactique de quelques enseignements fondamentaux : les mathématiques et les catégories de nombre et de forme ; la physique et la notion de réalité ; la géographie et la notion de milieu planétaire ; l’histoire et les notions de durée et de développement historiques. L’énumération est incomplète. Ailleurs, Durkheim a traité de l’éducation logique par les langues. Il donne seulement des exemples. La collaboration des spécialistes serait d’ailleurs nécessaire pour suivre, dans le détail, toutes les conséquences didactiques des principes posés.

Soit, par exemple, la notion de durée historique. L’histoire est le développement, dans le temps, des sociétés humaines. Mais ce temps dépasse infiniment les durées que connaît l’individu, dont il a l’expérience directe. L’histoire ne peut avoir de sens pour un esprit qui ne possède pas une certaine représentation de cette durée historique ; un bon esprit est, notamment, un esprit qui la possède. Or l’enfant ne peut pas construire seul cette représentation, dont les éléments ne lui sont pas fournis par la sensation, ni par la mémoire individuelle. Il faut donc l’aider à la construire. En fait, c’est l’une des fonctions que remplit l’enseignement historique. Mais il la remplit, peut-on dire, sans le vouloir expressément. Il est remarquable que le maître sente rarement l’inanité des dates et la nécessité de travailler systématiquement à leur donner une signification. On apprend à l’enfant : bataille de Tolbiac, 496. Comment l’enfant attacherait-il à cette date un sens précis, alors que la représentation d’un passé, même prochain, lui est si difficile ? Tout un travail est nécessaire, dont les étapes pourraient être les suivantes : donner l’idée d’un siècle, en ajoutant, l’une à l’autre, la durée de trois ou quatre générations ; celle de l’ère chrétienne, en expliquant pourquoi la naissance du Christ a été choisie comme origine. Entre le point de départ et l’époque actuelle, jalonner la durée par des points de repère concrets, biographies de personnages ou événements symboliques. Constituer ainsi, un premier canevas, dont on serrera peu à peu la trame. Puis, faire sentir que le point initial de l’ère est conventionnel, qu’il y a d’autres ères, d’autres histoires que la nôtre, que ces ères flottent elles-mêmes dans une durée à laquelle la chronologie humaine ne s’applique plus, que les premiers commencements nous échappent, etc. Combien peu, parmi nous, se rappellent avoir reçu, de leurs professeurs d’histoire, des leçons inspirées de pareils principes. Nous avons bien acquis, à la longue, les notions dont il s’agit ; on ne peut pas dire que, sauf exception, elles aient été méthodiquement constituées. L’un des résultats essentiels de l’enseignement historique est donc à peu près obtenu, en fait, sans être clairement aperçu ni voulu. Or la brièveté de l’éducation primaire exige qu’on marche tout droit au but, si cette éducation veut donner sa pleine efficacité.

On peut dire que, jusqu’à nos jours, renseignement grammatical et littéraire est le seul qui ait eu pleinement conscience de son rôle logique : il apprend pour former ; les connaissances qu’il transmet sont volontairement utilisées à la constitution de l’entendement. Dans quelque mesure, l’enseignement mathématique s’assigne le même rôle : ici déjà, pourtant, la fonction éducative, créatrice des connaissances est souvent perdue de vue, et les connaissances appréciées en elles-mêmes. On le voit, la didactique de Durkheim s’apparente, en la renouvelant, à celle de Herbart. Mise à sa place dans l’histoire des doctrines pédagogiques, elle paraît trancher le conflit du formalisme et de son contraire, l’opposition du savoir et de la culture. Elle fournit le principe qui permettra seul de résoudre les difficultés où se débattent nos enseignements primaire et secondaire, pris entre les aspirations encyclopédiques et le juste sentiment des dangers qu’elles font naître. Chacune des disciplines fondamentales implique une philosophie latente, c’est-à-dire un système de notions cardinales, qui résument les caractères les plus généraux des choses, telles que nous les concevons, et qui commandent leur interprétation. C’est cette philosophie, fruit du travail accumulé des générations, qu’il faut transmettre à l’enfant, parce qu’elle constitue l’ossature même de l’intelligence. Philosophique et élémentaire ne sont pas des termes qui s’excluent. Bien au contraire : l’enseignement le plus élémentaire doit être le plus philosophique. Mais il va de soi que ce qu’on appelle ici philosophie ne doit pas être exposé sous forme abstraite. Elle doit se dégager de l’enseignement le plus familier, sans jamais se formuler. Mais, pour s’en dégager ainsi, il faut d’abord qu’elle l’inspire.


V


L’éducation intellectuelle élémentaire ressortit à deux types, l’enseignement primaire pour la masse, l’enseignement secondaire pour l’élite. C’est l’éducation de l’élite qui soulève, dans la France contemporaine, les problèmes les plus embarrassants. Depuis plus d’un siècle, notre enseignement secondaire traverse une crise, dont l’issue est encore incertaine. On peut parler, sans exagération, de la question sociale de l’enseignement secondaire. Quelle est exactement sa nature, et quel est son rôle ? Quelles causes ont déterminé la crise, en quoi consiste-t-elle au juste, comment peut-on prévoir qu’elle se dénouera ? C’est à traiter ces questions que Durkheim a consacré un de ses plus beaux cours, sur l’Évolution et le Rôle de l’Enseignement secondaire en France : cours qu’il a professé plusieurs fois et dont il a laissé deux rédactions achevées. Il l’avait entrepris à la demande du recteur Liard, quand celui-ci voulut organiser, pour la première fois, un enseignement pédagogique à l’usage des futurs professeurs de l’enseignement secondaire. Destiné aux candidats à toutes les agrégations, tant scientifiques que littéraires, il avait pour but, dans la pensée de Durkheim, d’éveiller, en même temps, chez tous, le sentiment de la tâche commune : sentiment indispensable, si l’on veut que des disciplines diverses concourent à un enseignement qui, comme l’esprit qu’il forme, doit avoir son unité, il est vraisemblable que les futurs professeurs de l’enseignement secondaire sentiront un jour, d’eux-mêmes, le besoin de réfléchir méthodiquement, sous la direction d’un maître, à la nature et à la fonction propres de l’institution qu’ils ont à faire vivre. Et ce jour-là, le cours de Durkheim apparaîtra comme le guide le plus sûr pour cette réflexion. Son auteur estimait insuffisantes, sur plusieurs points, les recherches qu’il avait entreprises, la documentation sur laquelle il s’était appuyé. Qu’on n’oublie pas, avant de juger l’œuvre, qu’il n’a guère consacré, à ce sujet immense, qu’une ou deux années de travail. Tel quel, ce cours est un modèle incomparable de ce que peut donner l’application, aux choses de l’éducation, de la méthode sociologique. C’est le seul exemple achevé qu’ait pu laisser Durkheim de l’analyse historique d’un système d’institutions scolaires.

Pour savoir ce qu’est l’enseignement secondaire actuel de la France, Durkheim observe comment il s’est formé. Les cadres datent du moyen âge, qui a vu naître les Universités. C’est au sein de l’Université, par l’internement progressif, dans les collèges, de l’enseignement donné à la Faculté des arts, que l’enseignement secondaire a pris naissance, en se différenciant de l’enseignement supérieur. Ainsi s’expliquent leurs affinités : l’un prépare à l’autre. L’enseignement dialectique est, au moyen âge, la propédeutique générale, parce que la dialectique est alors la méthode universelle ; enseignement formel, culture générale donnée à l’aide d’une discipline très spéciale, il a déjà les caractères que gardera, dans tout le cours de son histoire, l’enseignement secondaire. Mais, si les cadres sont constitués dès le moyen âge, la discipline éducative change au xvie siècle : à la logique se substituent les humanités gréco-latines. Originaire de la Renaissance, l’humanisme, en France, a été mis en œuvre surtout par les Jésuites. Ils lui ont imprimé leur marque propre ; et, bien que leurs rivaux, Oratoire, Port-Royal, Université, aient tempéré leur système, c’est l’humanisme, tel que l’ont compris les Jésuites, qui a été l’éducateur par excellence de l’esprit classique français. Dans aucune société européenne, l’influence de l’humanisme n’a été aussi exclusive : notre esprit national, par quelques-uns de ses caractères dominateurs, s’y exprime et, à la fois, en résulte, avec ses qualités et ses défauts. Mais, à partir du xviiie siècle surtout, d’autres tendances se manifestent : la pédagogie, dite réaliste, bat l’humanisme en brèche. Elle produit d’abord des doctrines, sans action immédiate sur les institutions scolaires. Puis elle crée, avec les Écoles Centrales de la Convention, un système scolaire complètement nouveau, dont la durée est éphémère. Et le xixe siècle met aux prises, sans réussir à éliminer l’un ni l’autre, ni, non plus, à les concilier définitivement, l’ancien système et le nouveau. Et c’est encore de ce conflit que nous cherchons à sortir. En nous permettant de le comprendre, l’histoire nous arme pour le résoudre.


VI


L’enseignement pédagogique fait, en général, une large part à l’histoire critique des doctrines de l’éducation. Durkheim reconnaît L’intérêt de cette étude. Il s’y est longuement appliqué. Dans les deux cours sur l’éducation intellectuelle, primaire et secondaire, une place est faite à l’histoire des doctrines : celle de Comenius, entre autres, a retenu son attention. Il a laissé des plans de leçons et des notes de cours qui forment une histoire des principales doctrines pédagogiques, en France, depuis la Renaissance. La Revue de Métaphysique et de Morale a publié le plan développé de ses leçons sur Jean-Jacques Rousseau. Enfin il a rédigé intégralement un Cours, d’une année entière, sur Pestalozzi et Herbart. Disons seulement ici quelle méthode il a suivie.

D’abord, il distingue nettement l’histoire des théories de l’Éducation de l’histoire de l’Éducation elle-même. La confusion est souvent faite. Il y a là pourtant deux choses aussi distinctes que l’histoire de la philosophie politique et l’histoire des institutions politiques. Il serait à souhaiter que nos éducateurs connussent mieux l’histoire de nos institutions scolaires et ne crussent pas, comme il arrive, l’apercevoir à travers Rousseau ou Montaigne.

Puis, Durkheim traite surtout les doctrines comme des faits, et c’est l’éducation de l’esprit historique qu’il entend poursuivre, en les étudiant. C’est tout autrement, d’habitude, qu’on les aborde. Qu’on prenne, par exemple, les livres de Gabriel Compayré, manuels classiques d’histoire de la Pédagogie, familiers à tous nos instituteurs. Malgré leur nom, ce ne sont pas, à proprement parler, des histoires. Sans doute, ils rendent des services. Mais ils rappellent fâcheusement une certaine conception de l’histoire de la philosophie, heureusement désuète. Il semble que les grands pédagogues, un Rabelais, un Montaigne, un Rollin, un Rousseau, y apparaissent comme les collaborateurs du théoricien qui, actuellement, cherche à fixer la doctrine pédagogique. On dirait qu’il y a une vérité pédagogique éternelle, universellement valable, dont ils ont proposé des approximations. Dans leur doctrine, on cherche à séparer l’ivraie et le bon grain, à retenir les préceptes utilisables actuellement pour les maîtres, à rejeter leurs paradoxes et leurs erreurs. La critique dogmatique prend le pas sur l’histoire, l’éloge ou le blâme sur l’explication des idées. Le résidu et le profit intellectuels sont assez minces. Ce n’est pas par la confrontation dialectique des théories du passé, théories plutôt riches d’intuitions confuses que scientifiquement construites, qu’on a chance d’élaborer une doctrine solide et pratiquement féconde. Il arrive communément que les pédagogues de second ordre, éclectiques, modérés et assez platement raisonnables, résistent beaucoup mieux à cette critique que les esprits de premier ordre. La sagesse d’un Rollin s’oppose avec avantage aux extravagances d’un Rousseau. Si la pédagogie était une science, son histoire aurait ce caractère étrange que le génie l’aurait le plus souvent conduite à l’erreur, et la médiocrité, maintenue dans le chemin du vrai.

Assurément, Durkheim conçoit qu’on puisse chercher à dégager, par une discussion critique, les éléments de vérité contenus dans une doctrine. Dans la Préface qu’il a écrite pour le livre posthume d’Hamelin, Le Système de Descartes, il a donné la formule d’une méthode d’interprétation, à la fois historique et critique. Et il a lui-même appliqué cette méthode à l’étude de Pestalozzi et de Herbart. Il aimait la forte et riche pensée de ces grands initiateurs, et, loin d’en méconnaître la fécondité, il se demandait même s’il ne leur prêtait pas quelqu’une des idées dont il croyait reconnaître chez eux les premières ébauches. Mais, quelle que puisse être leur valeur dogmatique, Durkheim demande surtout aux doctrines de révéler les forces sociales qui animent un système d’éducation ou travaillent à le modifier. L’histoire de la Pédagogie n’est pas l’histoire de l’éducation, car les théoriciens n’expriment pas exactement ce qui se passe en fait, et n’annoncent pas exactement ce qui se réalisera en fait. Mais les idées sont aussi des faits, et, quand elles ont du retentissement, des faits sociaux. Le prodigieux succès de l’Émile a d’autres causes que le génie de J.-J. Rousseau : il manifeste des tendances confuses, mais énergiques, de la société européenne du xviiie siècle. Il y a des pédagogues conservateurs, tels un Jouvency, un Rollin, qui reflètent l’idéal pédagogique des Jésuites ou de l’Université du XVIIe siècle. Et surtout, puisqu’on voit les grandes doctrines foisonner aux heures de crise, il y a des pédagogues révolutionnaires qui traduisent des choses collectives qu’il est essentiel à l’observateur d’atteindre, qu’il est presque impossible d’atteindre directement : aspirations, idéaux en voie de formation, rébellions contre des institutions devenues caduques. Durkheim a, par exemple, étudié de ce point de vue les idées pédagogiques de la Renaissance et distingué, mieux qu’on ne l’avait fait avant lui, les deux grands courants qui les emportent, celui qui traverse l’œuvre de Rabelais, l’autre, tout différent, malgré leur mélange partiel, qui traverse celle d’Érasme.


Telle est, dans ses grandes lignes, l’œuvre pédagogique de Durkheim. Ce bref exposé suffit à marquer quelle est son étendue et les rapports étroits qu’elle soutient avec l’ensemble de son œuvre sociologique. Aux éducateurs, elle apporte, sur les principaux problèmes pédagogiques, une doctrine originale et vigoureuse. Pour les sociologues, elle éclaire, sur quelques points essentiels, les conceptions que Durkheim a exposées ailleurs : rapports de l’individu et de la société, rapports de la science et de la pratique, nature de la moralité, nature de l’entendement. Éducateurs ou sociologues, nombreux sont ceux qui demandent que cette œuvre pédagogique ne reste pas inédite. On s’efforcera de publier les principaux Cours.

Le petit volume que nous donnons aujourd’hui leur servira d’introduction. Nous y réimprimons les seules études pédagogiques que Durkheim ait publiées lui-même[3]. Les deux premières reproduisent les articles Éducation et Pédagogie du Nouveau dictionnaire de Pédagogie et d’instruction primaire, publié sous la direction de F. Buisson, Paris, Hachette, 1911 ; la troisième est la leçon d’ouverture, faite par Durkheim, lorsqu’il prit possession de sa chaire, à la Sorbonne, en 1902 ; elle a paru dans la Revue de Métaphysique et de Morale, numéro de janvier 1903 ; la dernière est la leçon d’ouverture du Cours organisé pour les candidats aux agrégations de l’enseignement secondaire ; faite en novembre 1905, cette leçon a paru dans la Revue Politique et Littéraire (Revue Bleue), numéro du 20 janvier 1906.

Quelques pages font double emploi ; il y a même, dans les deux premiers morceaux, des emprunts textuels au troisième. Nous avons pensé que des remaniements auraient eu plus d’inconvénients que quelques répétitions.

P. F.
  1. Paul Natorp, Sozialpädagogik, Theorie der Willenserziehung auf der Grundlage der Gemeinschaft, 3. Auft., Stuttgart, 1909 (la 1re éd. est de 1899). — Voir les définitions de l’Educational Sociology dans Monroe, A Cyclopedia of Education, t. V p. 361.
  2. Der Begriff der staatsbürgerlichen Erziehung, 4te Aufl. Berlin et Leipzig, 1921 (?).
  3. Mentionnons cependant : 1o l’article Enfance, dans le Dictionnaire de Pédagogie, que Durkheim a signé, en collaboration avec M. Buisson; 2o la communication sur l’Éducation sexuelle, faite à la Société française de philosophie (Bulletin), qui s’apparente surtout aux travaux de Durkheim sur la famille et le mariage.
    L’étude posthume sur l’Émile, parue dans la Revue de Métaphysique et de Morale, t. XXVI, 1919, p. 153, ne peut pas être séparée de l’étude sur Le Contrat social (même Revue, t. XXV, 1918).