Écrivains et Style/Note sur cette traduction

Traduction par Auguste Dietrich.
Félix Alcan (Parerga et Paralipomena, vol. 1p. 20-23).

NOTE SUR CETTE TRADUCTION


Les œuvres suivantes de Schopenhauer ont été traduites en français : Le monde comme volonté et comme représentation, par A. Burdeau (3 vol. in-8o) ; La quadruple racine du principe de la raison suffisante, par J.-A. Cantacuzène (1 vol. in-8o) ; les « Deux problèmes fondamentaux de la morale », en deux volumes : le premier, sous le titre d’Essai sur le libre arbitre, qui renferme le mémoire couronné par la Société royale de Drontheim, traduit par M. Salomon Reinach ; le second, qui contient le mémoire « non couronné » adressé à l’Académie des sciences de Copenhague, Le fondement de la morale, par A. Burdeau. Quant aux Parerga et Paralipomena, il n’en existe pas encore de traduction en notre langue. On n’en possède en français que les Aphorismes sur la sagesse dans la vie, un des essais les plus étendus et les plus intéressants, traduit par J.-A. Cantacuzène, et les deux chapitres fameux sur les « Douleurs du monde » et les « Femmes », qui forment la majeure partie du petit volume publié par M. Jean Bourdeau sous le titre de Pensées, maximes et fragments de Schopenhauer[1].

Nous nous proposons de combler cette lacune incontestablement regrettable pour les amateurs de Schopenhauer qui ne peuvent pas le lire en allemand, et de donner au public français les Parerga et Paralipomena dans leur intégralité. Disons tout de suite que nous éviterons le reproche adressé par notre philosophe aux traducteurs, « qui corrigent et remanient à la fois leur auteur » ; notre traduction s’efforcera de reproduire aussi fidèlement que possible l’original. Nous ne nous astreindrons toutefois pas à suivre rigoureusement l’ordre des matières de l’ouvrage. Outre que cet ordre nous semble en effet assez discutable au point de vue logique, il a l’inconvénient d’éparpiller des sujets qui, groupés ensemble, ne peuvent que captiver d’autant plus l’intérêt des lecteurs. Nous pensons aussi que ceux-ci se promèneront plus à l’aise et avec plus d’agrément dans la vaste forêt d’idées de Schopenhauer, quand ils verront s’ouvrir devant eux des sentiers mieux alignés, tracés avec plus de régularité et de soin que primitivement. Ainsi donc, à la suite de ce premier volume : Écrivains et style, viendra une série d’autres volumes sous ces rubriques approximatives, que nous établirons une à une en son lieu : « religion », « philosophie et philosophes », « éthique », « droit et politique », « sur la nature humaine », « essai sur les apparitions », « opuscules divers », etc. En couronnant le tout par la traduction de La volonté dans la nature, travail très important qui, aujourd’hui encore, n’a rien perdu de son intérêt, et qui n’a pas non plus passé dans notre langue, cela fera environ sept ou huit volumes qui compléteront l’œuvre du grand philosophe allemand en français, et constitueront une sorte d’encyclopédie à la fois profonde et piquante, idéaliste et pratique, de presque tous les problèmes de l’existence humaine. Veuille la Nature, ce génie malicieux dont notre pessimiste a si subtilement dévoilé les ruses et les embûches, nous accorder encore le temps nécessaire pour mener à bien notre tâche !

Schopenhauer n’a pas donné lui-même d’édition complète de ses œuvres. Cependant, quand la gloire eut commencé à lui sourire, il songea à en préparer une. Déjà vieux à ce moment, et sentant qu’il fallait laisser là « les longs espoirs et les vastes pensées », il confia à son fidèle Frauenstædt le soin de transmettre à ses lieu et place à la postérité, s’il venait à disparaître avant d’avoir pu le faire lui-même, son « message » sous sa forme définitive. Dans un projet de préface pour l’édition en vue, il fulmine cet anathème contre ceux qui ne se conformeraient pas strictement à ses volontés à ce sujet : « Profondément indigné par la mutilation honteuse que des milliers de mauvais écrivains et d’hommes sans jugement font subir méthodiquement et con amore, avec autant de zèle que d’inintelligence, depuis une série d’années, à la langue allemande, je me vois contraint à la déclaration suivante : « J’adresse ma malédiction à toute personne qui, dans les futures réimpressions de mes ouvrages, y changera sciemment n’importe quoi, ou une phrase, ou un seul mot, une syllabe, une lettre, un signe de ponctuation[2]. » Il indique en même temps lui-même l’ordre dans lequel doivent se suivre ses écrits. Frauenstædt, qui publia en 1873-74, en six volumes, chez Brockhaus, la première édition des œuvres de son maître, fut loin de suivre à la lettre ses recommandations, et son travail a été, sous divers rapports, l’objet de critiques assez sévères. Édouard Grisebach, le « schopenhauérien » le plus actif et le plus avisé de notre époque, en a donné, à partir de 1890, une autre édition en dix volumes, bien plus complète et très supérieure, et qui constitue un véritable travail critique ; elle fait partie de cette excellente « Universal-Bibliothek » populaire de Philippe Reclam, qui, déjà riche de près de cinq mille volumes, rend de si grands services à tous ceux qui, en tout lieu de la terre, lisent l’allemand ; elle atteste de quelle popularité jouit désormais Schopenhauer parmi ses compatriotes. Il en existe enfin une troisième édition due aux soins de Rudolf Steiner (1894, Cotta), en douze volumes. Les Parerga et Paralipomena y occupent les tomes VIII à XI. Elle est d’un usage commode, et le texte en est également bien établi. C’est celle que nous avons suivie, en la contrôlant, le cas échéant, sur celle de Grisebach. Aux œuvres proprement dites il faut ajouter les deux recueils de Lettres de notre philosophe, l’un publié par Ludwig Schemann en 1893, l’autre par Grisebach en 1894.

La « littérature » schopenhauérienne — biographies, études du système, articles de revues — forme actuellement une bibliothèque, à laquelle peut déjà s’appliquer, en le détournant de Shakespeare au philosophe de Francfort, le mot de Gœthe : « Schopenhauer, et pas de fin ! » Bornons-nous à mentionner ici quelques-uns des travaux les plus importants dont l’auteur du Monde comme volonté et comme représentation a été l’objet. Toute biographie de celui-ci doit être fondée sur les matériaux fournis par Wilhelm Gwinner dans son livre intitulé : Schopenhauer’s Leben (2e édition, 1878, Brockhaus) ; ce volume in-8o de 660 pages est riche en documents de première main. Le travail plus succinct d’Édouard Grisebach, publié en 1897 dans le recueil de biographies qui porte la rubrique de Geisteshelden (Héros intellectuels), est écrit avec une chaleur de conviction communicative qui en rend la lecture bien plus attrayante que celle du livre de W. Gwinner. Il se complète par les Schopenhauer’s Gespræche und Selbstgespræche, publiés l’année suivante par le même écrivain. En France, les deux études les plus importantes sur le sujet sont La philosophie de Schopenhauer, par M. Th. Ribot (10e édition, 1903, Félix Alcan), livre court, mais fort de choses, comme tout ce qui sort de la plume de l’éminent philosophe, et Schopenhauer : l’homme et le philosophe, par M. A. Bossert (1904, Hachette), un exposé d’une belle tenue littéraire. Dès 1883, M. Louis Ducros avait présenté à la Sorbonne une thèse intitulée : Schopenhauer, les origines de sa métaphysique, ou les transformations de la chose en soi de Kant à Schopenhauer. Citons, en Italie, les chapitres consacrés au pessimiste allemand par M. Giacomo Barzellotti dans son livre Santi, Solitari e Filosofi. En Angleterre, nous signalerons les recherches approfondies de William Caldwell : Schopenhauer’s System in its philosophical Significance (1896), et le petit livre original et suggestif de W. Wallace, professeur de philosophie morale à Oxford : Life of Arthur Schopenhauer. La Geschichte der Philosophie de Schwegler contient un court résumé très lucide de sa doctrine. La lecture de ces divers ouvrages suffit amplement à faire connaître et comprendre le philosophe et son œuvre.

A. D.

  1. Tous ces ouvrages ont été publiés par la librairie Félix Alcan.
  2. Schopenhauer’s Werke, édition Ed. Grisebach, t. VI, p. 281.