Écrits de jeunesse (Marcel Schwob)/Traductions/Préface à “Leaves of Grass”

Préface à “Leaves of Grass”
Texte établi par Pierre ChampionTypographie François Bernouard (Écrits de jeunesse de Marcel Schwobp. 92-93).

Préface à “Leaves of Grass”


L’Amérique ne repousse pas le passé, ou ce qu’il a produit parmi ses formes, ou parmi d’autres systèmes politiques, ou l’idée de castes, ou les anciennes religions ; elle accepte la leçon avec calme ; elle n’est pas si impatiente qu’on l’a supposé parce qu’il y a encore de la gangue collée aux opinions, aux mœurs et à la littérature, tandis que la vie qui avait servi aux besoins de cette matière morte a passé dans la nouvelle vie des nouvelles formes ; elle voit bien qu’on emporte lentement le cadavre des salles à manger et des chambres à coucher de la maison, elle voit bien qu’il attend un instant à la porte, qu’il était très approprié à son temps, que son action est descendue dans l’héritier vigoureux et bien formé qui approche, et qui sera très approprié à son temps.

Les Américains, de toutes les nations de tous les temps sur terre, ont sans doute la plus pleine nature poétique. Les États-Unis sont eux-mêmes essentiellement le plus grand poëme. Dans l’histoire de la Terre jusque-là, les choses les plus grandes et les plus actives paraissent humbles et rangées devant cette grandeur et cette action plus amples. Voici enfin dans les faits humains de quoi correspondre aux larges faits du jour et de la nuit. Voici, non simplement une nation, mais une nation ouvrière de nations. Voici l’action détachée de ses biens, nécessairement aveugle au particulier et aux détails, se mouvant magnifiquement en vastes masses. Voici l’hospitalité qui pour toujours indique les héros. Voici…