Économie rurale de la Belgique
Revue des Deux Mondes, 2e périodetome 33 (p. 617-644).
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II.

LA CAMPINE ET LA HESBAYE.


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I.

Nulle part peut-être mieux que dans les deux régions de la Belgique connues sous les noms de Campine et de Hesbaye, on ne voit la culture belge habile à varier ses procédés sous l’influence de conditions naturelles différentes, maintenant ainsi son caractère original en dépit de la tendance vers l’uniformité qui se manifeste de plus en plus dans les pratiques agricoles de l’Europe. En visitant les Flandres, nous avons déjà indiqué le contraste que présentent la culture des terres fortes qui bordent la Mer du Nord et celle des terres légères de l’intérieur. Aujourd’hui, en parcourant une autre partie de la Belgique, nous verrons cette opposition se reproduire sur une plus grande échelle et en traits plus prononcés. Dans les deux régions de la Campine et de la Hesbaye, la constitution physique est très différente, et les modes de culture, très différens aussi, s’expliquent surtout par la diversité des terrains où s’exerce le travail agricole. La première est une contrée sablonneuse, la seconde un pays de terres argileuses.

Au nord des plaines fertiles de la Belgique centrale s’étend une vaste lande qui, dépassant les limites mêmes du royaume, se prolonge au loin dans les Pays-Bas. Bornée à l’ouest par les eaux des embouchures multiples de l’Escaut et à l’est par la Meuse, elle comprend à peu près tout le territoire des provinces belges d’Anvers et du Limbourg. Cette région s’appelle la Campine, nom dont l’origine vient du mot kämpen, qui, dans toute l’antique Germanie, désignait les terres vagues et communes où l’on menait paître les troupeaux de la tribu, les marches inhabitées qui servaient de frontière entre des peuplades toujours en guerre quand elles n’étaient pas séparées par un désert. Ici en effet était la marche, le border, qui séparait la confédération des Bataves, des Frisons et des Chauques, fixés aux bords de la Sala et du lac Flevo, du groupe des Nerviens, des Éburons et des Aduatiques, — les hommes de la mer et des côtes des habitans des collines et des bois.

La Campine présente encore de nos jours l’aspect que devait offrir dans les temps reculés la plus grande partie des Flandres. C’est une bruyère à perte de vue au milieu de laquelle s’élèvent de loin en loin de rians villages entourés de champs cultivés qui fournissent aux habitans leurs moyens de subsistance, et qui forment comme autant d’oasis verdoyantes. Dans les espaces très étendus que la charrue n’a pas effleurés, on reconnaît aussitôt la stérilité de la grande plaine de l’Europe du nord, dont les extrémités occidentales pénètrent jusque dans les Flandres. On voit que les élémens de la vie organique existent à peine : aucun arbre ne croît spontanément, pas même le genévrier ou le pin, qui se contentent pourtant des terrains les plus médiocres. Les sucs nourriciers que renferme le sol semblent presque insuffisans pour le développement des plus humbles arbrisseaux : quelques ajoncs, des genêts, des myricées sont les plus grands représentans du règne végétal. Toutes les feuilles ont quelque chose de fin, de léger et de ligneux qui leur donne souvent l’apparence d’aiguilles minces et pointues. Même les graminées ne balancent pas ici comme ailleurs, au souffle de la brise, leurs tiges souples et gracieuses ; celles qu’on trouve se dressent raides et dures. Les plantes les plus sobres et les plus rustiques parviennent seules à vivre dans le sable aride, et encore, pour résister à la sécheresse des étés et à la fureur des vents, se groupent-elles par familles. Les bruyères dominent et caractérisent le paysage, auquel elles prêtent tour à tour une teinte rosée quand le mois de Juillet vient ouvrir leurs corolles où butine l’abeille, et une couleur sombre et noirâtre quand l’automne a séché leurs graines et roussi leurs petites feuilles persistantes. Au premier coup d’œil, on découvre que, dans le sol, la maigre silice est en excès, et qu’il y manque la quantité d’argile nécessaire pour communiquer à la végétation la grâce, l’ampleur et la force. Rien ne s’épanouit et ne se développe pleinement ; tout est sec, petit ou malingre ; c’est la nature affamée sous son vêtement d’indigence.

Le pays est tout à fait plat et s’élève à peine, dans ses parties les plus hautes, à une cinquantaine de mètres au-dessus du niveau de la mer ; mais il est traversé dans toute sa longueur, depuis la Meuse jusqu’à Anvers, par une file de dunes complètement dénudées dont le sable blanc et fin se meut sous l’action du vent, au point de couvrir souvent les routes et les terres cultivées qui se trouvent dans le voisinage. Dans toutes les dépressions de terrain, les eaux de pluie, retenues par la nature imperméable du sous-sol, forment des marais qui attirent de loin le regard par la fraîche verdure de leurs plantes aquatiques ; mais malheur au voyageur égaré au milieu de ces fondrières, qui en certains endroits, comme au nord de Hasselt, couvrent d’immenses étendues ! Peu à peu, comblé par les détritus végétaux, le marais présente à sa surface l’aspect d’une belle prairie ; le sol paraît ferme, on croit pouvoir s’y avancer sans danger : tout à coup le lacis spongieux des mousses et des racines qui forment le tapis élastique sur lequel on marche se déchire, et on disparaît dans la fange tourbeuse qu’il recouvrait. Partout à peu près où le niveau du terrain permet de dessécher ces marécages, on en extrait de la tourbe. Une société s’est même formée pour mettre à sec une grande partie de l’immense marais de Peel, qui comprend plusieurs milliers d’hectares. Comme il est situé sur un plateau relativement assez élevé, l’opération peut se faire sans trop de difficultés, et, par le canal qui sert à l’écoulement des eaux, on transporte déjà des quantités considérables de combustible.

On conçoit que les vastes bruyères coupées de dunes et de marais dont nous venons d’indiquer les principaux caractères fassent le désespoir de l’agronome qui ne songe qu’à les transformer en champs productifs ; mais elles exercent un grand attrait sur les âmes poétiques, qui aiment l’aspect sauvage et primitif de cette contrée malgré sa tristesse calme et ses monotones solitudes. Elle a fourni plus d’une inspiration heureuse à la littérature nationale, et les lecteurs de la Revue[1] se rappelleront sans doute que c’est dans la Campine qu’un romancier flamand, M. Hendrik Conscience, a placé le théâtre de ses récits simples et touchans, où il a su rendre mieux que personne le caractère particulier de ce pays. Les peintres aussi se plaisent à reproduire sur leurs toiles ces grands horizons mélancoliques, surtout aux heures du soir, quand le soleil, se couchant derrière un groupe de pins, éclaire vaguement la plaine vide de ses rayons obliques qui empourprent encore les nuages, et que reflètent les eaux de quelque mare déjà ensevelie dans l’ombre.

Les documens nous manquent pour suivre les vicissitudes de l’agriculture campinoise pendant les premiers temps du moyen âge. Après avoir quitté les bords de la Sala, les Francs, comme on sait, occupèrent la Campine jusqu’à la lisière de la grande forêt charbonnière qu’ils devaient traverser pour entrer dans la Gaule, et des observateurs non prévenus ont noté chez les populations de la Campine orientale des nuances dans le caractère, dans les habitudes et dans la constitution physique qui sembleraient marquer encore la trace du passage des Saliens. Quand le christianisme eut mis fin aux luttes incessantes des tribus, la lande presque inhabitée se peupla peu à peu, et dans le XIe et le XIIe siècle de puissantes abbayes établies dans la contrée étendirent de proche en proche les défrichemens autour d’elles. Celles d’Averbode, de Postel, de Tongerloo, les prieurés de Korssendonck, de Troon et d’Achel employèrent sans relâche une partie de leurs revenus à mettre en culture des terres vagues et à planter des forêts, dont plusieurs existent encore. Les religieux faisaient préparer et labourer les terres nouvelles pendant quelques années, et quand ils les avaient portées à un degré suffisant de fertilité, ils y bâtissaient des fermes qu’ils confiaient avec le cheptel à des métayers moyennant des conditions point trop dures et assez fixes. Peu à peu on voit ces métayers devenir fermiers, puis des redevances en argent s’ajouter à celles en nature, et enfin remplacer à peu près complètement celles-ci. À en juger par les proportions des églises qui élèvent encore aujourd’hui leurs nefs gothiques au milieu de plus d’un village dont la population ne suffit plus à les remplir, il semble que la Campine ait atteint, vers la fin du moyen âge, un remarquable degré de prospérité agricole. Au XVIe siècle, pendant les longues luttes de l’émancipation des Provinces-Unies, elle fut le théâtre de combats continuels, toujours disputée et toujours ravagée, tantôt par les troupes hollandaises, tantôt par les bandes espagnoles. Dans les momens de trêve et surtout après la paix conclue, la population revint, mais décimée ; les habitations se relevèrent, mais moins nombreuses ; les champs furent rendus à la culture, mais la bruyère avait repris et a conservé jusqu’à nos jours son empire naturel en bien des lieux jadis fertiles en moissons. Depuis une vingtaine d’années enfin, l’attention du gouvernement et des particuliers s’est fixée sur la Campine ; des routes ont été ouvertes, des voies navigables complétées, étendues, d’autres créées, des eaux d’irrigation mises à la disposition des riverains. Des biens communaux exposés en vente ont été acquis par des propriétaires aisés qui, ajoutant au prix d’achat un capital dix ou douze fois plus considérable, ont bâti des fermes, semé et planté des bois, fertilisé des terres. De vastes domaines parfaitement exploités se sont ainsi formés aux mains de personnes opulentes, et rien n’a été négligé pour en augmenter la valeur. Ces efforts intelligens et soutenus ont été en général couronnés de succès. Néanmoins, pour faire entrevoir les mérites de l’œuvre accomplie, il faut signaler les obstacles qu’on a dû vaincre et les échecs mêmes qui ont précédé des tentatives plus heureuses. La fertilisation des landes de la Campine présente des difficultés dont l’agronome seul peut bien se rendre compte, qu’il importe de faire ressortir, afin qu’on puisse mieux apprécier le mode de culture adopté par les habitans de cette contrée ingrate et les procédés qu’ils ont mis en œuvre pour lui arracher leurs moyens de subsistance.

Quand l’homme se trouve en présence d’une terre qui spontanément se couvre de grandes herbes ou d’arbres vigoureux, comme par exemple, en Amérique, le bassin du Mississipi, il n’a nulle peine à lui faire produire ce que réclament ses besoins. Le sol renferme tous les élémens de la végétation : le cultivateur n’a donc qu’à lui confier les semences des plantes nécessaires à son alimentation ou à celle de ses animaux domestiques, puis à entretenir la fertilité naturelle, et il récoltera indéfiniment d’abondantes moissons. La force existe dans le sein de la terre, il suffit de la diriger. Mais si l’homme se transporte au milieu de landes stériles, les conditions sont bien différentes. Les plantes que le sol produit naturellement sont trop sèches, trop peu succulentes pour la nourriture du gros bétail ; on aura beau labourer le sable et lui confier la semence des grains dont on doit vivre, c’est à peine si l’on récoltera celle qu’on a jetée dans le sillon, quand par bonheur elle n’aura pas été noyée par les eaux ou brûlée par les feux du soleil. La force indispensable pour que la terre donne naissance à une ample production végétale lui manque : il faut donc la lui communiquer. Suffira-t-il de la retourner sans cesse, de l’imprégner, pour ainsi dire, de ses sueurs, pour lui donner les qualités qu’elle n’a pas ? Quel sera le point de départ de la rotation successive des récoltes et des fumures, le premier acte de cet enchaînement de productions et de restitutions que présente toute culture bien conduite ? Sous un climat plus propice, dans un terrain meilleur, un repos d’une ou de plusieurs années suffit pour rendre au sol la propriété de produire une récolte nouvelle ; mais ici ce qui fait défaut, ce qu’il faut créer tout d’abord, ce sont les élémens mêmes de la fécondité. On sait déjà comment le problème a été résolu en Flandre, grâce à l’association de l’industrie et de l’agriculture, grâce aussi aux capitaux de villes considérables répandues sur tout le territoire et aux voies de communication de bonne heure ouvertes par le commerce ; mais la Campine n’a eu aucun de ces avantages. Le commerce avec les pays voisins était impossible, on n’avait rien à leur envoyer. Le travail de fabrication se réduisait à quelques industries locales qui répondaient aux besoins très simples des habitans. De gros villages et quelques bourgs constituaient les centres de consommation les plus notables. Il régnait une sorte d’aisance rustique, mais les capitaux disponibles étaient extrêmement rares. La difficulté des relations avec le reste du pays était si grande que les denrées agricoles restaient à peu près au même prix qu’au moyen âge, et que jusque vers 1830 le seigle se vendait à 5 et 6 francs l’hectolitre dans des localités relativement importantes. Le problème de la mise en culture des landes a donc été résolu ici dans des conditions tout autres qu’en Flandre : c’est l’agriculture abandonnée à elle-même qui a tout fait.

Une preuve sans réplique de la difficulté d’une semblable conquête, ce sont les échecs répétés qu’ont essuyés tous ceux qui ont voulu la brusquer, et qui, se confiant dans la puissance du capital, ont prétendu mettre en rapport en peu de temps une grande étendue de bruyères. Au nord d’Anvers, entre les villages de Braschaet et de Wustwesel, les paysans vous montreront une terre en friche dont le nom de mauvais augure, Mishagen, rappelle l’insuccès éclatant d’un grand seigneur du siècle passé, le baron de Proli, commandant de l’Escaut au service de l’Autriche. Près de Kalmpthoudt, on vous parlera de la compagnie Follet, qui, après des dépenses considérables, fut obligée de revendre ses propriétés à un prix cinquante fois inférieur aux sommes avancées. On vous citera un exemple plus mémorable encore, celui de la société de bienfaisance fondée en 1818 avec le concours du gouvernement hollandais. Elle acheta 1,000 hectares dans les communes de Wortel, Merxplas et Ryckevorsel, et après avoir dépensé en quatorze ans plus de 5 millions de francs, elle ne parvint à conquérir à la culture, d’une manière définitive, que 125 hectares. Cette société avait voulu créer de grandes fermes peuplées avec le personnel des dépôts de mendicité. En 1847, sous les auspices du gouvernement belge, une nouvelle tentative de colonisation fut faite, cette fois au moyen de petites fermes de 5 hectares, dont 1 hectare déjà fumé et emblavé, 1 hectare de prairie irriguée, et 3 hectares de bruyères. Ces petites fermes, situées dans la commune de Lommel, étaient louées à des familles de cultivateurs pour un terme de trente ans, avec des conditions si favorables, qu’en payant un léger amortissement, les fermiers demeuraient propriétaires à l’expiration du bail. Ces combinaisons semblaient parfaites, et pourtant jusqu’à présent le succès n’a point tout à fait répondu aux espérances qu’on avait conçues. D’autres sociétés qui avaient en vue non une œuvre de bienfaisance à accomplir, mais une spéculation à faire, n’ont pas été plus heureuses, à en juger du moins par les résultats acquis.

Ces tentatives répétées et les échecs auxquels elles ont abouti ne surprendront pas celui qui a visité la Campine avec quelque attention. Après avoir marché longtemps dans une lande nue et désolée, on. rencontre tout à coup, à l’approche des villages, des champs couverts de moissons magnifiques. À côté du sable aride que cache à peine la bruyère, on voit des seigles pliant sous le poids de l’épi dont le grain gonflé déborde, des pommes de terre à la fane luxuriante et d’un vert tout noir de vigueur, des trèfles aux tiges drues et aux larges feuilles qui couvrent le sol d’un épais manteau de verdure. D’une stérilité à peu près absolue, on passe presque sans transition à une fécondité qui étonne. Le contraste est si frappant que l’on se demande tout d’abord par quel miracle s’est accomplie la transformation ; puis, quand on s’est convaincu que le sol de la lande et celui des champs cultivés sont exactement de même qualité, pour peu qu’on ait le goût des conquêtes agronomiques, on sera tenté d’essayer à son tour d’accomplir ce miracle et de fertiliser la bruyère ; mais qu’il y prenne garde, celui qui n’a pas les connaissances, les ressources et surtout la persistance nécessaires pour dompter la nature rebelle ! La lande engloutira son avoir aussi sûrement que les tourbières engloutissent le voyageur imprudent qui s’y est engagé sans les connaître. Pline dit à ce sujet un mot plein de cette sagesse pratique familière aux Romains : res agrestis insidiosissima cunctanti, rien de plus perfide que l’agriculture pour celui qui s’y livre sans l’énergie qu’elle exige. Quand on récapitule ces insuccès si fréquens et les difficultés que présentent les défrichemens, on voudrait connaître quels sont les procédés qu’emploient les cultivateurs du pays pour réussir là où souvent d’autres échouent. Qu’on nous permette d’entrer dans quelques détails à cet égard.

Parmi les causes spéciales qui expliquent la prospérité et les progrès de l’économie rurale de la Campine, il faut en citer deux qui la distinguent de celle des provinces flamandes : en premier lieu, la combinaison de la culture extensive et de la culture intensive, en second lieu les dispositions particulières de l’étable.

D’après la définition que propose un économiste allemand distingué, M. Roscher, dans un ouvrage publié récemment[2], il faut entendre par culture extensive celle qui relativement applique un petit capital à l’exploitation d’une vaste étendue de terre, par culture intensive au contraire celle qui applique un grand capital à l’exploitation d’une petite étendue. La première est le procédé des populations disséminées et de l’art agricole dans l’enfance ; la seconde est celui des populations denses et d’un art déjà perfectionné. L’une domine en Russie, en Hongrie, dans la campagne romaine, l’autre en Angleterre, en Belgique, en Lombardie, mais on les trouve rarement associées d’une manière aussi intime et aussi heureuse que dans la Campine. Voici en quelques mots la base du système : quand une terre est stérile et maigre, la végétation spontanée qu’elle produit ne suffit pas, ainsi que nous l’avons fait remarquer, à nourrir le bétail dont l’engrais serait indispensable pour communiquer au sol et y entretenir la puissance de donner des récoltes successives ; mais si on rassemble d’une manière ou d’autre les élémens organiques qui croissent sur plusieurs hectares de terrain vague, et si, après les avoir convertis en matières fertilisantes, on les applique sur un seul hectare maintenu en culture permanente, la force initiale est trouvée, la difficulté est vaincue. Or telle est précisément la pratique généralement suivie par les paysans campinois. À chaque exploitation sont attachés soit un certain nombre d’arpens en friche appartenant au propriétaire de la ferme, soit l’usage d’une partie indivise des landes communales. À défaut d’engrais étrangers, dont jusqu’en ces dernières années la difficulté des transports lui interdisait l’emploi, c’est à la vaste étendue des bruyères que le cultivateur emprunte le moyen de donner à ses champs labourés une fumure aussi abondante et d’y récolter des moissons non moins belles qu’en Flandre. C’est dans la bruyère qu’il envoie paître le jeune bétail et les moutons, qui, rentrant la nuit, transforment leur litière en fumier sans demander toute leur nourriture aux terres en culture. C’est dans la bruyère qu’il va chercher son combustible ou qu’il recueille les végétaux qui, décomposés, viennent augmenter la masse d’engrais dont il dispose. Ainsi donc, soit par la consommation des troupeaux, soit par l’incinération, soit par la fermentation, toute la végétation de la lande vient se concentrer sur l’étendue de la terre cultivée, qui est portée de cette façon à un haut degré de fécondité malgré sa stérilité naturelle. On obtient donc ainsi, par suite d’une telle méthode, une culture vraiment intensive, grâce au véritable capital agricole, l’engrais, qu’on peut largement appliquer à l’exploitation.

Après avoir vu comment les procédés des cultures primitives s’associent dans la Campine à ceux d’un art agricole très perfectionné, examinons les dispositions particulières que présente la ferme, et surtout ne dédaignons pas de visiter l’étable. En effet, si l’on peut comparer une exploitation rurale à une sorte de manufacture qui produit les denrées qui font vivre la société entière, il faut reconnaître que l’étable est le foyer où se développe la force qui communique à tout le mouvement et la vie. C’est là que s’opèrent les mystérieuses décompositions de la chimie organique, c’est là que s’élaborent les principes de chaleur qui vont donner le branle à la rotation successive des récoltes. De même que dans une fabrique la production dépend de la puissance de la machine à vapeur, ainsi dans une ferme les forces productives sont généralement en rapport avec l’importance de l’étable. L’étable campinoise ressemble à ces écuries des maîtres hollandais, aux grosses charpentes brunies, tout encombrées de fourrages, aux profondeurs chaudes et lumineuses, où l’on entrevoit une vache paisible qui rumine, des poules qui se secouent et s’étirent sous un rayon de soleil, à côté d’un vieux cheval blanc à moitié endormi devant sa mangeoire. Les dimensions de l’étable sont relativement très vastes, parce qu’elle contient à la fois tout le gros bétail et le fumier qu’il produit pendant plusieurs mois. Le long du mur mitoyen de l’habitation et de l’une des parois latérales est établie une espèce de plate-forme élevée au-dessus du sol de deux ou trois pieds ; c’est sur ce trottoir, toujours tenu très propre, que circule la fermière pour donner leur nourriture et leur boisson aux vaches placées en contre-bas, la tête attachée entre deux montans de bois. De l’autre côté sont les chevaux et les jeunes bêtes. Le fond de l’étable est creusé au-dessous du niveau du sol, et dans cette excavation s’accumule le fumier en couches successives. On y place d’abord de la terre, des genêts, des gazons, des aiguilles de sapins et des mottes de bruyères destinés à s’imbiber de l’engrais liquide, qui n’est pas recueilli ici dans des fosses à purin. Au-dessus de ce premier dépôt se superpose la litière des animaux, qui peu à peu exhausse la masse sur laquelle ils séjournent. De temps à autre, pour arrêter l’émanation des gaz ammoniacaux, on ajoute une nouvelle couche de végétaux et de gazons que le cultivateur recueille avec le plus grand soin partout où il en peut trouver : à cet effet, il pèle la lande, il approfondit les fossés, il coupe les mottes d’herbe qui croissent le long des chemins et entre les arbres ; de tous côtés il fait ramasser les feuilles, mortes, souvent même il enlève des tranches de terre dans ses prairies et jusque dans ses champs cultivés. À vrai dire, c’est la superficie du sol qu’il transporte dans l’étable pour la mêler aux pailles décomposées, pour l’imbiber de sucs fertilisans, pour la pénétrer de vie et de chaleur animales, et qu’il reporte ensuite en plein air, préparée ainsi à se couvrir de riches moissons. Le fumier fabriqué à couvert par cette méthode, et contenant à la fois la litière des chevaux et celle des vaches, est bien supérieur, on le comprend, à celui qu’on accumule dans les cours ouvertes des fermes ordinaires, où il est lavé par les pluies et détrempé par les eaux de la mare. Le système est excellent ; il permet de compter sur cinquante ou soixante voitures de fumier, soit de 35 à 40,000 kilos d’engrais dans l’année par bête à corne nourrie à l’étable, et il a reçu les éloges motivés d’autorités agronomiques telles que Schwerz et Mathieu de Dombasle. Ce dernier fit même imiter les dispositions des fermes campinoises dans l’établissement de Roville, et il en constate avec détail les résultats avantageux dans ses Annales.

Trois grandes portes s’ouvrent dans l’étable que nous venons de décrire. Les deux premières servent d’issue aux voitures qui emportent le fumier ; la troisième fait communiquer la plate-forme avec la pièce principale de la maison du fermier. Là, dans une cheminée énorme, dont l’âtre mesure au moins douze ou quinze pieds, est suspendue une gigantesque chaudière où cuit le mélange de navets, de pommes de terre et de tourteaux destiné aux vaches. Comme il serait impossible de transporter à bras d’homme cette marmite cyclopéenne, elle est soutenue par une sorte de grue faite grossièrement en madriers de chêne fixés dans le foyer et tout couverts d’une couche épaisse de suie et de fumée. À l’heure des repas, cette machine informe, mais ingénieuse, tourne sur ses tourillons, la porte de l’étable s’ouvre, la poutre horizontale y pénètre, et, semblable au bras de fer d’un géant, transporte la pâture jusqu’auprès des auges des animaux, qui mugissent de satisfaction quand ils entendent les grincemens accoutumés de la manœuvre quotidienne. La grande pièce dont l’immense cheminée occupe toute une paroi sert à la fois de salle de réunion, de réfectoire pour les ouvriers et d’atelier pour toutes les préparations de l’exploitation. C’est même là qu’on bat le beurre, et dans un coin on remarque la baratte, mise en mouvement d’ordinaire par une énorme roue placée hors de la maison, et que fait tourner le chien de garde.

Les fermes de la Campine n’ont point l’aspect coquet et soigné que présentent souvent celles des Flandres. Les vergers sont plus rares, les pelouses et les clôtures moins bien entretenues ; les fleurs exotiques ne résistent guère aux rudes coups des rafales d’hiver, et les vives peintures des portes et des volets n’attirent point ici l’œil du passant. C’est que le passant est rare, et qu’avant de songer à le charmer il faut penser avant tout à soutenir une lutte incessante contre une nature hostile. De grands toits de chaume, qui descendent presque jusqu’à terre, semblent envelopper toute la demeure d’un manteau épais et sombre. Souvent même les murs des étables et le côté de la maison qui est exposé aux vents les plus violens sont garnis extérieurement d’une sorte de rempart en gazon de bruyère qui repousse le froid et l’humidité. L’ensemble a quelque chose de triste et de sévère qui indique un état de guerre permanent contre l’aridité du sol et contre l’âpreté des élémens. Les villages cependant n’ont rien de l’aspect un peu sombre des fermes. Avec leurs maisons bien entretenues, leur vaste place ombragée de noyers ou de tilleuls, leur haute église, et d’ordinaire avec quelques jardins qui embellissent leurs approches, ils ne sont inférieurs sous aucun rapport à ceux des Flandres. Comme la population est moins dense, il y a moins de pauvres, et, quoique la richesse soit moindre, il règne ici autant d’aisance, parce que les denrées sont à bas prix. Les salaires sont peu élevés, 95 centimes ou 1 franc par jour, et néanmoins l’ouvrier a moins de privations à subir, parce que la lande communale lui permet d’entretenir des chèvres ou même une vache. Les produits agricoles sont d’excellente qualité, la vie matérielle ne laisse rien à désirer, et le voyageur trouve partout, jusque dans le plus petit village, bon accueil et relativement bon gîte, bonne chère et lit propre. L’auteur d’une récente étude agronomique sur la Campine[3] compare avec raison cette contrée à ces pauvres souvent cités, qui, vieux et décharnés, inspirent la pitié, quoiqu’à leur mort on trouve leur lit garni de sacs d’écus. La lande porte la livrée de la misère et du dénûment ; mais les champs cultivés sont riches, et le bien-être est réel : « triste enseigne, mais en fin de compte meilleur logis qu’on ne le prévoit. » Les populations de la Campine sont simples, laborieuses, et, comme toutes celles qui vivent isolées, extrêmement attachées à leurs anciens usages et à leurs vieilles traditions. Adonnées avec passion à tous les travaux de la campagne, elles se plaisent dans leur lutte avec la nature qui les entoure et dans leurs conquêtes sur la bruyère. Sous un extérieur patient et doux, elles cachent un cœur fier et indépendant, et plus d’une fois, jusqu’en des temps assez rapprochés de nous, elles ont donné des preuves de leur résolution et de leur valeur. C’est ainsi que pendant la révolution brabançonne les habitans de Turnhout et des environs défirent une division autrichienne qui venait soumettre le pays, et que lors de l’invasion des armées françaises, ces Vendéens de la Belgique, soulevés à la voix de leurs prêtres, organisèrent la guerre des paysans, et se battirent en désespérés contre les bataillons républicains.

Mais pour bien connaître le paysan campinois, pour se renfermer aussi dans le sujet de ces études, c’est la lutte de l’homme contre la nature qu’il faut observer. Comme le cultivateur ici n’a pas à sa disposition les engrais liquides pour stimuler les récoltes au printemps ou pendant les chaleurs de l’été, il faut qu’il prépare des mélanges de diverses matières et qu’il fasse ainsi des composts dont les propriétés sont variées avec art selon les produits auxquels on les destine, les uns actifs et frais pour les pommes de terre, les autres d’une action lente et durable pour le regain des prairies, d’autres encore bien décomposés, chauds et énergiques, pour les seigles. La fabrication des engrais, conduite avec une science toute pratique, mais qu’un chimiste ne désavouerait pas, est l’occupation journalière du paysan campinois, qui sous ce rapport l’emporte même sur celui des Flandres, car il connaît mieux par expérience les phénomènes de ce laboratoire mystérieux où fermente la vie végétale et où s’organisent les élémens des moissons. Ici également on demande au même champ deux récoltes dans la même année, et le tiers à peu près de la superficie emblavée donne ainsi des plantes fourragères après les céréales. Les plantes fourragères sont comme en Flandre des carottes semées dans le seigle, des choux, des blés coupés en vert, des navets, mais surtout de la spergule[4]. Depuis quelques années, on sème aussi avec avantage une légumineuse d’une espèce particulière, la séradelle, l’ornnithopus perpusillus des botanistes, qui, moins épuisante que le trèfle ordinaire, peut alterner avec celui-ci. Parmi les céréales domine le seigle, dont on fait le pain noir que consomment uniquement les populations rurales ; mais c’est à peine s’il faut citer le froment, qu’on ne récolte que comme une denrée de luxe : l’avoine et le sarrasin occupent au contraire une place importante. En fait de plantes industrielles, le colza seul est généralement cultivé. Le lin est de médiocre qualité. Malgré quelques essais qui ont attiré l’attention, il semble constaté que le houblon ne peut donner dans un sol aussi stérile de résultats rémunérateurs, et l’on ne voit guère le tabac que dans les petits jardins où l’ouvrier obtient à force de soins quelques légumes pour sa consommation personnelle.

Parmi les produits spéciaux de la Campine, on compte les asperges, le miel, le beurre, la volaille, et même, le croirait-on ? le vin. L’asperge trouve ici tout ce qui lui convient, le sable qui la rend blanche et l’engrais qui la rend juteuse et grosse. Aussi ce légume pourrait-il donner lieu à une exportation sérieuse vers les grandes villes du pays et de l’étranger. Le miel est excellent et l’éducation des abeilles très bien entendue. Ces insectes trouvent à butiner dans les fleurs du sarrasin et de la bruyère, et vers la fin de l’été des colonies entières de ruches passent successivement d’une lande dans une autre. Les volailles de la Campine sont recherchées sur les marchés de Bruxelles et d’Anvers. C’est là qu’on élève ces poulets du printemps, primeurs de la basse-cour, qu’on appelle poulets de grains, parce que, forcés pour ainsi dire en serre chaude, ils sont nourris uniquement de céréales. Le beurre est le principal objet d’exportation de la Campine. Il est renommé depuis des siècles. « Puisses-tu, s’écriait un ancien poète flamand, conserver toujours ta prospérité, ô terre bénie de la Campine, toi dont le maigre sable nous donne en abondance et du lait gras et du beurre savoureux ! » Loué ainsi par la poésie nationale, et, ce qui vaut peut-être mieux encore, recherché sur le marché de Londres, ce produit permet au cultivateur de réaliser des écus sonnans et de payer son bail. Dans beaucoup de localités, le beurre est vendu publiquement à la criée, fréquemment sous l’abri d’un tilleul séculaire et au milieu du concours des paysans des environs, réunis pour le jour du marché hebdomadaire. Comme le remarque avec raison M. Joigneaux, ce mode de vente est un encouragement naturel et très efficace pour la bonne fabrication, car les fermières dont le beurre atteint le plus haut prix tirent vanité de cette distinction accordée par les suffrages intéressés des acheteurs, tandis que celles dont les produits sont délaissés, punies en même temps dans leur bourse et dans leur amour-propre, s’efforcent de réparer leur échec en redoublant de soins pour nourrir le bétail et pour entretenir la propreté de la baratte.

Si nous avons cité le vin parmi les productions de la Campine, c’est surtout parce que l’on ne s’attend guère à trouver ce fruit du midi à une latitude aussi élevée et sous un climat aussi rude. Au moyen âge, la vigne était cultivée dans la Belgique entière, et dans beaucoup de villages les anciens documens font mention de vignobles. Aujourd’hui on n’en rencontre plus que sur les coteaux des bords de la Meuse et dans les sables de la Campine. Ce sont surtout les abbayes de Westmalle, Averbode, Tongerloo, qui ont conservé ou repris cette culture, parce qu’elles trouvent un débouché spécial dans le clergé, qui achète de préférence pour le service des autels un vin dont la pureté lui est garantie. Dans ces derniers temps, quelques propriétaires ont aussi planté des vignes ; mais il est encore douteux que la valeur de la récolte puisse en couvrir les frais.

Les fermes sont bien garnies de bétail, car on trouve plus d’une tête de bête à cornes par hectare. Les vaches originaires du pays sont petites et légères, elles se ressentent de la maigre chère qu’elles font, lorsqu’étant jeunes elles doivent chercher leur pâture dans la bruyère ; mais la plupart des fermiers remontent en partie leurs étables en achetant des génisses hollandaises. Les chevaux sont de qualité médiocre, mal faits et peu vigoureux. Le nombre en est relativement moins élevé que dans toutes les autres parties de la Belgique, parce qu’on emploie souvent comme bêtes de trait les jeunes bœufs, dont le pied fourchu et les lentes allures conviennent aux labours et aux charrois à exécuter dans le sable. C’est dans les contrées à moitié cultivées que d’ordinaire, on le sait, les moutons sont relativement le plus nombreux. On a donc lieu de s’étonner que dans la Campine le chiffre des bêtes à laine n’atteigne que la moitié de celui qui représente la race bovine, et encore ce chiffre va-t-il en décroissant à mesure que les défrichemens s’étendent. Vers 1830, on comptait encore 1 mouton par 6 hectares de superficie ; aujourd’hui on n’en trouve plus que 1 par 8 hectares. La rareté relative des bêtes à laine tient à ce que la lande, qui leur donne bien l’été un médiocre pâturage, ne peut leur fournir de fourrage pour l’hiver ; on les remplace d’ailleurs par des vaches aussitôt que le progrès de la culture le permet.

Si les cultivateurs campinois l’emportent sur les flamands pour la préparation des engrais, ils leur sont inférieurs pour les assolemens. En effet, tandis que ces derniers ont soin d’intercaler presque toujours entre deux récoltes de céréales une récolte de plantes sarclées, les premiers n’observent pas cette règle essentielle et font souvent porter à leur terre plusieurs produits épuisans sans interruption[5]. Cette faute agronomique est d’autant plus fâcheuse, que le sol, étant peu fertile, a besoin d’être plus ménagé. Les labours et les façons donnés à la terre, les travaux des semailles et de la moisson, les instrumens aratoires sont d’ailleurs semblables à ceux qu’on observe dans les Flandres. On remarque surtout un procédé particulier qui frappe bien vite l’observateur étranger et qui paraît propre aux populations de langue flamande, car aussitôt qu’on franchit la frontière qui sépare les deux races et qu’on pénètre dans le pays wallon, soit aux environs de Tirlemont, soit au sud de Bruxelles, on cesse de le rencontrer. Voici en quoi ce procédé consiste : les champs emblavés, au lieu de présenter une surface unie comme à peu près partout ailleurs, sont divisés en lits ou billons, comme dans un jardin potager. Après qu’on a jeté la semence sur la terre fraîchement labourée et hersée, un ouvrier creuse à la bêche de petites rigoles tirées au cordeau à une distance de deux ou trois mètres, et il éparpille avec soin, en l’émiettant sur les semailles, la terre qui en provient. Ces petits canaux d’écoulement débarrassent rapidement le sol des eaux surabondantes, et les planches qu’ils laissent entre eux, semblables à celles qu’exigent certains légumes, ont l’avantage de permettre à l’air et à la chaleur de pénétrer jusqu’aux racines des blés et d’en favoriser ainsi le développement. Chaque année, les rigoles de l’année précédente sont comblées, et de nouvelles ouvertes à côté, de telle façon qu’au bout d’une certaine période le champ entier a reçu peu à peu un labour profond d’un pied au moins ; le sous-sol a été fertilisé par l’action de l’atmosphère et de la gelée, sans réclamer une grande augmentation de fumier. Certes cette méthode nécessite un surcroît de travail, mais on reconnaît généralement que l’augmentation des frais est couverte par celle du produit.

Nous venons d’indiquer les particularités qui caractérisent l’agriculture de la Campine, restée fidèle jusqu’à ce jour aux traditions anciennes. Les seuls progrès qu’on puisse signaler sont des conquêtes nouvelles faites sur la lande grâce au prix élevé des produits agricoles, du beurre surtout, grâce aussi à l’emploi du guano, l’unique engrais à peu près dont le poids n’empêche pas le transport à de grandes distances. Toutefois, à côté, des exploitations dirigées par les habitans de la contrée, le capital du reste du pays, attiré par la vente des biens communaux, est venu, depuis une quinzaine d’années, en établir de nouvelles, où sont appliqués tous les perfectionnemens les plus récens de l’art agricole. C’est ainsi qu’on rencontre aux environs d’Achel de grandes métairies semblables à celles de la Hollande, dans chacune desquelles on nourrit un troupeau de quarante vaches à lait en vue de la fabrication en grand du fromage ; non loin de Postel, une ferme où l’on a introduit tous les procédés du high-farming à l’anglaise, entre autres la machine à vapeur qui fait mouvoir la batteuse, le tarare, le coupe-racines, le hache-paille, le moulin, et qui sert en même temps à cuire la nourriture du bétail et à distribuer l’eau ; à la Schoorsche-Heide, une exploitation où les engrais liquides sont distribués sur les terres d’après le système Kennedy, c’est-à-dire au moyen d’une pompe foulante, qui, envoyant au loin le purin dans des tuyaux souterrains ; arrose à volonté les récoltes d’une pluie fertilisante ; au Zwart-Goor, un magnifique établissement agricole qui s’élève à l’endroit même où croupissaient, il y a quelques années à peine, les eaux stagnantes d’un marais ; à Weer-Pelt et à Over-Pelt, des prairies qui offrent les combinaisons les plus variées et les plus scientifiques de l’irrigation ; dans maintes localités enfin, des fermes dirigées d’après la méthode flamande combinée avec l’emploi des machines nouvelles. La Campine est devenue ainsi une sorte d’arène agronomique où luttent les champions des différens systèmes de culture, un vaste champ" d’expériences où toutes les inventions nouvelles sont appliquées en même temps et soumises, comme en un concours, à l’épreuve de la pratique.

Cette activité est d’un heureux augure pour l’avenir. Avec le temps, il est à croire que toutes les terres vagues seront mises en rapport, mais à une condition : c’est qu’on se garde des espérances trop flatteuses et qu’on s’arme contre de trop probables déceptions. L’irrigation même, dont les résultats semblaient infaillibles, n’a pas répondu entièrement aux brillantes promesses qu’on avait faites à ce sujet. On avait remarqué que presque tous les villages étaient situés près des ruisseaux et des lieux humides, parce que les prairies naturelles des bas-fonds, nourrissant le bétail de leur végétation spontanée, servaient ainsi de base pour la conquête de la lande. On se proposa donc de suivre la marche indiquée par la nature. Une partie des eaux de la Meuse fut détournée et jetée dans l’Escaut après avoir traversé toute la Campine de l’est à l’ouest. Avec les irrigations ainsi obtenues, on estimait que 25,000 hectares de bruyères pourraient être convertis en prairies fertiles. Le projet était excellent : seulement quelques esprits enthousiastes en exagérèrent la portée. Une formule précise résuma leur système. Avec de l’eau, disaient-ils, on a de l’herbe, avec de l’herbe du bétail, avec du bétail de l’engrais, et avec de l’engrais tout ce que l’on désire. La déduction semblait très juste, et pourtant la nature ne s’empressa point de la réaliser. Au lieu de graminées succulentes, l’eau ne développa presque toujours que les plantes acres et malsaines qui composent la flore des sables humides. Une végétation verdoyante succédait bien à la bruyère, mais la qualité n’était guère meilleure. Il fallut en revenir à l’ancienne méthode et communiquer au sol la force qui lui manque, c’est-à-dire amender et fumer largement, puis irriguer après. Même sous l’influence du soleil du midi, et sur les bonnes terres de l’Aragon et de la Lombardie, on engraisse les prés irrigués : combien cela n’était-il pas plus nécessaire pour une terre sablonneuse située sous un climat humide et froid ? Aussi ceux qui ont voulu avoir de bonnes prairies ont-ils commencé par appliquer à chaque hectare pour 3 ou 500 francs de boues de rue ou de limon de la Meuse amenés par bateaux ; puis ils ont continué à fumer leurs herbages, surtout pendant les premières années. En définitive, le creusement du canal de la Campine et la distribution de ses eaux ont eu des résultats très favorables, mais qui n’ont été atteints qu’au prix d’efforts soutenus et de grandes avances. On peut dire qu’en général les prairies irriguées, malgré le prix d’achat peu élevé du sol, n’ont pas été obtenues à moins de 1,800 ou 2,000 francs par hectare, et quant aux terres soumises à la charrue, si l’on compte le coût des bâtimens et des amendemens de toute espèce, on arrivera à une somme peu inférieure à celle qui vient d’être indiquée. Le seul moyen économique de mettre ici la terre en rapport, c’est d’y semer ou d’y planter des arbres résineux d’après la méthode que nous avons observée dans les Flandres. Des plantations de ce genre ont été faites dans différentes parties de la Campine[6], et souvent sur une très grande échelle. Le bois d’élagage est vendu soit dans le pays même pour chauffer les fours fermés où l’on cuit les briques, soit pour la consommation des boulangeries dans les villes. Depuis l’amélioration des voies de communication, les sapinières, quand le sol a été convenablement préparé, donnent un revenu considérable.

On voit que, malgré les grands travaux exécutés par l’état et par l’initiative intelligente et persévérante des particuliers, le défrichement de la Campine n’a pu avancer que très lentement. En 1849, on y comptait encore 140,000 hectares de terres vagues, dont 80,000 hectares de bruyères communales. Depuis lors, une loi nouvelle est venue permettre au gouvernement d’obliger les communes soit à tirer parti de leurs biens, soit à les vendre. On estime que sous l’empire de cette loi 8,000 hectares de terres vagues appartenant aux communes et soumises à un nouveau mode de jouissance ont été définitivement mis en rapport de 1850 à 1859. Si l’on admet le même chiffre pour les propriétés privées, on arrive à constater qu’on a rendu productifs à peu près 1,600 hectares par an. Ce résultat paraîtra peut-être minime quand on songe aux vastes espaces qui restent à conquérir, mais on ne songera pas à le dédaigner si l’on se rappelle tous les obstacles qu’il faut surmonter à force de sacrifices, d’énergie et de constance.

Quoique la Campine s’étende sur la plus grande partie des deux provinces d’Anvers et du Limbourg, elle n’en occupe point tout le territoire : les cantons méridionaux de ces provinces appartiennent à une zone plus fertile, et pour la culture ils se rapprochent de ceux du centre de la Belgique. Aux environs d’Anvers, la terre est très maigre ; mais le voisinage de cette grande cité commerciale a permis de communiquer au sol une extrême fertilité et de lui appliquer à peu près les procédés de la culture maraîchère. Près de Malines, on rencontre des prairies magnifiques arrosées par les eaux de la Senne et de la Dyle, et des terres cultivées comme celles des Flandres, mais qui se vendent à des prix encore plus élevés, c’est-à-dire au-delà de 5,000 fr. l’hectare. Enfin dans le Limbourg, du côté de Hasselt, Tongres et de Saint-Trond, sur un terrain argileux et profond s’élèvent de grandes fermes où l’on engraisse des bœufs et où l’on cultive la betterave pour les fabriques de sucre, assez nombreuses dans cette partie du pays. On arrive ainsi par des transitions insensibles à la région centrale, qu’il faut maintenant visiter.


II

La Campine nous a montré l’agriculture belge luttant contre la nature. Dans la zone favorisée que nous voudrions décrire, on voit partout au contraire la nature venir en aide au travail de l’homme. Cette région comprend à peu près toute la partie naturellement fertile du territoire belge. Quoique les terrains qui s’y succèdent appartiennent à des époques géologiques différentes et à des formations de plus en plus anciennes à mesure qu’on avance vers l’est, le sol est néanmoins composé presque partout d’une argile plus ou moins mêlée de sable, qui est singulièrement favorable à la culture du froment. Ce qui domine, c’est ce que les géologues nationaux ont appelé le limon hesbayen, parce qu’on le trouve surtout dans la Hesbaye, district très riche et abondant en grains, situé à l’occident de la Meuse, dans la province de Liège. C’est dans ce même district qu’on doit chercher également le type de la culture qu’on rencontre dans le Brabant et dans le Hainaut, de sorte que tant pour la constitution du sol que pour les méthodes agricoles on pourrait donner le nom de région hesbayenne à toute la contrée comprise entre la Cam-pine au nord, la frontière française au midi, les Flandres à l’ouest, la Sambre et la Meuse à l’est. Remarquable pour ses forces productives, cette région est en général la moins pittoresque du royaume, caractère qui lui est commun avec la plupart des terres à froment. La superficie, plissée en larges et insensibles ondulations, offre de vastes plaines nues, légèrement inclinées, aussi favorables à la croissance des moissons qu’au choc des armées. Trop souvent en effet ces champs couverts d’épis ont été arrosés de sang humain, et on traverse ici plus d’un village qui a eu le fatal honneur de donner son nom à l’une de ces rencontres fameuses où se sont joués les destins de& empires. Tout le pays dans les temps primitifs était couvert d’épaisses forêts dont il ne reste presque plus rien aujourd’hui. Les bois ne disparurent que fort lentement, et les conquêtes de la charrue ne s’étendirent rapidement que vers la fin du siècle dernier. À cette époque, plus de 100,000 hectares, c’est-à-dire le tiers de la province, furent défrichés et convertis en terre arable. Par suite du prix croissant des denrées alimentaires, ce mouvement a continué de nos jours, et maintenant le pays est à peu près déboisé.

Naguère encore, dans toute la région hesbayenne, habitée par la population wallonne, dominaient l’assolement triennal et la grande culture. Un savant ecclésiastique du XVIIIe siècle, qui s’était occupé avec succès des sciences naturelles et de l’agriculture en Belgique, l’abbé Mann, nous a laissé une peinture naïve de la vie patriarcale des cultivateurs aisés du Brabant wallon et du Hainaut à cette époque. « Dans ce pays, dit-il, les fermiers sont riches, bien logés, bien nourris, mangeant comme des patriarches à une longue table, le père de famille et sa femme au haut bout avec leur bouteille de vin, les enfans et les domestiques au bas bout. Le fermier se promène à cheval dans ses terres, donnant de l’ouvrage aux manans à sa volonté et les tenant dans sa dépendance, au point que l’ouvrier qui lui aurait déplu serait obligé d’abandonner le canton faute d’ouvrage. Ces gros fermiers sont heureux, mais les manans qui en dépendent sont dans la servitude. » Ces traits de mœurs, qui portent encore l’empreinte de l’époque féodale et qui rappellent les conditions de la vie rurale dans certains comtés anglais, se sont grandement modifiés de-nos jours. Le type du gentleman farmer est devenu plus rare, mais les ouvriers agricoles, les manans, comme dit l’abbé agronome dans la langue de son temps, se sont émancipés, et grâce aux nombreux emplois que leur offre le développement de l’industrie, ils ont cessé d’être dans la dépendance de leurs maîtres. Leur salaire s’est élevé, car le nombre de ceux qui consacrent leurs bras à l’agriculture est souvent si restreint qu’il a fallu renoncer à presque toutes les cultures qui exigent beaucoup de soins et de main-d’œuvre.

Tandis que l’antique bannière du pays de Waes, « d’azur à la rape (navet) d’argent en naturel, » portait dès le moyen âge l’image de la racine fourragère qui avait fait la richesse de la contrée, tandis que dans le Brabant flamand la jachère avait disparu depuis longtemps, le repos trisannuel de la terre était encore une coutume générale dans tout le Brabant wallon, le Hainaut et le Namurois, vers la fin du siècle dernier. Humiliés du contraste que présentait la culture de leur province avec celle de la Flandre, les états du Hainaut, qui attribuaient cette infériorité si marquée à la trop grande étendue des exploitations, obtinrent en 1755 de l’impératrice Marie-Thérèse une ordonnance qui limitait la grandeur des fermes à soixante-dix bonniers[7]. Ce règlement, d’une application très difficile, comme on le pense bien, ne paraît pas avoir eu d’effet très sensible. Le progrès s’accomplit sous d’autres influences. D’après l’abbé Mann, autorité irrécusable en cette matière, la culture se perfectionna par l’exemple des fermiers flamands que les propriétaires attiraient sur leurs terres, parce que ces habiles laboureurs en tiraient de plus grands produits et qu’ils étaient ainsi disposés à payer un fermage plus élevé. À partir de la paix de 1748, qui termina la guerre entre la France et l’Autriche, la population augmenta rapidement, des maisons se bâtirent de tous côtés, et l’agriculture prit un essor remarquable dont tous les contemporains furent frappés. Nous possédons des détails précis sur la manière dont s’est opérée l’abolition de la jachère dans l’une des parties jadis les plus délaissées de la contrée et, qui en est devenue l’une des plus riches, la belle plaine de Fleurus et les districts environnans. On nous pardonnera d’insister sur un cas particulier qui, mieux que des indications générales, fera comprendre la marche et le caractère de cet important progrès agricole.

L’agronome anglais sir John Sinclair visitait la Belgique en 1815 afin de rechercher pourquoi le prix des grains était moins élevé dans ce pays qu’en Angleterre. On lui parla d’un cultivateur appelé Mondez, qui occupait la ferme de Baulet, non loin de Charleroi, et qui, par son exemple, avait grandement contribué à la suppression de la jachère dans cette partie de la Belgique. Sinclair se décida à l’aller visiter. Le moment était mal choisi. C’était pendant les cent-jours. Le pays était traversé par les troupes alliées, et les Prussiens occupaient même la ferme de Baulet. On était à la veille de ces luttes suprêmes qui allaient ensanglanter, dans les champs de Fleurus, les moissons dont l’intrépide agronome admirait, au soleil de juin, la beauté et la vigueur. Il parvint néanmoins à arracher son esprit aux préoccupations de la guerre, dont les formidables préparatifs l’entouraient de toutes parts, et dans l’ouvrage où il consigne les résultats de son voyage[8], il constate les progrès remarquables obtenus par la persévérance intelligente de Mondez. Celui-ci avait déjà exposé, dans un mémoire honoré d’une médaille d’or par la Société d’agriculture de Paris, la marche qu’il avait suivie et les améliorations qu’il avait introduites dans la culture. D’après le rapport officiel du maire de Fleurus, en 1774, quand l’habile cultivateur prit la ferme de Baulet, l’agriculture était très arriérée. L’assolement triennal primitif régnait sans partage, doublement respecté comme une tradition des aïeux et comme une nécessité absolue. Un tiers des terres était en jachère, le second tiers en blé d’hiver, le troisième en avoine. On semait peu de froment, mais du seigle et de l’épeautre. Mondez avait eu occasion d’étudier les procédés de la culture flamande aux environs de la ville d’Ath, où elle avait été introduite par des fermiers venus des Flandres pour remplacer ceux du pays, ruinés par suite des guerres de la succession d’Espagne. En entrant dans la ferme de Baulet, il se hâta de suivre leurs exemples. Les engrais étaient à vil prix : on avait pour 1 fr. 26 cent. une voiture de fumier à cinq chevaux, et les boues de rue, les plâtras, les vidanges, se donnaient plutôt qu’ils ne se vendaient. Mondez acheta des quantités considérables de toutes ces matières fertilisantes ; il fit construire des citernes pour recueillir les engrais liquides, et du coup il supprima les jachères, qu’il remplaça par du lin et du colza, ainsi que l’épeautre et le seigle, auxquels il fit succéder le froment. Au bout de trente ans, il avait fait fortune, et tout le canton avait changé de face. Il avait pris, en entrant dans la ferme, toutes les récoltes qui couvraient les 98 hectares dont elle se composait pour 11,454 francs, ce qui faisait un produit moyen par hectare de 126 francs. Il porta cette moyenne à 318 francs, c’est-à-dire à plus du double. Les cultivateurs des environs se moquèrent d’abord de lui, puis prédirent sa ruine ; leur prédiction ne s’accomplissant point, ils le calomnièrent, et finirent en somme par où ils auraient dû commencer : ils l’imitèrent, si bien que, vers 1810, le prix des engrais avait décuplé. La jachère était définitivement supprimée, et aujourd’hui la plaine de Fleurus forme l’une des plus belles régions agricoles de la Belgique. Les prix de location dépassent 125 francs, et les prix de vente 5,000 francs à l’hectare. La contagion du succès et l’augmentation des besoins aidant, les bonnes méthodes se répandirent de proche en proche, et le progrès se généralisa. Maintenant, dans le Hainaut, l’antique assolement triennal est remplacé par une succession de récoltes plus variées, et le froment a partout éliminé les céréales alimentaires de qualité inférieure. Nous avons insisté sur les améliorations introduites par Mondez pour deux motifs : d’abord parce qu’il nous semble qu’on ne peut trop rendre hommage à ces hommes utiles dont les travaux modestes, quoique bornés dans l’humble sphère des occupations rustiques, contribuent cependant d’une manière si notable à augmenter la richesse permanente de leur pays, ensuite parce que l’abolition complète de la jachère marque dans l’histoire agricole d’un peuple une révolution d’une importance capitale, et dont il est ordinairement très difficile de connaître les détails.

La base de la culture dans la région hesbayenne est complètement différente de celle de la région sablonneuse. Dans les sables, il s’agit d’accumuler, par le moyen de l’étable, une masse énorme de matières fertilisantes, afin de communiquer à la terre les forces productives qui lui font défaut. Aussi la vache à lait soumise à la stabulation permanente est-elle l’animal de prédilection. Dans l’argile du Hainaut, les élémens de la végétation ne manquant pas, pour développer la fécondité du sol il suffit à peu près de l’exposer à l’action bienfaisante de l’atmosphère par d’énergiques labours. Aussi est-ce ici le cheval qui dans la ferme remplit le rôle le plus important, L’inspection du bétail qui garnit les fermes ne laisse point de doute à ce sujet. Tandis qu’en Flandre on trouve de 8 à 10 bêtes à cornes pour une bête de trait, dans le Hainaut on compte ordinairement, sur une ferme de 100 hectares, 18 chevaux et une dizaine de poulains, de 10 à 12 vaches, et autant d’élèves, plus 200 moutons et des porcs pour la consommation domestique, c’est-à-dire que le nombre des chevaux égale, s’il ne surpasse, celui des bêtes à cornes. Les chiffres de la statistique confirment ces données. Ainsi dans l’arrondissement de Charleroi, où domine la culture hesbayenne, on trouvait en 1846 22 chevaux et 58 bêtes à cornes par 100 hectares de superficie[9], tandis que, dans l’arrondissement de Termonde (Flandre orientale), la race chevaline était représentée par le nombre 9, et la race bovine par le nombre 73.

La fertilité du sol, qui explique la prédominance des chevaux et la rareté relative des vaches, rend aussi le fermier moins diligent pour conserver les engrais, ou pour en augmenter la quantité et l’efficacité. Les fumiers réunis dans les cours présentent fréquemment un aspect pailleux qui indique une fermentation incomplète, et ils sont très inférieurs à ceux de la Campine et même de la Flandre. Quoiqu’on commence à apprécier généralement les bons effets des engrais liquides, bien des étables manquent encore de fosses à purin. Les cultivateurs n’achètent point d’engrais. L’emploi des vidanges est rare, celui du guano inconnu, ou considéré comme beaucoup trop coûteux, même par des fermiers riches, qui reculent devant une dépense que le dernier des journaliers flamands fait chaque année sans hésiter. Le seul amendement partout en usage est la chaux, qui est indispensable pour vivifier un sol compacte, et qu’on obtient à bas prix par suite de la proximité des terrains de formation calcaire. Au lieu d’être engraissés une ou deux fois par an, comme dans la zone sablonneuse, les champs ne sont fumés que tous les cinq ou six ans. La quantité d’engrais dont disposent les cultivateurs est évidemment insuffisante. La terre est, il est vrai, d’assez bonne qualité pour donner jusqu’à six ou même sept récoltes de suite sans repos et sans fumure ; mais il est certain que ses produits seraient beaucoup plus considérables, si elle était plus largement traitée.

Le bétail étant relativement peu nombreux, les récoltes de plantes fourragères n’occupent pas une très grande place dans l’assolement. Les seules de ces plantes qu’on cultive sont, en fait de légumineuses, les féveroles, la lupuline (medicago lupulina), le trèfle blanc, et principalement le trèfle ordinaire, en fait de racines la betterave, mais en proportion trop restreinte. Dans les Flandres, nous avons vu qu’on consacrait à la nourriture du bétail de 50 à 55 pour 100 de la superficie arable ; dans la région hesbayenne, on ne destine aux récoltes vertes, y compris les prairies naturelles, que de 30 à 35 pour 100. Quoique la jachère soit supprimée, l’assolement dans le Hainaut et le Brabant wallon rappelle encore fréquemment l’ancienne rotation, à cela près que le trèfle et les féveroles occupent l’année du repos. Au lieu de la succession alternante de céréales et de plantes sarclées que conseille avec tant de raison la science agronomique, trop souvent on fait succéder les unes aux autres deux et même trois récoltes épuisantes : froment, seigle et avoine ; puis, après avoir fait deux coupes du trèfle semé dans l’avoine, on recommence la même succession de céréales, suivie d’une récolte de féveroles. Heureusement ces méthodes mal entendues commencent à se modifier, et des assolemens plus rationnels s’introduisent. La culture de la betterave à sucre y a surtout beaucoup contribué en donnant à l’art agricole une impulsion comparable à celle qu’imprima le colza vers la fin du siècle dernier. C’est la seule des cultures industrielles qui ait une importance réelle. Par suite de l’élévation du prix des journées, qui pour les hommes ne tombe guère au-dessous de 2 francs, et qui va souvent au-delà, on cultive de moins en moins le colza et le lin, si ce n’est aux environs de Tournai, où les procédés de culture ressemblent beaucoup à ceux des Flandres, et où l’on récolte le lin ramé[10], si recherché pour les fines batistes. Néanmoins, si les plantes oléagineuses et textiles ont perdu du terrain dans toute la région hesbayenne, la betterave, qui les a remplacées, a produit une révolution semblable à celle, qui a été signalée en France dans le département du Nord. La production du sucre a pris un développement considérable en Belgique : elle s’élève aujourd’hui à plus de 16 millions de kilos.

L’engraissement du bétail de boucherie et l’augmentation de la quantité d’engrais disponible ont suivi ces progrès. Le prix de location des terres s’en est ressenti, et a haussé dans des proportions considérables. En moyenne, on peut le porter à 100 ou 110 fr. par hectare, et en bien des localités il monte à 125 et 150 fr., non pour des parcelles, mais pour de grandes fermes. Le prix de vente doit être calculé d’après le revenu, qui ne s’élève pas à plus de 2 1/2 pour 100. La terre arable ordinaire vaut donc de 4 à 6,000 fr. l’hectare ; mais aussitôt qu’elle est à proximité des centres industriels, où on peut la louer en parcelles pour les ménages d’ouvriers, elle atteint une valeur de 8 à 10,000 fr. l’hectare. Comme les fabricans de sucre n’ont pas généralement une exploitation assez étendue pour récolter toutes les betteraves dont ils ont besoin, et comme d’autre part leur consommation en exige une quantité à peu près fixe, ils donnent jusqu’à 4 et 500 fr. par an pour un hectare de terre convenablement fumé et préparé, où ils sèment la betterave à leurs risques et périls.

Nulle part en Belgique la valeur de la propriété foncière ne s’est accrue aussi rapidement que dans cette région : depuis trente ans, elle a presque doublé. C’est dans le développement de l’industrie qu’il faut chercher la cause principale de ce phénomène économique. Assise en partie sur un bassin houiller extrêmement riche, cette région privilégiée livre en effet à la consommation non-seulement les produits de la superficie du sol, mais aussi ceux que la terre recèle dans ses profondeurs. On en extrait le charbon exploité dans une multitude de fosses groupées surtout autour de Charleroi et de Mons, le fer fondu dans les hauts-fourneaux qui la nuit éclairent tout le pays comme autant de cratères en éruption, la chaux si nécessaire à ces terrains argileux, le porphyre de Quenast, qui, transformé en pavés, s’exporte jusqu’en Amérique, le kaolin, dont on fait de la porcelaine, et le sable à vitre, coulé en glaces expédiées au loin. Des quantités d’usines de toute espèce, disséminées dans-toute la contrée, favorisent ainsi l’essor du travail et l’accroissement de la population ; elles multiplient les sources de prospérité et tendent à donner au sol une valeur que n’aurait pu créer seul le progrès agricole, quelque réel qu’il ait été d’ailleurs.

On voit que le principal produit n’est pas ici, comme dans la zone sablonneuse, celui de l’étable, le lait et le beurre, mais celui des champs, les céréales et le froment surtout, dont le rendement s’est élevé à 22 hectolitres par hectare. Le capital d’exploitation est moins considérable que dans les Flandres, d’abord parce que la quantité de bétail est moins grande, ensuite parce que le fermier entrant ne paie point à son prédécesseur les fumiers qui se trouvent en terre ou dans les citernes, et qu’il ne lui faut point de fonds de roulement pour l’achat d’engrais livrés par le commerce. On estime ce capital à 35 ou 40,000 francs pour une ferme de 100 hectares. Malheureusement les différends entre le cultivateur qui prend une exploitation et celui qui la quitte sont fréquens, et aboutissent souvent à des procès. Cela provient de ce que les innovations introduites dans la culture ont rendu inapplicables beaucoup d’anciens usages qui réglaient les points en litige ; mais cette transformation, due à l’influence croissante du développement de l’industrie, a été accompagnée d’incontestables progrès. Le drainage, pratiqué en grand, a fait un bien immense dans ces terres fortes où le labour se fait avec trois chevaux, même quand la charrue est de la meilleure construction. Les cultivateurs comprennent de plus en plus l’importance des engrais, et ils s’efforcent d’en accroître la quantité en donnant plus de place aux récoltes vertes, et par suite en augmentant leur bétail, tenu plus longtemps à l’étable l’été et plus largement fourni l’hiver de racines hachées mêlées au fourrage sec. Les comices agricoles et de nombreux concours stimulent l’amour-propre des agriculteurs, qui s’occupent de l’amélioration des races indigènes par le croisement avec des races étrangères, ou simplement par le choix des reproducteurs. Les bêtes à cornes sont en général d’origine flamande ou hollandaise, parfois croisées avec des durham. Les chevaux du Hainaut ou du Borinage, comme on les appelle, sont de qualité supérieure. Plus courts de reins que les chevaux flamands, la tête petite et l’œil plein de feu, le cou ramassé et cambré, ils peuvent compter au nombre des meilleures bêtes de trait qui existent, et ils ne le cèdent peut-être qu’aux chevaux du Perche et du Boulonnais de la grande espèce. Les instrumens aratoires perfectionnés sont adoptés aussi de proche en « proche. L’extirpateur, si utile et d’un emploi si économique, se trouve maintenant dans toutes les exploitations. Les batteuses mécaniques à manège pour deux et trois chevaux s’introduisent également dans les grandes fermes. On ne peut méconnaître à tous ces signes la preuve d’un grand progrès de l’agriculture. Toutefois il reste encore beaucoup à faire, car la production moyenne par hectare est inférieure à celle de la Flandre, tandis qu’avec les avantages que cette région a reçus de la nature, celle-ci devrait être l’un des premiers districts agricoles de l’Europe.

Le Hainaut et le Brabant méridional sont considérés en Belgique comme pays de grande culture. Cependant les grandes fermes n’y sont pas très nombreuses. Ainsi, sur les 328,323 hectares du Brabant, on ne comptait, en 1846, que 147 fermes de plus de 100 hectares et 446 de 50 à 100, et sur les 372,205 du Hainaut, 122 fermes de plus de 100 et 588 de 50 à 100 hectares. Les exploitations inférieures à 1 hectare se rencontrent tout aussi fréquemment ici que dans les Flandres mêmes. C’est que non-seulement les ouvriers agricoles, mais même la plupart des travailleurs employés dans les mines ou dans l’industrie, veulent avoir leur lopin de terre pour y récolter une grande partie des alimens nécessaires à la consommation de leur ménage.

Dans la région hesbayenne, les grandes fermes n’ont pas ce charme de l’idylle, cette coquetterie rustique que donnent aux habitations rurales des Flandres leurs pelouses vertes et leurs haies où fleurissent l’aubépine et le chèvrefeuille : ce sont d’énormes bâtimens en briques, couverts d’ardoises, élevés autour d’une vaste cour qu’ils enferment de toutes parts. Les fenêtres, qui s’ouvrent en dehors, sont rares et protégées par des barreaux de fer ; une porte solide clôt l’unique entrée. Tout semble disposé pour repousser une attaque, et l’on croirait voir une petite forteresse plutôt que la demeure d’un cultivateur. Les fermes de Goumont, de Papelote et de la Haie-Sainte, si rudement disputées par les Français et les Anglais sur le champ de bataille de Waterloo, donnent l’idée de la résistance qu’elles peuvent offrir. La solidité de ces hautes granges en pierres de taille, de ces étables voûtées, de ces murs d’enceinte, tout cet ensemble de constructions coûteuses, tout cet appareil de défense rappelle l’époque déjà lointaine où le pays était exposé aux coups de main des maraudeurs. Aujourd’hui on renonce généralement à ces bâtimens massifs qui chargent la propriété d’un fort capital improductif, et qui exigent de grands frais d’entretien.

Jadis, avant l’invasion de l’industrie métallurgique, cette région, avec ses grands bois de haute futaie et ses belles chasses, était le séjour de prédilection de l’aristocratie. C’est là qu’on rencontre encore les résidences de la plupart des grandes familles du royaume, entre autres le château et les jardins de Bel-OEil, que le prince de Ligne se plaisait à embellir et à décrire quelques années à peine avant la révolution de 1789. Dans ces descriptions, dédiées à l’abbé Delille, qu’il nomme, en abusant un peu trop de la mythologie.

Apôtre de Cérès, archidiacre de Flore,
Favori de Pomone et d’autres dieux encore,
Archevêque du Pinde, abbé de l’Hélicon,


il nous montre « ses bassins de marbre, ses charmilles, hautes, fraîches et superbes, ni fatigantes, ni fatiguées, des forêts de roses en quinconces, du gazon partout, dont les moutons font un tapis de velours vert, et partout aussi les plus belles eaux du monde, vives, pures, limpides, communiquant toutes entre elles. » Cette peinture est encore vraie de nos jours, car les jardins qu’aimait le prince de Ligne ont été respectés ; mais maintenant que de toutes parts on entend le rugissement des machines à vapeur, et que les longs panaches noirs des cheminées assombrissent le paysage, ce n’est plus dans le Hainaut que se créent les parcs et les domaines nouveaux : on ne les voit plus naître que dans les régions plus pittoresques et plus sauvages de l’est, au-delà de la Meuse, dans le Luxembourg, où la terre est moins chère et moins convoitée par l’industrie, où il y a encore de grands bois à conserver et des bruyères à conquérir.

La région que nous venons de décrire se rattache, par dès transitions graduées, d’un côté aux Flandres, de l’autre à ces contrées d’outre-Meuse. Pour bien connaître les districts qui marquent ces transitions, il faudrait surtout visiter les riches et grasses campagnes qui entourent Tournay, ou bien, plus au nord, non loin de Malines, le canton que l’on désigne sous le nom de Petit-Brabant. Le Petit-Brabant est un pays délicieux, tout entrecoupé d’eaux vives et de beaux ombrages. Il est compris entre l’Escaut et le Rupel, dont les flots, obéissant au flux et au reflux, apportent les marchandises d’Anvers et emportent les produits de l’agriculture et des industries locales, parmi lesquels les briques de Boom, transportées au loin, occupent une place très importante. Le sol est naturellement assez fertile, et, labouré, fumé, ensemencé avec les soins les plus minutieux de la culture flamande, il se couvre de récoltes magnifiques de froment, de colza et même de chanvre. Les cultivateurs jouissent d’une aisance réelle, parce que beaucoup sont propriétaires d’une partie au moins des terres qu’ils exploitent. Il s’ensuit que les fonds ruraux se vendent à des prix extrêmement élevés, — de 5 à 6,000 fr. l’hectare, — qui laissent à peine un revenu de 2 pour 100 au capital foncier. À l’autre extrémité de la région des terres à froment, vers le sud-est, le canton de Thuin forme la transition vers les Ardennes et la Haute-Belgique. Le sol, reposant sur le calcaire, y est encore de très bonne qualité ; mais, privé de communications faciles avec le reste du pays et borné du côté de la France par la Thiérache, ce district était resté jusqu’en ces dernières années médiocrement peuplé et couvert de grands bois, qui aujourd’hui disparaissent rapidement sous la hache des défricheurs. En 1846, à l’époque du recensement général, ces forêts, sur 100 hectares de superficie totale, en occupaient encore 40, proportion tout à fait exceptionnelle en Belgique. Les céréales étant absorbées par la consommation locale, les seuls produits échangés au dehors étaient les arbres de haute futaie, destinés à la marine et à la charpente des grandes constructions, et les jeunes baliveaux, achetés à haut prix pour soutenir les galeries des houillères. Maintenant, d’année en année, l’aspect de ce canton change et se rapproche de celui que présentent les autres parties du Hainaut. Par suite d’un ensemble de circonstances favorables qui toutes tiennent de plus ou moins près au développement de l’industrie, il se produit dans l’économie rurale une transformation dont nous aurons à indiquer les caractères en parlant de la région voisine, le pays d’entre Sambre-et-Meuse.

On connaît maintenant les caractères généraux qui distinguent l’agriculture de la région hesbayenne. Si l’on veut se rappeler les traits qui caractérisent l’économie rurale dans les terres sablonneuses de la Campine, on sera frappé à bon droit du contraste que présentent ces deux districts agricoles. Dans la Campine, où le cultivateur avait à faire valoir un terrain maigre dépourvu des principes mêmes de la végétation, il lui a fallu accumuler sur les champs en exploitation tous les élémens organiques recueillis sur une grande étendue de bruyères, et entretenir de nombreux troupeaux de bêtes à cornes, afin de rassembler de grandes quantités d’engrais indispensables à la croissance des plantes qu’il cultive. Dans la région hesbayenne au contraire, où une argile féconde est disposée à produire de riches moissons, de forts attelages garnissent les fermes, et le labour est l’opération principale. Tandis que là une charrue légère, traînée par un seul bœuf, trace avec facilité un sillon profond dans le sable mobile, ici trois chevaux vigoureux ont peine à faire pénétrer un soc puissant dans une terre grasse, qui résiste à leurs efforts. Dans la Campine, le seigle est à peu près le seul grain qu’on récolte pour la subsistance de l’homme, et les secondes récoltes de fourrages occupent partout une place importante. Dans la Hesbaye, le froment domine, et les secondes récoltes sont inconnues. Il s’ensuit que d’un côté la principale denrée que l’agriculture livre au commerce est le beurre, et que de l’autre ce sont les céréales, les produits étant ainsi non moins divers que les méthodes mises en œuvre pour les obtenir. Nous ne pousserons pas plus loin ce parallèle. Il nous a suffi de montrer, par deux exemples significatifs, l’influence qu’exerce la constitution physique du sol sur les procédés de la culture. Sans doute, et nous n’avons eu garde de l’oublier, ces différences tendent à disparaître devant les perfectionnemens qui s’imposent partout au nom de la science, et qui tiennent peu de compte des diversités naturelles ; mais il est d’autant plus intéressant de les décrire pendant qu’elles subsistent, et de reproduire ainsi l’aspect général de l’économie rurale dans les différentes régions de la Belgique avant que celles-ci n’aient perdu les caractères particuliers qui les distinguent encore.


EMILE DE LAVELEYE.

  1. Voyez le Romancier de la Flandre, par M. Saint-René Taillandier, dans la livraison du 15 mars 1849, et deux nouvelles d’Hendrik Conscience dans les livraisons du 15 janvier et du 15 mars 1851.
  2. Nationalökonomik des Ackerbaues, von Wilhelm Roscher. Stuttgart, 1860.
  3. M. P. Joigneaux, ancien membre des assemblées de France, qui par ses écrits et ses exemples a rendu à la province du Luxembourg, où il s’est fixé, des services sérieux, que les agriculteurs de ce pays viennent de reconnaître par un témoignage public de leur gratitude.
  4. La spergule livre peu de poids, de 6 à 8,000 kilos par hectare ; mais c’est le fourrage de prédilection de la fermière, parce qu’il donne aux vaches un lait crémeux et abondant, facile à convertir en beurre délicieux. En outre elle acquiert son entier développement en deux mois, ce qui permet au cultivateur prévoyant d’en semer successivement, de manière à toujours avoir une coupe fraîche pour son étable. Elle vient plus facilement dans les sables que le navet, qui a besoin pour grossir d’être stimulé par le fumier ou par l’engrais liquide ; aussi met-on de préférence la spergule après les grains d’hiver.
  5. C’est ainsi qu’on rencontre assez fréquemment des rotations qui reviennent à peu près au type suivant : première année, pommes de terre ; deuxième, seigle, puis spergule ; troisième, seigle ; quatrième, avoine avec trèfle ; cinquième, trèfle ; sixième, seigle et spergule ou sarrasin.
  6. Le pin a été à peu près partout en Belgique semé par la main de l’homme. C’est dans le cours du siècle dernier que l’on a surtout commencé à y créer des sapinières, et l’on cite un certain Coster d’Anvers parmi ceux qui ont introduit les plus grandes améliorations dans ce genre de plantations, comme l’indiquait naguère encore le nom de costerboschen donné aux bois de bonne venue. Anciennement les abbayes plantaient des forêts de chênes et de hêtres. On en voit encore des restes près de Tongerloo et d’Everboden ; mais les plus beaux arbres ont été abattus du temps de la domination français » pour les chantiers de la marine militaire.
  7. C’est-à-dire à 80 hectares environ.
  8. Hints regarding the agricultural state of the Netherlands, 1815.
  9. Quoique dans les grandes exploitations le nombre des chevaux égale celui des botes à cornes, les chiffres de la statistique générale ne peuvent indiquer la même proportion, parce que beaucoup de petits cultivateurs travaillant leur terre sans chevaux tiennent néanmoins une vache.
  10. Quand on sème le lin très dru dans une terre fertile et bien fumée, les tiges de la plante croissent si Anes, si déliées, qu’abattues par le vent et la pluie, elles pourriraient immanquablement, si on ne les soutenait par des perches et de menus rameaux placés horizontalement à peu de distance de la terre. Le lin traité ainsi s’appelle du lin ramé et donne un produit considérable, qui dépasse souvent 2,000 fr. à l’hectare.