École des arts et métiers mise à la portée de la jeunesse/Le Plumassier


Anonyme
Traduction par T. P. Bertin.
L. Duprat-Duverger, libraire (1p. 84-95).


LE PLUMASSIER.





Cette profession est encore l’une de celles qui en Angleterre sont exercées par les femmes. La personne représentée dans la vignette est occupée à arranger un panache militaire ; mais les plumes qui sont exposées à la fenêtre sont celles que les dames portent pour parure. Depuis quelques années le commerce des plumes, surtout de celles qui servent aux aigrettes guerrières, est beaucoup augmenté.

Le Plumassier.

Avant que les plumes ne parviennent à la personne qui les vend elles subissent différentes manipulations. On les frise en les soumettant aux mêmes procédés que les cheveux ; on les teint aussi de différentes couleurs quand il en est besoin.

Les plumes dont on se sert ordinairement sont celles d’autruche, de héron, de coq, de cygne, de paon, d’oie et de corbeau ; quelques-unes de ces sortes de plumes sont employées aux panaches qui décorent les voitures et les chevaux de deuil aux funérailles des grands. Nous devons encore à plusieurs de ces plumes le duvet sur lequel nous reposons, et l’instrument qui sert à écrire.

Les oies se plument dans quelques parties de la Grande-Bretagne cinq fois par an, savoir, la première fois à la Notre-Dame d’août, et les quatre autres entre cette époque et la Saint-Michel. La première de ces époques fournit les plumes à écrire, et les quatre autres, c’est à dire celles entre cette époque et la Saint-Michel, fournissent les plumes de lit. Cette coutume barbare fait périr beaucoup d’oies dans les saisons rigoureuses. Les marais du comté de Lincoln sont peuplés d’un grand nombre d’oies, et le produit des plumes est si considérable qu’il rend par an trois cents sacs, pesant chacun cent livres et demie.

Les plumes destinées aux aigrettes militaires se tirent principalement de celles qui viennent au cou du coq ; ces plumes sont très-recherchées. Le coq a sur le cou et sur le dos de longues plumes mêlées d’oranger, de noir et de jaune ; sa queue se compose de plumes droites, bordées sur le côté de deux grandes plumes qui s’élèvent sur les autres sous la forme d’une faucille.

Le plumage du coq d’Inde est fort beau ; il a cinq couleurs différentes, savoir, le noir, le blanc, le vert, le rouge et le bleu ; sa queue se compose de douze belles plumes. Les naturels du pays prennent ces longues plumes pour faire des parasols et des éventails. Les plumes d’autruche néanmoins sont les plus estimées ; elles ressemblent à celles qui sont représentées sur la vignette dans leur état naturel ; elles sont pour la plupart noires et blanches. Les plumes les plus grandes de l’autruche sont à l’extrémité des ailes et de la queue.

Les plumes de cet oiseau ont besoin d’être teintes et de subir un apprêt avant de servir à la parure des femmes. Les dépouilles de l’autruche sont si précieuses que l’on ne doit pas s’étonner que les peuples dans le voisinage desquels elle se trouve soient ses ennemis jurés, et qu’ils soient attachés à sa poursuite. La valeur de l’autruche est si connue des Arabes, qu’ils dressent leurs meilleurs coursiers à la chasse de cet oiseau.

Les chasseurs viennent au rendez-vous dans les plaines, montés sur d’excellens chevaux barbes, et amènent des lévriers. L’autruche lancée court avec la plus grande rapidité ; poursuivie de plus près, elle prend un pas lent, comme si elle ne se défiait pas du danger dont elle est menacée, ou qu’elle fût sûre d’échapper ; elle fait ensuite des détours si brusques qu’il faut être un excellent cavalier pour la suivre dans tous ses mouvemens. En courant elle tient ses ailes comme des bras, dans une agitation continuelle qui correspond exactement avec les mouvemens de ses jambes ; enfin, lorsqu’elle est épuisée de fatigue, elle se décide à se cacher ; elle se couvre en conséquence la tête de sable ou l’enfonce dans le premier buisson qu’elle rencontre, et là elle attend patiemment que ses ennemis la prennent. Les chasseurs évitent toujours de tuer leur proie, parce que les plumes que l’on arrache à l’autruche pendant qu’elle est en vie sont celles qui ont le plus de prix ; celles qu’on en retire après sa mort sont sèches, légères et sujettes à être piquées par les vers. Il est beaucoup de tribus d’Arabes qui la chassent et la prennent pour l’apprivoiser et en obtenir les plumes, ce qui donne très-peu de peine.

Le panache ou l’aigrette que la femme arrange dans la vignette se compose d’un nombre considérable de petites plumes ; quand elles proviennent du cou du coq elles sont proprement montées sur du fil d’archal très-fin ; mais si ce sont de petites plumes d’autruche on les lie autour d’une branche de gros fil de fer très-fort. Les plumes d’autruche qui s’emploient seules sont terminées à leur extrémité inférieure par un fil de laiton pour les fixer à une toque, à un chapeau ou à un turban.

L’aigrette, oiseau que Willhugby croit être le même que celui que Gessner et Aldrovande ont décrit sous le nom d’Alba-Minor ou de Garzetta, a les plumes très-longues et d’un grand prix ; cet oiseau a donné son nom aux panaches militaires. Ces deux derniers auteurs prétendent que les plumes dont se parent les grands, et qui se vendent si cher, ne sont pas celles de la tête de cet oiseau, mais celles qui viennent sur le dos, à côté des ailes. Willhugby avait acheté à Venise l’aigrette qu’il a découverte ; elle n’avait pas de plumes, et il soupçonne qu’on les avait arrachées de l’oiseau avant de le lui vendre.

La contexture de la barbe des plumes en général est composée de filets si artistement entrelacés que la vue ne peut qu’exciter notre admiration, surtout lorsqu’on les regarde au microscope.

Le choix des plumes à écrire n’est pas indifférent ; celles d’une moyenne grosseur et vieilles valent mieux que les grosses et les neuves ; celles des corbeaux sont excellentes pour les écritures fines, et surtout pour la sténographie.

On dit figurément et proverbialement d’un homme à qui il en a coûté de l’argent pour se tirer d’une affaire, qu’il y a laissé des plumes ; en parlant du jeu on dit qu’on a eu des plumes de quelqu’un pour dire qu’on lui a gagné de l’argent.