École des arts et métiers mise à la portée de la jeunesse/Le Batteur d’or


Anonyme
Traduction par T. P. Bertin.
L. Duprat-Duverger, libraire (1p. 96-106).


LE BATTEUR D’OR.





La feuille d’or est de l’or battu avec un marteau, en lames excessivement minces. L’état de finesse à laquelle une masse d’or peut être réduite est presque incroyable : M. Boyle a trouvé que cinquante pouces carrés d’or ne pesaient qu’un grain, et comme un pouce cube d’or contient quatre mille neuf cent deux grains, l’épaisseur de cette feuille d’or faisait moins que la deux cent quarante millième partie de l’épaisseur d’un pouce.

Le Batteur d’Or.

L’or destiné à faire des feuilles se fond d’abord dans un creuset avec du borax ; on le verse ensuite dans un moule de fer appelé lingotière, dont on le retire pour le faire chauffer et le forger en barres longues que l’on passe au laminoir jusqu’à ce qu’elles n’aient pas plus d’épaisseur qu’une feuille de papier ; on les coupe alors en morceaux d’égale longueur appelés quartiers, que l’on forge et que l’on chauffe de nouveau, ou que l’on fait recuire pour corriger la rudesse que le métal a contractée sous le marteau et au laminoir.

Pour aplatir ces quartiers en feuilles très-fines il est nécessaire d’interposer entre elles et le marteau un corps lisse qui amortit le coup et les préserve de la violence de son action ; comme aussi de placer entre chaque quartier quelque corps intermédiaire qui les empêche de se joindre ou de se réunir les uns aux autres, et leur permet de s’étendre. Les batteurs d’or emploient pour cet usage trois espèces de membranes ; l’une, qui couvre l’extérieur de ces quartiers, est de parchemin ordinaire ; on se sert après cela de feuilles de vélin pour mettre entre les feuilles d’or ; on emploie ensuite des membranes plus fines, appelées peau de baudruche ; c’est une pellicule que les bouchers ou les boyaudiers enlèvent de dessus les boyaux de bœuf, et que le batteur d’or ouvre en deux. La préparation de ces membranes forme une profession à part, et qui s’exerce par un très-petit nombre de personnes dans ce royaume.

La batte d’or se fait sur un bloc de marbre très-uni, de deux à six cents livres, placé au milieu d’une table de bois ou caisse, de manière que la surface du marbre et celle de la caisse se trouvent de niveau. Trois des côtés de cette caisse sont garnis d’un bord très-élevé, et le devant, qui est ouvert, est muni d’un tablier de cuir que le batteur attache après lui pour y recevoir les parcelles d’or qui s’échappent de dessous le marteau.

Cette profession emploie trois marteaux, lesquels ont deux faces convexes, quoique l’ouvrier ne se serve que de l’un de ces côtés. Le premier de ces marteaux, qui pèse de quinze à seize livres, s’appelle marteau plat à dégrossir ; le second se nomme marteau à chasser ; il pèse douze livres ; le troisième marteau à achever ; il pèse environ dix livres.

Cent cinquante feuilles d’or sont entremêlées avec des feuilles de vélin de trois à quatre pouces en carré. Une feuille de vélin se trouvant placée entre deux carrés d’or, le tout est enveloppé d’un fourreau ou enveloppe de plusieurs feuilles de parchemin appliquées les unes sur les autres, et collées par un des bouts, de manière qu’elles forment une espèce de sac ouvert ou d’étui. Sous les deux côtés de cet étui se trouvent vingt feuilles de vélin qui ne sont pas garnies de feuilles d’or, et qu’on place au commencement et à la fin du livret pour garantir la matière de la trop grande force des coups ; de cette manière l’assemblage des feuilles d’or et de vélin se trouve serré et fermé de tous côtés. Le tout est battu avec le marteau à dégrossir, et retourné sens dessus dessous, jusqu’à ce que la dimension des feuilles d’or ait atteint celle du vélin. Les pièces du quartier, que l’on retire d’entre les feuilles de vélin, sont coupées en quatre avec un couteau à lame d’acier, et les six cents divisions sont ensuite entremêlées de la même manière avec des feuilles de baudruche de cinq pouces en carré.

On répète alors la batte de l’or jusqu’à ce que les carrés aient atteint l’étendue des peaux, et alors on les partage une seconde fois. L’instrument employé pour cette opération est un morceau de roseau taillé en biseau ; les feuilles deviennent si minces que l’humidité de l’air ou de l’haleine, qui se condense sur une lame de couteau métallique, les collerait les unes sur les autres. Après une troisième batte, faite de la même manière, on enlève les feuilles avec le bout de l’instrument de roseau, et après les avoir aplaties en les soufflant sur un coussin de cuir on les coupe les unes après les autres, et on leur donne la dimension qu’elles doivent avoir avec une espèce de châssis carré de roseau ayant un tranchant convenable ; elles sont ensuite arrangées dans des livrets de vingt-cinq feuilles chacun, dont le papier est très-lisse et frotté avec du bole rouge pour empêcher qu’elles ne s’y attachent.

Le procédé de battre l’or est très-influencé par le temps ; l’humidité et la gelée sont contraires à cette opération. L’or qu’on emploie dans cet art doit être au plus haut titre ; il serait même difficile d’en employer qui ne fût pas très-pur, attendu qu’un alliage, en trop petite quantité pour affecter la couleur de la feuille, la disposerait à perdre une partie de sa beauté à l’air ; d’ailleurs l’ouvrier qui voudrait l’altérer s’exposerait à perdre plus par l’infidélité de son travail qu’il ne gagnerait par le bas aloi de la matière.

On dit proverbialement tout ce qui reluit n’est pas or pour dire que tout ce qui a l’apparence d’être bon ne l’est pas.