École des arts et métiers mise à la portée de la jeunesse/Le Coutelier


Anonyme
Traduction par T. P. Bertin.
L. Duprat-Duverger, libraire (2p. Gravure-106).

Le Coutelier.


LE COUTELIER.





Le coutelier fait des couteaux, des fourchettes, des rasoirs, des ciseaux, et toutes sortes d’instrumens tranchans. Le principal talent de cette profession est de donner à l’acier le degré qui lui convient, et pour lequel on ne peut fixer de règles certaines, attendu qu’il ne peut s’acquérir que par la pratique.

Les principaux endroits de ce pays où il se fabrique de la coutellerie sont Birmingham et Sheffield, et il se fait dans ces deux villes des ouvrages à meilleur compte que dans tous les autres pays de l’Angleterre. À Londres la coutellerie se vend beaucoup plus cher que celle faite en province, quoiqu’elle ne soit peut-être pas meilleure, mais parce qu’elle est mieux finie. On prétend néanmoins que les couteliers de la capitale impriment souvent leurs noms et leurs marques sur des ouvrages fabriqués à Birmingham ou à Sheffield, et que par ce moyen ils les vendent comme des marchandises de Londres.

Les lames des couteaux et autres instrumens tranchans se forgent au feu, et quand elles ont reçu la forme qui leur convient on les trempe, on les repasse, on les polit et on y met des manches.

L’homme représenté dans le fond de la vignette est supposé forger quelque instrument, tandis que l’autre, qui est sur le devant, est occupé à repasser un couteau sur la meule, que fait tourner l’ouvrier qui est à la roue.

On voit à terre deux fers de patins et deux lames d’épée. La fabrication des patins fait une partie considérable de l’occupation du coutelier dans des hivers rigoureux, et dans quelques fortes boutiques de cette profession on fait des montures d’épée ; mais ce travail n’est pas ordinairement du ressort du coutelier. Les lames d’épée viennent presque toutes de l’étranger ; on les forge au marteau et avec le secours de moulins à eau. C’est de cette manière que se font les célèbres épées de Vienne. En Angleterre le coutelier ne s’occupe que de les monter et de faire les fourreaux ; la dépense à laquelle s’élève ce travail est quelquefois très-considérable ; il est des poignées d’épée qui coûtent de 150 à 300 livres sterling. Plusieurs de ces dernières ont été depuis quelques années offertes par la Société des fonds patriotiques, qui s’est formée dans le dessein de récompenser les militaires distingués.

La fabrication des rasoirs est une autre partie du travail du coutelier. Comme l’opération de se raser est très-pénible pour certaines gens, les couteliers, dans différens pays, ont employé tout leur savoir pour triompher de cette difficulté, mais sans un succès bien décidé. On a cependant imaginé à cet effet des rasoirs à rabot ; ces rasoirs ont un fût de bois.

Les lames des rasoirs à rabot doivent être plus minces du dos que celles des rasoirs ordinaires. Le biseau du dos est large et tiré bien régulièrement sur la meule, afin qu’il puisse couler avec égalité dans la case de la chape ou du fût. On donne un trait de scie dans le milieu de la chape pour loger le dos de la lame ; cela fait, on lime le bois pour le réduire à une hauteur convenable.

On se sert alors d’une petite gouge pour pratiquer une gouttière tout le long de la chape, à l’effet de donner à la barbe et au savon la facilité de sortir. L’ébène est le bois que l’on doit employer de préférence pour faire ces châsses.

La bonté des lames de rasoir ne dépend pas toujours de leur prix, et on en a vu qui ne coûtaient qu’un scheling couper aussi bien que celles que l’on achète dix fois plus cher.

Les manches des rasoirs se font de corne, d’écaille et d’ivoire.

Les couteliers fabriquent des couteaux et des ciseaux de luxe, c’est-à-dire à lames, à branches et garniture en or.

Les manches de couteau, qui en général sont d’ébène, de bois rose, de palixandre, de corne marbrée, d’écaille et d’ivoire, se polissent avec le charbon de bois blanc, le blanc d’Espagne, le tripoli, la pierre ponce, l’émeri, le rouge d’Angleterre et la potée d’étain.

La forme des lames de couteau varie suivant les pays ; il en est dont l’extrémité se termine en pointe, d’autres qui l’ont arrondie. Cette dernière forme est généralement adoptée en Angleterre, parce que la lame d’un couteau arrondie tient lieu de cuiller, et qu’elle expose les enfans et même les grandes personnes à beaucoup moins d’accidens que celle qui se termine en pointe

L’ouvrier qui fait des instrumens de chirurgie est une autre espèce de coutelier ; il se sert du meilleur acier, met plus de soin à finir ses instrumens, et leur donne un plus beau poli que le coutelier ordinaire. Il est bon d’observer ici que l’on doit humecter d’huile tous les instrumens de chirurgie avant de s’en servir, à l’exception de la lancette à opérer l’inoculation.

La profession du coutelier est très-lucrative. Dans les boutiques bien achalandées un ouvrier est occupé un des jours de la semaine à repasser les couteaux, canifs, grattoirs et ciseaux, et le produit de ce travail défraie la maison de ses dépenses.

La profession du coutelier, les ouvrages qu’il fait et les matières qu’il emploie, ont donné lieu aux expressions proverbiales suivantes :

On appelle proverbialement et populairement une femme fine et rusée une bonne lame, une fine lame.

On dit figurément mettre couteau sur table, pour dire donner à manger ; on dit familièrement que des gens sont aux épées et aux couteaux quand ils sont en grande querelle, en grande inimitié ou en grand procès.

On dit proverbialement et figurément de celui qui dit du bien ou du mal de la même personne, c’est un couteau de tripière, un couteau à deux tranchans, un couteau qui tranche des deux côtés.