Éclaircissements nécessaires/Édition Garnier

ÉCLAIRCISSEMENTS

NÉCESSAIRES

DONNÉS PAR M. DE VOLTAIRE LE 20 MAI 1738
SUR
LES ÉLÉMENTS DE LA PHILOSOPHIE DE NEWTON[1].

Ayant enfin reçu un exemplaire de mes Éléments de Newton, je me suis cru dans la nécessité indispensable de donner les éclaircissements suivants, qui doivent servir d’introduction, et que les libraires doivent distribuer avec un très-grand errata à ceux qui ont lu ce livre.

éclaircissement sur la lumière.

1° J’entends dire qu’on trouve une espèce de contradiction au chapitre deuxième, où je parle de cette belle expérience que fait sans doute M. Nollet[2] : expérience par laquelle la lumière rejaillit et passe au fond d’un cristal en haut ; je dis que cette lumière rejaillit aussi du vide même. Il n’y a là aucune contradiction, la chose n’est pas moins certaine qu’étonnante ; il est indubitable qu’un rayon de lumière, tombant sous un certain angle comme de 42 degrés sur un cristal, n’entre que très-peu dans l’air qui touche le fond de ce cristal, mais rentre presque tout entier dans le verre, comme si l’air le repoussait ; il est certain que si on trouve le moyen de pomper l’air derrière ce cristal, alors il ne passe aucun rayon, et que ce vide, en ce cas, semble plus puissant que l’air pour repousser toute cette lumière, qu’on croirait devoir trouver un accès si facile et dans l’air et dans l’espace purgé d’air[3].

Ce phénomène admirable dont j’ai parlé, parce qu’il me semble qu’il n’était pas assez généralement connu en France ; ce mystère, dis-je, est une des plus puissantes démonstrations de cette attraction tant combattue : car, si vous concevez bien qu’un trait de lumière qui entrerait dans l’eau n’entre presque point dans l’air, et que si l’air est ôté ce rayon repasse presque tout entier dans ce cristal dont il était prêt à s’échapper, vous concevez invinciblement qu’il y a dans ce cristal une puissance qui force ce rayon à repasser dans sa substance ; et tout géomètre qui examinera le mouvement de ce rayon, et l’espèce de courbe qu’il décrit lorsqu’il commence à remonter à travers de ce verre, verra que du sommet de cette courbe il doit rejaillir avec la même vitesse qu’il était tombé. Remarquez encore soigneusement que cette expérience n’a rien de commun avec celle de la réfraction dans le vide au bout d’une lunette : l’expérience de la réfraction dans le vide ne se fait point au même angle que celle dont je parle, et c’est probablement ce qui a trompé ceux qui ont critiqué cet endroit. Ils n’ont pas distingué le rejaillissement du vide, et la réfraction qui s’opère dans le vide.

sur une vérité importante d’optique.

2° Il y a un fait d’une physique plus singulière et plus intéressante : c’est au chapitre sixième, où j’ose affirmer que toutes les lois de l’optique n’influent point physiquement sur la manière dont nous voyons. Je ne prétends point assurément contredire en cela les mathématiques dans un ouvrage dont elles sont le fondement ; mais je prétends démontrer que l’Auteur de la nature a établi encore d’autres lois, et qu’un homme qui ne connaîtrait les rapports que des lignes, des surfaces et des solides, serait très-loin de connaître la nature[4].

Je dis donc qu’il se forme, selon les lois de l’optique, un angle une fois plus grand dans votre œil quand vous voyez un homme à dix pas que quand vous le voyez à vingt pas. Je dis que l’optique nous apprend qu’un objet est vu d’autant plus grand qu’il est vu sous un plus grand angle. Malgré cette loi mathématique, un homme vous paraît précisément de la même grandeur à dix pas et à vingt pas. Je demande comment ce sentiment contredit ainsi le mécanisme de nos organes et les lois de la géométrie. J’affirme enfin que la simple géométrie ne résoudra jamais ce problème. Un des philosophes des plus estimables de l’Europe m’écrivit, l’année passée, que je m’avançais trop, et qu’il ne serait point du tout embarrassé à expliquer géométriquement ce problème. J’ose prendre la liberté de lui dire qu’il n’en rendra jamais raison géométriquement, et que, s’il ne résout point cette difficulté, personne ne pourra la résoudre. Je crois que cette impossibilité est aussi bien démontrée que celle du mouvement perpétuel, ou de la quadrature du cercle.

Voici ma démonstration soumise à un examen d’autant plus rigoureux et plus aisé qu’elle est plus simple. Placez-vous à la tête de deux files de vingt soldats, tous d’égale grandeur et tous à égale distance les uns des autres : il est bien certain que les derniers soldats sont vus sons un angle vingt fois plus petit que les premiers. Il n’est pas moins certain que tous ces soldats vous paraissent également grands ; quelque forme qu’on donne à l’œil, quelque supposition qu’on fasse, que votre cristallin s’allonge ou s’arrondisse, se recule ou s’avance, il est également arrondi ou aplati, ou éloigné ou rapproché, par rapport à tous ces soldats que vous regardez à la fois. S’il rend les angles dans votre rétine plus petits, tous les objets doivent diminuer à proportion de leur distance ; s’il les rend plus grands, tous les objets doivent s’agrandir proportionnellement. Imaginez tous les moyens possibles pour tâcher d’avoir dans votre œil l’angle formé par le dernier soldat vingt fois plus grand, il faut qu’alors l’angle formé par le premier soldat devienne vingt fois plus grand aussi qu’il n’était : c’est une contradiction dans les termes que l’œil puisse se modifier au même instant d’une façon pour les objets à vingt pas, et d’une autre pour les objets à un pas. Donc il est démontré impossible de trouver une règle mathématique pour expliquer comment, avec un angle deux fois plus grand, vous voyez cependant un objet de la même dimension que celui qui vous paraît sous un angle deux fois plus petit ; donc il faut de nécessité recourir aux autres lois dont je parle.

sur un cas très-singulier de catoptrique.

3° Voici un cas très-singulier entre autres, où l’expérience dément une des plus grandes lois de la catoptrique ; elle mérite toute l’attention des philosophes.

Soit, par exemple, votre montre X réfléchie dans ce miroir concave ; par toutes les lois de l’optique, vous devez voir votre montre dans l’endroit où son rayon réfléchi se réunira avec une autre ligne nommée cathète, passant du point d’incidence au centre de la sphère du miroir concave. Mais ici ce cathète et ce rayon réfléchi peuvent se réunir à une distance infinie ; par exemple, soit votre œil en A : plus vous vous éloignez de ce point A, plus vous devez voir l’objet petit et éloigné, puisqu’il vient à vous par des rayons convergents ; vous devez le voir comme un point, s’il est possible qu’il soit vu.

Il y a plus : vous devez ne le point voir du tout, car c’est derrière vous qu’est le point visible, le point qui détermine la vision selon toutes les lois ; cependant vous le voyez de A, de B, de C, beaucoup plus gros à mesure que vous reculez un peu, jusqu’à ce que vous soyez enfin en un point où la confusion des rayons fait disparaître l’objet. Le P. Tacquet, accablé de cette espèce de prodige, dit qu’il est tenté d’abandonner toutes les règles de l’optique. Le P. Grimaldi n’y trouve aucune solution. Barrow n’ose tenter de l’expliquer. Molineux l’explique en vain. Newton n’en a jamais parlé, et peut-être sa profonde application aux plus sublimes mathématiques ne lui laissait pas le temps de se transporter dans la métaphysique, à laquelle le géomètre et le physicien ont besoin quelquefois d’avoir recours, La solution de ce problème se trouve encore très-aisément par les mêmes explications que j’apporte. Elles sont tirées d’un petit traité sur la Théorie de la vision, écrit par M. Berkeley, évêque de Cloyne ; il est imprimé à la suite des Dialogues sur la religion chrétienne contre les incrédules, ouvrage plein de la plus pressante dialectique, et que, par la plus absurde méprise qu’on puisse concevoir, l’auteur d’une feuille, sous le nom d’Observations sur les écrits modernes, traite de livre impie et d’ouvrage de libertin. J’apprends que plusieurs philosophes anglais sont mécontents de moi parce que je me suis servi des principes de ce prélat. Il a eu le malheur d’écrire contre Newton, et de lui reprocher mal à propos quelques sophismes. Il a traité les géomètres anglais de gens incrédules dans la religion, et trop crédules dans la géométrie de l’infini, qu’il a combattu : ils se sont tous réunis contre lui.

Mais faut-il, parce qu’il se sera trompé dans un point, qu’il ait tort dans tous les autres ? Faudra-t-il haïr le vrai parce qu’un homme qu’on n’aime point nous le présente ? J’ose dire que, dans sa Théorie de la vision, la profondeur et la subtilité ne se trouvent point aux dépens de la vérité,

4° J’aurais encore beaucoup de choses à dire sur la première partie de mon livre qui regarde la lumière, et sur la table des rapports entre les tons de la musique et les couleurs primitives ; sur des fautes considérables qui se sont glissées dans l’édition de Hollande ; mais ces discussions mèneraient trop loin, et je viens d’envoyer aux libraires hollandais les corrections dont.le livre avait besoin.

5° Je passe à la partie qui regarde la grande découverte de l’attraction, et ce qu’on appelle le système planétaire. Apparemment que les libraires de Hollande, parmi plusieurs additions que je leur ai envoyées, n’ont point reçu celle dont je vais parler ici, et qui est une des plus fortes démonstrations qu’on puisse apporter contre les tourbillons.

sur les preuves contre l’existence des tourbillons.

Il est prouvé que si un corps nage dans un fluide, le fluide et le corps sont en équilibre, sont de même densité.

Mais Newton a démontré qu’un corps, mû dans un fluide de même densité que lui, perd la moitié de sa vitesse avant d’avoir parcouru seulement trois fois son diamètre, parce que ce mobile déplace nécessairement les parties qu’il choque, etc. Dans cette démonstration, il a négligé de considérer la résistance du fluide, qui vient de la ténacité de ses parties, résistance qui sert à faire perdre encore beaucoup de vitesse au mobile : ainsi, ces deux causes jointes ensemble, ce déplacement des parties du fluide et sa ténacité auraient nécessairement arrêté tout mouvement dans toutes les planètes. Cette démonstration est une de celles qui ne laissent aucun subterfuge aux partisans des tourbillons. Cependant, quoiqu’on ne trouve pas dans mes Éléments cet argument invincible, et ceux qui sont tirés encore des longueurs des pendules comparées avec le temps de leurs vibrations, je crois en avoir assez dit pour mettre tout commençant et tout homme d’un sens droit en état de rejeter le plein et les tourbillons de Descartes avec assez de connaissance de cause.

Gassendi, Bernier, le P. Daniel, etc., avaient combattu ces hypothèses en France ; mais ils ne les avaient point attaquées avec les armes qui devaient les détruire : ils ne voyaient dans Descartes que des nuages, mais ils n’avaient pas la lumière pour les dissiper ; ils disaient des choses de très-bon sens, sans les pouvoir démontrer ; ils attaquaient vaguement, on leur répondait de même, et ce palais enchanté de Descartes subsistait dans l’imagination des hommes, parce que les philosophes qui sentaient cette illusion n’avaient pas encore de quoi rompre le charme.

Ce charme est tout à fait rompu par tant de démonstrations : j’ai donné fidèlement la substance de quelques-unes ; je ne me suis guère enfoncé dans les détails géométriques ; j’ai écrit pour ceux qui, n’ayant pas le loisir de s’appesantir sur ces matières, ont un esprit assez juste pour en sentir le résultat. Le nombre de ces sortes d’esprits est beaucoup plus grand qu’on ne pense. Il est bien vrai que ce livre n’est pas pour tout le monde, malgré le titre séducteur que les éditeurs lui ont donné ; mais s’il n’est pas pour tous, il est pour un assez grand nombre. J’ai fait aisément comprendre à quelques personnes sans études, non-seulement toute la théorie de la lumière, mais celle de la gravitation ; et tel homme qui a facilement entendu dans ces Éléments comment un corps, qui tombe dans la première seconde de 15 pieds, parcourt, dans la deuxième, 45, etc., a été embarrassé lorsque, sans géométrie préliminaire, il s’est servi des triangles de Galilée[5].

Je crois donc qu’avec un peu d’attention on verra nettement comment la gravitation, l’attraction est un principe indubitable du cours de toutes les planètes et de la pesanteur sur la terre ; cette idée charme l’esprit par un spectacle aussi vaste que la théorie de la lumière l’amuse par la finesse des expériences.

6° Je dois avertir que vers la fin du vingt-troisième chapitre on trouvera plus de profondeur, des recherches plus mathématiques et d’un détail plus délicat que dans le reste de l’ouvrage. Je loue hardiment cette dernière partie, parce qu’elle n’est pas de moi. La promesse que j’avais faite à M. le marquis de Maffei de traduire sa Mérope, promesse que je viens d’exécuter avant de prendre congé des vers, m’avait empêché de préparer, pour l’impression, les dernières feuilles de ma Philosophie. Une maladie qui m’a laissé dans une extrême langueur, et qui me permet à peine de travailler, a retardé encore en dernier lieu la fin de mon ouvrage ; j’avais ébauché la théorie planétaire et la cause d’un mouvement de la terre qui s’achève en 26,000 années ou environ, et celle du flux et du reflux de l’Océan, et enfin l’examen de ce que l’attraction opère sensiblement dans une infinité de corps.

Le savant mathématicien qui a cédé à l’empressement des libraires, et qui a fini le vingt-troisième chapitre de cet ouvrage, n’a pas traité de la période intéressante de 26,000 ans ; il croit qu’on ne la peut pas déduire des principes de Newton : pour moi, il me paraît prouvé que si la régression des nœuds de la lune et sa période de dix-neuf ans est visiblement opérée par l’attraction de la terre et du soleil, la régression des nœuds de la terre et sa période de 26,000 ans est causée par l’attraction du soleil et de la lune.

Il est aussi vrai que le soleil opère une attraction sur la terre qu’il est vrai que les trois angles d’un triangle sont égaux à deux droits ; et si cette attraction est prouvée, il est prouvé qu’elle est la cause du petit mouvement contre l’ordre des signes par lequel la terre s’éloigne chaque année de l’endroit où l’écliptique coupait l’équateur l’année d’auparavant, ce qui opère cette période de 26,000 années.

sur la période de 26,000 ans, et sur la figure de la terre.

Il y a ici une remarque très-importante à faire, c’est que cette période de la terre ne peut être causée par l’attraction qu’en cas que la terre soit plus élevée à l’équateur et aplatie aux pôles. Cette question de la figure de la terre ne pouvait être décidée nettement et sans retour que par le voyage et les observations de messieurs de l’Académie, qui reviennent du cercle polaire.

On sait combien, avant leurs expériences décisives, cette matière était contestée ; enfin voilà la question terminée, et les démonstrations de ces savants hommes, en prouvant que la terre est élevée à l’équateur, prouvent également, et la rotation de la terre sur son axe, et l’attraction, deux grandes vérités tant combattues.

sur le flux et le reflux de la mer.

7° Le savant continuateur n’a pas parlé du flux et du reflux de la mer : c’est pourtant une matière très-intéressante, et comme j’ai retrouvé le chapitre entier que j’avais ébauché sur ce sujet, je viens de l’envoyer aux libraires hollandais et en Angleterre[6].

8° Si le continuateur m’avait consulté, je l’aurais peut-être prié de ne point employer le chapitre xxiv à traiter la lumière zodiacale, parce que c’est une question qui semble assez étrangère aux découvertes qui dépendent de l’attraction ; de plus, je ne voudrais pas, dans un livre qui exclut toutes les hypothèses, en avancer une aussi hardie que celle d’une infinité de petites planètes dont on compose cette atmosphère solaire. On assure, dans ce vingt-quatrième chapitre, que nous avons obligation de cette idée au célèbre Fatio. J’ai sous les yeux le tome VIII de l’Académie, où le grand Cassini rapporte les idées de Fatio : il est question, ce me semble, d’atomes, et non de planètes ; mais, quoi qu’il en soit, ce chapitre est digne d’être lu de tous les savants.

sur les comètes.

9° On a parlé des comètes dans ce même chapitre, qui traite de la lumière zodiacale. Les comètes appartiennent essentiellement à la Philosophie de Newton ; ce que j’avais préparé est absolument conforme à ce que dit le continuateur ; j’aurais voulu seulement une figure, et je n’aurais point dit avec lui qu’il y a des matières animées dans les comètes, comme M. Huygens a prouvé qu’il y en a dans les planètes : car je ne vois pas que M. Huygens ait donné plus de preuves de cette imagination riante et sensée que n’en ont donné le cardinal Cusa, Kepler, Brunus, et tant d’autres, et surtout M. de Fontenelle. Autre chose est rendre une opinion vraisemblable, autre chose est la prouver. Nous pouvons soupçonner que des planètes, semblables à la nôtre, sont peuplées d’animaux ; mais nous n’avons pas sur cela d’autre degré de probabilité, exactement parlant, qu’en aurait un homme qui aurait des puces, et qui conclurait que tous ceux qu’il voit passer dans la rue ont des puces aussi bien que lui : il se peut très-bien faire que ces passants aient des puces, mais il n’est point du tout prouvé qu’ils en aient.

sur l’attraction de tous les corps.

Je devais finir l’Essai sur les Éléments de Newton par faire voir que l’attraction agit sensiblement sur la matière, et devient une qualité palpable[7], bien loin d’être une qualité occulte. Je me bornerai ici à un seul exemple. Il n’y a personne qui ne voie tous les jours de l’eau monter, soit entre deux glaces de miroir presque collées l’une auprès de l’autre, soit dans des tuyaux de verre fort étroits, ouverts par les deux bouts. Il est démontré que ce n’est ni l’air ni un fluide quelconque, pressant sur cette eau, qui la puisse faire monter ainsi : cette expérience se fait fort bien dans la machine pneumatique purgée d’air ; qu’on plonge d’ailleurs ces tuyaux dans du mercure, jamais le mercure n’y montera. Pourquoi l’eau s’y introduit-elle donc ? pourquoi, malgré toutes les lois des fluides et des mécaniques, l’eau monte-t-elle dans un tube capillaire de quarante pieds, et monterait-elle dans un de mille pieds, si ce n’est qu’en effet cette eau est réellement attirée par ce verre et gravite vers lui au point de contact ? Il y a sur cela beaucoup de choses à dire et d’expériences à faire ; mais il faut partout reconnaître l’attraction, quel qu’en soit le principe, comme autrefois on était forcé d’admettre la réfraction sans en savoir la cause, comme on admet l’adhésion, l’élasticité, la fluidité, la direction de l’aimant, et même son espèce d’attraction sensible, sans qu’on sache les raisons de toutes ces propriétés de la matière. Toute la différence entre ces qualités et celles de l’attraction, c’est que la nature présente les unes à nos yeux, et que Newton a découvert l’autre à notre esprit.

sur descartes et malebranche.

10° Il est juste de satisfaire ici la délicatesse de quelques personnes qui sont choquées de ce que j’ose dire sans détour que Descartes et Malebranche se sont très-souvent trompés. Oui, il est démontré qu’ils se sont trompés : on respecte leur personne, on admire leur très-grand génie ; mais le premier respect doit être pour la vérité. Il n’y a aucun philosophe qui ose soutenir les éléments, les lois du mouvement, les tourbillons, l’homme de Descartes ; et ceux qui veulent encore, malgré les lois mathématiques, conserver des tourbillons, sont obligés d’en imaginer d’autres qui ne sont pas sujets à de moindres difficultés. Descartes et Malebranche ont combattu Aristote sans ménagement et avec raison ; mais ils auraient eu grand tort de le mépriser. C’était un génie qui avait, au-dessus des Descartes, des Malebranche et des Newton, l’avantage de joindre à une science immense et à la philosophie de son temps la plus profonde connaissance de l’éloquence et de la poésie. Cependant on dit tous les jours, et on doit dire que sa physique est un tissu d’erreurs et d’absurdités. Pourquoi donc, en estimant Descartes comme le meilleur géomètre de son temps, comme le créateur de la dioptrique, ne pas avouer qu’il s’est trompé, et sur la dioptrique même, et dans tout le reste de ses systèmes ?

11° Je conclurai cette Préface en priant les libraires de faire un errata plus exact, ou plutôt quelques cartons.

Ils peuvent aisément consulter sur cela le mathématicien éclairé auquel ils se sont adressés pendant ma maladie. Ce qu’il a ajouté à mon ouvrage peut servir, même à des savants, et ce qui est de moi pourra instruire les commençants, pour qui seuls il m’appartient de travailler.

FIN DES ÉCLAIRCISSEMENTS, ETC.
  1. Ces Éclaircissements, envoyés par Voltaire à divers journaux, imprimés dans les Mémoires de Trévoux (juillet 1738), furent mis par lui en tête de l’édition qu’il donna à Londres (Paris) des Éléments de la philosophie de Newton, qui n’était que la réimpression de celle de Hollande, toutefois avec l’addition du xxvie chapitre. C’est donc à l’édition de Hollande que se rapportent ces Éclaircissements. Ils pouvaient, en 1738, être considérés comme une préface. Les changements et nombreuses augmentations faits depuis par l’auteur font que ces Éclaircissements ne sont plus qu’une pièce historique ; aussi Voltaire lui-même ne les avait-il pas reproduits dans l’édition de 1741, la première qui contienne les trois parties des Éléments. En conservant les Éclaircissements, je les place à la date que leur a assignée Voltaire ; et je crois me conformer à ses intentions en les séparant des Éléments. (B.)
  2. L’abbé Nollet faisait alors des cours publics de physique dans différentes villes.
  3. Ceci est affaire d’indice relatif et d’angle limite. Idées connues alors, mais peu familières. (D.)
  4. N. B. que pages 78-79, il y a toujours 4 pour 2, et 2 pour 4 : le lecteur peut corriger ces erreurs ; mais un carton serait mieux. (Note de Voltaire.)
  5. L’usage de ces triangles donne une démonstration élégante de cette loi des espaces que Voltaire rappelle ici. (D.)
  6. Ce chapitre parut dès 1738, dans l’édition que Voltaire fit faire en France sous le titre de Londres ; il y est intitulé Chapitre XXVI. C’est aujourd’hui le chapitre xi de la troisième partie des Éléments de la philosophie de Newton. Le dernier alinéa ne fut toutefois ajouté que longtemps après. (B.)
  7. Quatre ans avant la mort de Voltaire, cette idée trouvait sa justification dans les expériences de Maskélyne, puis ultérieurement dans celles que Cavendish entreprit avec l’appareil que lui avait légué Mitchell. (D.)