JAMALPUR, 6 SEPTEMBRE.


Nous ne demandions à Jamalpur qu’une réparation d’automobile et nous y avons trouvé une de ces amitiés saxonnes dont la sincère spontanéité fait tout le charme.


En train spécial. Temple à Srinagar.


Pendant qu’aux usines de l’East-indian, la principale compagnie de chemin de fer des Indes, on refond le volant de la machine brisé par une chute dans une fondrière, nos amis s’ingénient à nous faire oublier notre mésaventure en frétant un train spécial qui nous permet de visiter avec eux les environs de ce coin du Bengale, auquel Rudyard Kipling a consacré quelques pages dans sa City of dreadful Nigths, Nous allons en pique-nique à Sahebgunge, un village blotti dans la jungle au bord du Gange. Le fleuve déborde. Dans les maïs inondés, les Indigènes, montés sur le dos de leurs bufles gris, avancent péniblement, des barques faisant eau de toutes parts, surmontées de chiffons rouges en guise de voiles, transportent des femmes et des enfants et dans le lointain les montagnes de granit rose, but de notre excursion, se profilent dénudées, lisses, oranges et violettes sous les rayons d’or du soleil. Nous escaladons une colline qui s’avance en promontoire dans les eaux. Au sommet, l’horizon s’étend à l’infini sur des plaines liquides, hérissées de têtes de cocotier, d’arbres élancés, qui luttent contre l’envahissement des flots ; au pied du monticule, le Gange coule, baignant les cabanes des pêcheurs, dont les filets sèchent, pendus aux toitures de joncs. Au milieu du « Pudda[1] », sur un rocher enguirlandé de vignes vierges, planté de bananiers et de ficus, s’élève un temple, bâtiment bas, orné de coupoles oblongues et irrégulières, des escaliers de pierre, perdus dans le feuillage, vont au fleuve qui se brise en nappe café au lait contre l’îlot sacré.

Des Brahmes prient, la figure tournée vers la source du Gange, les Védas sont ouverts devant eux sur des X en bois affectés spécialement à ce saint usage : une ineffable impression de lumière et de repos se dégage de cette nature fine et calme.

Monghyr, que nous visitons en revenant à Jamalpur est une ville importante du district. Ses maisons indigènes sont basses, couvertes de tuiles, protégées du soleil et de la pluie par des auvents en roseaux soutenus par quatre bambous.

Les boutiques regorgent de fruits, de pâtisserie, de bonbons, de pâtes roses, blanches, jaunes, de boules de safran ; les ananas s’empilent entre les goyaves, les piments ; les corbeilles de graines débordent, les outres se balancent au vent à côté des jarres d’arak, les marchands somnolent d’un œil, taquinés par des gamins qui font voltiger sous leur nez des lucioles et des cerfs-volants ; les femmes coulent des bracelets de plomb, quelques-unes peignent leurs longs cheveux devant les maisons, des chiens affamés, les vertèbres saillantes, se faufilent avec les enfants entre les bulloks-carts et les petits chevaux des « Ekkas », des chameaux sans conducteurs se promènent gravement, à travers les barreaux des balcons des mains féminines leur donnent du pain.

Le Gange à Monghyr, décrit une courbe dont le contour circonscrit le quartier européen. Des éminences se projettent dans le fleuve et sur chacune d’elles s’élèvent des bungalows, dont les jardins dégringolent jusqu’aux flots sacrés, en tapis de verdure mariés aux parterres fleuris.

Une horde de fakirs a établi son quartier général au bord de l’eau, près d’un temple consacré à Shiva. Chacun d’eux possède une tente ou un pavillon de toile, un bol pour recevoir les aumônes, une cruche à eau en cuivre, des pinces à feu. Ils pèlerinent pour célébrer la visite d’un dieu qui vient, suivant leurs calculs, rendre honneurs à Ganga, la déesse du Gange. Une cordelette nouée autour des reins, des nattes de jute entortillées en turban sur la tête, composent tout leur vêtement. Ils ont le visage barbouillé d’ocre, de plâtre, le corps frotté de cendres, les yeux hagards, les membres meurtris, les chairs abimées par les lacérations, les charbons ardents, les pics de fer qu’ils emploient pour leurs austérités. La majorité sont de pauvres diables de caste inférieure mourant de faim qui trouvent dans l’ascétisme la nourriture quotidienne que les pieuses femmes ne manquent jamais d’apporter aux « Saints ».

Une foule considérable assiège leur camp : l’un demande un conseil, l’autre une guérison, une place, quelques uns confient des secrets, des affaires. Agenouillées à leurs pieds, des dévotes s’efforcent de deviner l’avenir dans les nappes de beurre fondu qu’elles répandent, à la prière des ascètes, sur les brasiers qui brûlent doucement devant leurs idoles.


  1. Nom du Gange en Indoustani.