À travers l’Europe/Volume 1/De Manchester à Londres

P.-G. Delisle (1p. 103-107).








L’ANGLETERRE

L’ANGLETERRE


I

DE MANCHESTER À LONDRES.



PLUSIEURS chemins mènent à Londres ; mais l’Angleterre étant le pays de l’Europe où le commerce et l’industrie ont atteint le plus vaste développement, il me semble que Manchester est la porte convenable pour y entrer.

C’est donc par Manchester que nous faisons connaissance avec la mère-patrie. Quelle fourmillière de manufactures ! Quelle forêt de cheminées ! Quel enfer de fournaux vomissant la flamme et la fumée !

Est-ce l’antique Babel dont on veut recommencer la construction ? Sont-ce les forges des Titans que ces longs édifices de briques couverts en tôle et d’où sort un bruit de fer ?

Non, c’est l’usine, l’usine horrible avec son mouvement monotone, avec ses murs noircis et humides, avec ses machines qui semblent vivre et ses ouvriers qui semblent des machines, avec ses obélisques de brique qui portent jusque dans les nuages la noire fumée qu’elle exhale.

C’est ici que l’on peut voir jusqu’où peut aller la puissance de l’homme sur la matière. Il ne peut pas la créer pas plus qu’elle n’a pu se créer elle-même, mais il s’en rend maître, il la façonne, il la transforme, il la change, il l’adapte à ses besoins, et lui fait produire ce qu’il ne pourrait pas faire lui-même.

Admirable économie de la Providence qui produirait bien des merveilles, si l’homme savait rapporter au Créateur de toutes choses l’hommage de ses œuvres, et s’il n’en venait pas à croire que tout est matière, et que la matière est Dieu ! Hélas comment comprendre que l’homme, fait si grand, travaille à se rapetisser ainsi lui-même ?

Ces réflexions, et bien d’autres qui ne valaient pas mieux, roulaient dans mon cerveau, lorsque je visitai les Mayfield Point Works Ordsall Mills qui sont, paraît-il, les plus vastes manufactures du monde.

Il n’y a pas de doute que leurs proportions et leurs travaux étonnent. Mais je n’ai à aucun degré la bosse de l’industrie, et si elle peut quelquefois m’étonner, elle ne réussit jamais à m’émouvoir.

Manchester est une ville qui grandit beaucoup, et qui depuis quelques années vise même à s’embellir.

Elle a des édifices publics qui sont très beaux. Le New Town Hall, l’Exchange et les Assizes Courts ont vraiment du style, et je crois que les artistes ne leur ménageraient pas les éloges. Mais à part ces monuments dont Manchester est très fière, je ne vois pas pourquoi je m’arrêterais plus longtemps dans la Métropole du Coton. Je n’ai pas le génie d’un de mes compatriotes anglais, qui ne voit rien d’intéressant en dehors des affaires, et qui me demandait dernièrement si Rome est une belle place de commerce.

Saluons donc la ville du premier Sir Robert Peel, qui fut l’un de ses principaux manufacturiers, et filons vers Londres.

L’Express-train qui nous emporte avec une vitesse de 60 milles à l’heure nous permet à peine de jeter un coup d’œil sur Stafford qui a beaucoup de tanneries et de fabriques de bottes — deux industries qui ne vont pas mal ensemble — Lichfield, renommée par sa bière, qu’elle a le tort de ne pas servir gratis aux touristes — et Coventry où siégea pendant la guerre des Doux-Roses un parlement qu’on a surnommé diabolique, comme s’il n’y avait pas d’autres parlements où le diable fait passer ses lois.

La nuit est venue, quand des milliers de lumières scintillant dans le lointain nous avertissent que nous arrivons dans la plus grande ville du monde.

A 10 heures nous descendions au Langham Hôtel.