À tire-d’aile (Jacques Normand)/49
VIII
À ABRAHAM DREYFUS
I
Sur sa figure pâle et sur son front pensif, Qu’auréole le flot massif On lit de fins sillons tracés par le malheur : Si, du visage, on pénétrait au cœur, On y découvrirait des douleurs ignorées.
Sa jeune bouche a pris le pli Sous le corsage noir, la fraise au col bombé, Son dos se penche, étroit, un peu courbé, Et son sein, par instants, se soulève et soupire. Elle suit, comme un sphinx rêveur, Sur son corps délicat, de moments en moments, On voit passer, par courts frémissements, Le récent souvenir d’une amère tristesse. L’encadre dans ses deux coussins Et du soleil couchant les rayons inclinés Pointillent d’or les lambris blasonnés ; Et, dans le fond ombreux, le grand lit à colonnes.
Éclaire d’un reflet sanglant Sous la cheminée haute, un lévrier danois, Vieux chien de chasse aux poils rudes et droits, Dort, allongeant sa tête entre ses longues pattes.
II
Soudain perçant avec effort Sur les genoux grimpe, s’élance,
III
À cette douce voix, à ce tendre baiser Que le chérubin vient poser Elle rit, et chassant le passé douloureux, Rend à l’enfant, parmi ses blonds cheveux, Un de ces bons baisers comme en savent les mères. Bouillonne et colore en passant Son cœur, comme enchaîné, s’est soudain délié ; Elle revit : tout paraît oublié Près de l’être adoré qui sur elle se penche.
Le lévrier, à pas muets, Se dirige vers lui, pose sur ses genoux Sa bonne tête à l’œil tendre, aux poils roux, Et lèche doucement la main du jeune maître. Un cavalier semble tout voir, Sous sa moustache fière un sourire a passé : Humide et doux, son œil a caressé Dans un même regard son enfant et sa veuve.
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