Calmann Lévy, éditeur (p. 52-54).

IX

L’OFFICE DES MORTS.


Les immenses draps noirs aux larmes argentées
Ont revêtu les murs de la chapelle en deuil ;
Les lettres en blason viennent d’être montées,
Et le haut catafalque a reçu son cercueil.

Les cierges alignés, cascades de lumière,
Versent leurs tons dorés sur les grands pavés blancs ;
Un jour terne, tombant de la voûte de pierre,
Mêle un rayon blafard à leurs reflets sanglants.

La nef, les bas côtés se remplissent de monde ;
L’orgue parle : lançant à flots leurs grosses voix,

Les chantres font vibrer la coupole profonde,
Et les trois prêtres noirs s’inclinent vers la croix.

C’est la messe des morts, la conduite dernière
Que fait l’homme qui reste à l’homme qui s’en va ;
C’est le dernier adieu de l’humaine misère,
C’est le dernier accent que le mort entendra.

Ils sont là, les amis, les vrais amis fidèles.
Petit en est le nombre, et grande la douleur ;
Car, pour savoir le prix des amitiés réelles,
Ils n’ont plus qu’à sonder le vide de leur cœur.

Il est là, dans le fond, le cortége moins sombre
De tous ceux qu’il connut en passant ici-bas :
Frôlements d’un instant, relations sans nombre,
Des noms, et point un cœur. — Ceux-là ne pleurent pas.

Ces derniers sont venus par pure bienséance,
La lèvre sans prière et l’âme sans regrets ;

Ils veulent seulement faire acte de présence,
Être vus des parents et s’en aller après.

Enfin, aux bas côtés, les curieux s’amassent,
Regardant de la mort le pompeux ornement ;
Puis de nouveaux venus, gantés de blanc, se placent :
C’est pour un mariage… après l’enterrement.

Cependant, libre enfin de sa terrestre chaîne,
Effleurant en passant son cadavre glacé,
Dans l’ombre des piliers, sur cette foule humaine,
Plane de son grand vol l’âme du trépassé.

Et lisant dans les fronts la pensée enfermée,
Triste, elle se répète en gémissant tout bas :
« Hélas ! qu’il en est peu, de ceux qui m’ont aimée,
Qui m’aimeront longtemps et ne m’oublieront pas ! »