À l’heure des mains jointes (1906)/Confidence devant le Soir


CONFIDENCE DEVANT LE SOIR


Ma très chère, je suis calme, je suis heureuse,
Et l’aube a rafraîchi mes tempes de fiévreuse.

Viens, je te conterai mon passé, si tu veux…
Et je te parlerai d’abord de ses cheveux.

Ses cheveux la nimbaient, virginale auréole…
Elle ne savait point que la douceur console…

Ses cheveux froids étaient plus pâles qu’un reflet,
Et je l’ai poursuivie ainsi qu’un feu follet.


Écoute… Tu le sais, ô charme de mes heures !
Les premières amours ne sont pas les meilleures…

Cet irritant baiser qui me rongeait la chair
Mordait plus âprement que le sel de la mer.

Ton rêve se marie au mien lorsque je pense,
Et jamais je ne fus tranquille en sa présence.

Câline, elle savait m’entourer de ses bras…
Mais j’ai compris un jour qu’elle ne m’aimait pas.

Mes regards n’étaient point assouvis de sa grâce.
J’étais avide encor… Malgré tout l’on se lasse.

Mes songes ressemblaient aux printemps défleuris.
Je me suis dit un soir : « Mes yeux se sont taris… »

Chère, je reconnus que son cœur était double,
Si bien qu’enfin j’ai pu la contempler sans trouble.

Je ne sais plus le goût âcre des pleurs anciens…
Vois, le soleil est beau comme aux siècles païens.


Le silence me fait une âme nonchalante
Et l’instant fuit, avec les pieds blancs d’Atalante.

Le flot d’été ruisselle, aussi bleu que le temps.
Avec un langoureux bonheur je me détends…

Il me semble que j’ai parlé dans le délire
Tout à l’heure… Oublions ce que je viens de dire…