À l’amie perdue/La Floraison

Librairie Hachette et Cie (p. 1-52).




I

LA FLORAISON




I




Les marronniers mettaient leurs premiers bourgeons verts
Dans le blanc ciel d’Avril aux ombres inquiètes,
On vendait les derniers bouquets de violettes,
Le Printemps s’échappait des noirs mois entr’ouverts,

Quand les premières fois je la vis. À travers
Les dessins emmêlés de ses sombres voilettes,
Je lus, d’un seul regard, les souffrances secrètes
Et les longs désespoirs, dans ses yeux doux et fiers.

Ma pitié s’attacha par des rêves tremblants
A la triste inconnue ; et lorsque je l’aimai,
L’Été allait ouvrir le temps des fleurs écloses,

On vendait les premiers bouquets de jeunes roses,
Et dans l’azur uni du calme ciel de Mai
Les marronniers mettaient leurs derniers thyrses blancs.




II




D’où vient, dans cette ville étroite, au ciel obscur,
Qui vit dans ses marais au fond de noires plaines,
Cette beauté puissante et digne de l’azur
Où passaient les profils augustes des Romaines ?

Elle aurait dû marcher, d’un pas tranquille et sûr,
Sous la robe aux plis droits, le front ceint de verveines,
Dans les cortèges blancs déroulés sur le mur
D’un temple couronné de déesses sereines.

Quel flot inexplicable et quels hasards de races
Ont porté, à travers les temps et les espaces,
Chez ces peuples aux corps chétifs, aux pâles faces,

Cette fleur de sang pur et ce corps magnifique,
Et mis dans ces cités de mortier et de brique
Ce marbre détaché d’un bas-relief antique ?




III




 
Parmi tant de regards qui recherchent le sien,
Quel espoir que jamais mon humble regard perce
Les adorations que sa beauté traverse
Avec ses yeux levés et son noble maintien ?

Elle ne saura pas que je l’aime et combien !
Jusqu’à l’âge où le cœur en son hiver se gerce,
Mon cœur, que sa pensée émeut et bouleverse,
La suivra, taciturne et sombre stoïcien.

Et ce n’est là qu’un peu des chagrins qui m’attendent ;
En la suivant ainsi, je vivrai dans l’effroi
De voir, tandis qu’en vain mes désirs la défendent,
 
Ses regards s’abaisser sur un autre que moi,
Sur un autre que moi descendre son sourire ,
Son sourire ignorant de l’amour qu’il déchire.




IV




Je brave tes efforts et ton courroux acerbe,
Amour, ô dur bourreau des humaines poitrines !
Je veux voir tout mon sang couler et teindre l’herbe,
Et sentir dans mon front s’enfoncer les épines ;

Mes lèvres garderont leur indomptable verbe
Quand mes pieds rougiront les roches des collines ;
Et mon cœur restera rayonnant et superbe
Dans mes flancs frémissants percés de javelines.

La meute des tourments me suive et me harasse,
Mon sourire luira dans le sang de ma face !
Je le brave, sachant, hors de la défaillance,
 
Mon pouvoir de souffrir plus fort que ta souffrance,
Mon pouvoir d’espérer plus fort que ta menace,
Et mon pouvoir d’aimer plus fort que l’espérance !




V




 
Quand la Grande-Ourse monte au-dessus du vieux toit
Du jardin sombre, et quand, sur la ville déserte.
On entend jusqu’au bout les heures du beffroi,
Heureux, je viens m’asseoir à la fenêtre ouverte ;

C’est l’heure réservée où je vis avec toi ;
L’éclat bruyant du jour égare et déconcerte
L’effort de mes yeux clos pour te revoir en moi ;
Par la pudique nuit ta face m’est offerte.

Incertaine et lointaine en de bleuâtres voiles
Aux plis mystérieux diamantés d’étoiles,
Mais telle cependant qu’il paraît en descendre.

Dans un rayon d’argent, un regard calme et tendre.
Souvent un rossignol chante. Et j’attends ainsi
Que ta présence expire en un ciel éclairci.




VI




 
Ô toi dont le visage à la grave beauté.
Au regard sérieux, au front vaste et tranquille,
Par des Grecs consacrant un temple dans leur ville
Eût été dans le marbre ou l’ivoire sculpté,

Je viens vers toi, marin par les flots maltraité
Et qui gravit enfin les marches du prostyle ;
Accueille-moi. fais-moi de ton ombre un asyle
De lumineuse paix et de sérénité !

Toi dont le liant esprit sur les sommets s’isole,
Des choses dédaigneux, de l’amour seul jaloux.
Sois la calme raison qui guide la parole,

Qui soumet les désirs, qui fléchit les courroux,
Sois pour moi la déesse aux yeux sages et doux,
La Minerve aux yeux bleus qui conseille et console !




VII


1

 
Nos yeux seuls ont été les muets interprètes
Du sentiment caché qui naissait dans nos cœurs :
Les tiens m’ont révélé tes tristesses secrètes,
J’ai su tes longs combats en devinant leurs pleurs,

Et compris ta tendresse aux clartés inquiètes
Dont se troublaient parfois leurs rêveuses douceurs ;
Et les miens t’ont redit les incertaines fêtes
Dont mon âme était ivre en voyant tes pâleurs.

Maintenant un amour grandissant se déroule
Entre nous, sans avoir d’autre langage qu’eux ;
Quand nous nous rencontrons au milieu de la foule.

Nos regards se croisant échangent des aveux,
Comme, à travers l’espace et par dessus la houle.
Des phares éloignés se parlent par leurs feux.

VIII


2

Les caresses des yeux sont les plus adorables ;
Elles apportent l’âme aux limites de l’être,
Et livrent des secrets autrement ineffables,
Dans lesquels seuls le fond du cœur peut apparaître.

Les baisers les plus purs sont grossiers auprès d’elles ;
Leur langage est plus fort que toutes les paroles ;
Rien n’exprime que lui les choses immortelles
Qui passent par instants dans nos êtres frivoles.

Lorsque l’âge a vieilli la bouche et le sourire
Dont le pli lentement s’est comblé de tristesse,
Elles gardent encor leur limpide tendresse ;

Faites pour consoler, enivrer et séduire.
Elles ont les douceurs, les ardeurs et les charmes !
Et quelle autre caresse a traversé des larmes ?

IX


3

 
Nos yeux sont devenus étrangement semblables,
La même expression tragique les habite,
Elle a chassé des tiens, souvent méconnaissables,
Leurs limpides clartés, et ma fièvre y palpite.

L’appel toujours déçu qui toujours sollicite.
Les espoirs emmêlés de regrets implacables,
La haine du passé que chaque instant irrite,
Les ont creusés, et les désirs inexorables.

A force d’exprimer ce que notre âme endure,
De suivre un même rêve en des nuits sans sommeils.
Et de porter l’aveu de la même blessure

Dans des jours que n’ont point rafraîchis les réveils,
Nos pauvres yeux, meurtris par la même torture,
Se prennent en pitié dans des regards pareils.

X


4

Quand je l’embrasserai sous un treillis de roses,
Je veux que vous ayez notre premier baiser,
O chers yeux qui m’avez avoué tant de choses.
Et mon âme sur vous montera l’épouser ;

Je veux que vous sentiez sur vos paupières closes
Les prémices de ma tendresse se poser,
Sources de mon bonheur, clartés des jours moroses,
Dont l’émoi découvert me permit seul d’oser ;

Afin que vos regards, quand vous vous rouvrirez,
Reparaissent changés et déjà rassurés
Par cet avant-coureur d’un long amour fidèle.

Il est juste, ô chers yeux, chers yeux tristes et doux,
Que sur vous, sur vous seuls, mon premier baiser scelle
L’amour inespéré qui m’est venu par vous.

XI


5

 
Et lorsque, près des lis et des roses trémières,
Sur le banc solitaire au bout de l’avenue
Favorable aux amants sous ses clartés dernières,
Je l’ai, contre mon cœur, un court instant tenue,

Lorsque vous vous fermiez déjà sous vos paupières,
Et paraissiez ainsi donner la bienvenue
Au baiser pressenti dans mes longues prières,
En cette heure d’amour grâce à vous obtenue,

Oubliant vos aveux, vos angoisses, vos fièvres.
Et combien vous aviez pleuré, doux yeux si las,
Et que je vous devais de l’avoir en mes bras,

J’ai rompu ma promesse, et mes baisers ingrats
Vous ont abandonnés pour venir sur ses lèvres,
Qui ne m’ont dit qu’un mot, et qui l’ont dit tout bas.

XII


6

 
Ah ! doux yeux résignés pour qui je fus injuste,
Et qui n’avez pas eu le premier des baisers
Qui montèrent de moi vers son visage auguste,
Pardonnez-moi doux yeux et soyez apaisés !

Mon cœur continuera de vous appartenir,
Si mes lèvres s’en vont à ses lèvres, le soir ;
Et les mystérieux retours du souvenir
Iront toujours à vous de qui me vint l’espoir.

Dans quel baiser, malgré sa brulante tendresse,
Croyez-vous que ce cœur comme à vous apparaisse ?
Il me semble parfois que je ne vis qu’en vous,

Ou que vous seuls vivez dans mon être dissous ;
Doux yeux dont j’ai mal su dissiper la tristesse,
Demeurez les amis de mon amour absous !

XIII


Un seringat fleurit dans un jardin pensif
En une allée humide au sol lépreux et dur,
Auprès d’un banc verdâtre, au pied d’un ancien mur
Dans un coin qu’assombrit encor l’ombre d’un if.

Sa fleur de cire met un rayon maladif,
Une frêle pâleur en son feuillage obscur ;
Et, pendant quelques jours, quand Juin luit dans l’azur,
Un parfum puissant sort de l’arbuste chétif.

Mais moins cher est pour moi l’éclat incarnadin
Des roses, car c’est là, sur lui, que ta main prit
Une fleur arrachée en un geste soudain,

Et que ton cœur, fermé jusqu’alors, s’entr’ouvrit.
C’est pourquoi je reviens dans ce pensif jardin
Où près d’un banc verdâtre un seringat fleurit.

XIV


1

 
O jour par qui j’aurai vécu digne d’envie,
Ton souvenir en moi brille comme un vitrail,
Et met, dans la nef sombre et grave de ma vie,
Une fleur d’améthyste et d’éclatant corail !

Lorsqu’aux moments chargés d’ennui, las de travail,
La pente de chaque heure est lourdement gravie,
Je me tourne vers toi, ô lumineux portail,
O seuil du ciel rêvé par mon âme ravie !

Et comme un pèlerin qu’attend un long sentier
A travers les plateaux balayés par la bise,
Pour reprendre courage entre dans une église,

El regarde, à genoux auprès du bénitier.
Les visages divins qui luisent dans le chœur,
Ainsi, doux Souvenir, j’adore ta douceur.

XV


2

 
Voici ce que je vois sur l’étrange verrière ;
Une dame très belle, en longue robe blanche
Dont le cœur est brodé d’une fleur de pervenche,
Est debout au milieu d’unie jeune clairière ;

Au tronc gris des bouleaux grimpe un filet de lierre,
D’une grotte moussue une source s’épanche,
Un rossignol, parmi les feuilles d’une branche,
Chante, le ciel sourit de clarté printanière ;

Et la dame très belle et très bonne a tendu
Ses deux mains à quelqu’un qui se jette éperdu
Et les baise humblement, à quelqu’un dont la face

Dans ce geste abaissé se détourne et s’efface.
Et je me dis : « C’est moi qui lui baise les mains. »
Alors viennent les vents par les âpres chemins !

XVI


 
Mon cœur était un marbre en une ronceraie,
Dans un sentier banal aux yeux de tous placé,
Où le hasard sans cesse écrivait à la craie
Quelque nom par la pluie aussitôt effacé.

Mais l’Amour, arrachant les ronces et l’ivraie,
Les jeta dans les airs d’un geste courroucé,
Et sculpta lentement, d’une main ferme et vraie
Un nom profondément et pour toujours fixé.

Puis il mit tout autour un grillage de fer,
Aux quatre coins duquel il dressa des statues
Au corps de marbre blanc, mais d’airain revêtues :

Ce sont le Souvenir, l’Espoir, le Pardon fier,
Le Dévoûment, debout comme des sentinelles
Gardant contre le Temps des choses éternelles.

XVII


 
Ta bouche, si longtemps rebelle à mon amour,
Recevait mon baiser sans vouloir me le rendre,
Et, ne se donnant pas sans pourtant se défendre,
L’accueillait sans livrer son baiser en retour ;

Et, bien que ton regard, comme un ruisseau qui sourd,
Clairement épanchât l’aveu profond et tendre,
La caresse tremblait, sans pouvoir en descendre,
Sur ta lèvre hésitante à frémir à son tour.

Enfin, en un instant qui vint inaperçu,
Bref instant d’abandon de l’âme qui s’oublie,
Brusque instant de pitié pour l’amour qui supplie,

Ta lèvre à mon baiser prit part à son insu,
Et d’un baiser donné fit un baiser reçu.
Mais je vis dans tes yeux plus de mélancolie !

XVIII


 
Quand ton premier baiser se posa sur mon front,
Un orgueil resplendit en moi, une allégresse
Pareille au rayon pourpre, irrésistible et prompt
Qui sur les monts soudain illuminés s’empresse,

Et, traversant d’un trait l’ombre triste, la rompt,
Mon front immaculé méritait sa richesse,
Et j’avais conservé pure de tout affront
La place chère et fière où tu mis ta caresse.

Quand ton premier baiser se posa sur ma lèvre,
Je ne tressaillis pas d’un transport triomphal,
Mon sang ne bondit point d’impétueuse fièvre,

Je demeurai confus, humble, pâle, immobile,
Car je sentis frémir, sous ce baiser royal,
De mes anciens baisers la multitude vile.

XIX


Parfois les mots ardents, jaillissant à flots clairs,
De mon cœur débordant retombent en cascades,
Comme celles auprès desquelles les Dryades
Reposent leurs corps blancs sous les ombrages verts,

En rêvant aux baisers qui font frémir les chairs,
Lorsque, dans les grands bois, les bruns Sylvains nomades,
Bondissant tout à coup hors de leurs embuscades,
Les saisissent, saisis par leurs beaux bras ouverts.

Et parfois les aveux expirent sur la berge
De mon âme plus chaste et plus douce et plus pure
Que la source sacrée à l’épaisse ramure

Où, sous le tremblement religieux d’un cierge,
Laissant les oraisons flotter comme un murmure,
Les vierges aux doux yeux viennent prier la Vierge.

XX


 
C’était un petit bois sur un coteau moyen,
Bien-aimée, où tu mis tes deux bras à mon cou ;
Mais le Printemps d’hier l’avait déjà fait sien,
Et comme s’il avait fait glisser un verrou,

Feuilles, oiseaux et fleurs que plus rien ne retient,
S’étaient précipités d’un pêle-mêle fou,
Et s’étaient emparés du tronc le plus ancien,
Excités par les cris allègres du coucou.

Les arbres s’embrouillaient dans le vert écheveau
De bourgeons, qui pendait en tremblant à leurs cimes ;
Et sous ces frondaisons, trois fois, nous entendîmes

Une voix s’écrier dans le vent embaumé :
« Qu’ils aiment aujourd’hui ceux qui n’ont pas aimé,
Et ceux qui ont aimé qu’ils aiment de nouveau ! »

XXI


 
Rosier blanc, dont les jets emmêlés et hardis,
Grimpant le long du mur jusqu’au balcon de fer,
Enroulent aux barreaux sur l’enclume arrondis
Les rinceaux délicats de leur feuillage clair ;

Rosier blanc, dont les fleurs si pures semblent faites
Pour parer les autels dans la flamme des cierges,
Quand le mois virginal renouvelle ses fêtes,
Ou fournir des bouquets à la tombe des vierges ;

Rosier blanc, cache bien la rose un peu pourprée,
Ton seul calice ardent, que ma main déchirée
De son sang a rougi, quand je suis descendu

De ce balcon de fer, où longtemps suspendu
Je prolongeais l’adieu et le baiser suprême
De celle qu’en secret j’ai conquise et que j’aime.

XXII


 
Petit village agreste, et clos de monticules
Où paissent des troupeaux de moutons et de chèvres,
Tu vis loin des chemins et tu te dissimules
A l’écart des cités et de leurs âpres fièvres ;

Tes murs blancs, tes toits gris aux paisibles fumées
Se blottissent autour du clocher paternel,
D’où, sur les champs lointains, cloches accoutumées,
Vous jetez vos instants de repos solennel.

Dans ton cirque restreint de gazons et d’azur
Ne peux-tu recevoir, en un asile sûr,
Deux voyageurs lassés, et les garder cachés,

A leur humble foyer promptement attachés.
Et contents de manger un pain de froment pur
Cuit dans des fours chauffés par des myrtes séchés ?

XXIII


L’aube s’épanouit en clartés adorables,
D’immenses rayons d’or réveillent les villages,
Les troupeaux mugissants sortent de leurs étables,
Et vers les longs labours partent les attelages ;

Le soleil fait ouvrir les lucarnes des gables,
Où des rosiers grimpants encadrent les visages ;
La rosée en séchant fait fumer les érables,
Et les premières faux brillent dans les herbages.

Lève-toi ; par delà les vergers dont les branches
Ont toutes un feston de fleurs roses et blanches,
Un sentier, qui descend par des talus étroits,

Mène au ruisseau d’argent qu’il franchit sur des planches,
Et, le ruisseau passé, presqu’aussitôt tu vois
L’ombre où nous passerons le jour au bord des bois.

XXIV


 
Le parc noircit ; au bout de l’immense avenue
Expire dans le ciel la dernière jonquille ;
La source qui jaillit de son urne moussue
Brille encor, mais les fleurs rentrent dans la charmille.

Une poussière d’or dans l’étang s’éparpille ;
Sur le bord indécis se tient une statue,
Une nymphe timide et blanche, à demi-nue,
Car jusqu’à sa ceinture un rosier s’entortille ;

On dirait qu’elle attend que les ombres soient closes
Pour laisser à ses pieds tremblants couler sa robe
Dont elle tient encor les plis brodés de roses,

Abu de n’avancer jusqu’aux eaux merveilleuses
Qu’à l’instant où la nuit sûrement la dérobe
Aux regards des Sylvains guettant sous les yeuses.

XXV


 
Une lueur au ciel est mauve comme un col
De tourterelle lasse et presque inanimée ;
De lourds lilas s’emplit la vallée embrumée,
El les chauves-souris ont commencé leur vol ;

Dans la forêt muette où chante un rossignol,
Le crépuscule exhale une haleine embaumée ;
La rosée a semé de perles la ramée :
Les feuilles dans les airs, et les fleurs sur le sol,

Et les mousses autour des troncs, dans l’ombre brune
Scintillent d’une étrange et claire broderie,
Où ruisselle l’étrange et claire rêverie

De l’oiseau qui toujours redit son infortune.
Viens, pour parer le bois de toute sa féerie,
Y montrer tes yeux bleus dans des rayons de lune.

XXVI

 
La petite maison auprès de la rivière,
Où nous avons passé deux mois tristes et doux,
Te la rappelles-tu, si fraîche et printanière,
Sur sa pelouse verte où luisait un vieux houx ?

De la terrasse avec les balustres de pierre
Et les grands vases bleus, nous avions devant nous
Des champs aux plis lointains fuyant dans la lumière,
El le fleuve à nos pieds roulait ses lents remous.

Mais il fallut partir, et je revois encore
L’eau grise qu’un rayon du clair matin colore,
Si calme ce jour-là qu’aucun reflet n’y bouge,

La barque du passeur qui lentement m’emporte,
Et le geste d’adieu que tu fis dans la porte
Où croissaient deux rosiers, l’un blanc et l’autre rouge.

XXVII

 
Que ce sonnet ressemble aux galères royales,
Qui traînent sur les flots des velours frangés d’or,
Et, sous un dais de soie aux splendeurs liliales,
Portent le lit d’ivoire où la reine s’endort ;

Que de mots éclatants, bannières triomphales,
Il flotte pavoisé comme un mouvant décor ;
Qu’un bruit charmant et doux de luths et de cymbales,
De violes d’amour, retentisse à son bord ;

Qu’il soit resplendissant ; que les salves des rimes
Eclatent hautement par le sabord des vers ;
Qu’il vogue enveloppé par des souffles sublimes,

Arborant à son mât des lauriers toujours verts ;
Car il porte ton nom souverain à travers
Les espaces du Temps et ses profonds abîmes !

XXVIII

 
Sculpteur, regarde bien cette face, pour rendre
La beauté de ce front paisible et spacieux,
Modelé purement, la beauté de ces yeux,
De ce profil qu’un maître immortel semble attendre !

Regarde bien, sculpteur, surtout sache comprendre
Ce que les lèvres ont de dédain sérieux,
Et ce que le regard a de candide et tendre !
Choisis un bloc parfait de marbre précieux ;

Veille que ton ciseau soit chaste et soit robuste,
Ainsi que le ciseau d’un vieil artiste grec ;
D’un cœur respectueux approche ton ouvrage

Pour n’être pas vaincu dans ton combat avec
La puissante douceur de ce noble visage ;
Car un jour, par mes vers, sera jugé ton buste.

XXIX

 
J’ai, dès les premiers jours, deviné que ta vie
Loin des bonheurs humains dans son chagrin s’exile,
Où rarement un jour moins assombri convie
Quelque joie indécise ou quelque espoir débile.

C’est pourquoi, te sachant des Tristesses suivie,
Je veux que mon amour soit le mur et l’asile
Où leur menace meurt, où leur flèche dévie ;
Je veux que mon amour soit le baume et soit l’huile.

O colombe longtemps sous l’ombre du malheur,
Je veux soigner, panser et protéger ton cœur,
Et le guérir si bien, qu’à la fin je le force

De pardonner au sort et d’être confiant :
Je veux, t’enveloppant de tendresse et de force,
Faire de mon amour un bienfait patient.

XXX


1

Orgueilleuse ! tu veux pour toi-même être aimée ;
Tu repousses, dis-tu, la pitié de l’Amour,
Tu la ressentirais comme un bienfait trop lourd
Qui blesserait ton âme aussitôt refermée ;

Ta hautaine fierté, promptement alarmée,
Veut l’amour qui chérit, non celui qui secourt ;
Et craint de recevoir sans donner en retour,
Dans régale union par ton cœur réclamée.

Pourtant, c’est la Pitié qui vers toi m’a conduit ;
Plus tôt que ta beauté j’ai senti ta tristesse,
Et ma compassion précéda ma tendresse ;

Je te plaignis d’abord, je fus plus tard séduit.
Et je vis que tes yeux étaient pleins de douleur
Avant d’apercevoir leur charme et leur douceur.

XXXI


2

Oui ! la Pitié vers toi m’a conduit ! Je la vis,
Près des vieux marronniers, lorsque le crépuscule
Entre les troncs noircis ainsi qu’un brasier, brûle,
Sous des nuages d’or par le vent poursuivis.

Doucement lumineuse au haut d’un monticule
Aux flancs par des iris innombrables gravis,
Elle fit de la main un geste, et je suivis
Les plis de son manteau couleur de libellule.

À travers des sentiers bordés d’églantier triste
Dont les pétales blancs s’effeuillaient, sous des cieux
Où dormait maintenant une sombre améthyste,

Par les bords de marais pâles et soucieux
Où le dernier reflet du soir mourant persiste,
Je marchai, poursuivant ses pas mystérieux.

XXXII


3

Oui ! la Pitié vers toi m’a conduit ! Nous marchâmes
Dans la nuit où tremblait une lueur cendrée
De la poudre d’argent des astres saupoudrée,
Dans la nuit où traînaient des parfums de dictames.

Et le temps me parut très court. Lorsque des lames
De nacre et de cristal brillèrent à l’orée
Du ciel, puis la lueur de rose colorée,
La Pitié me fit signe et nous nous arrêtâmes.

Je te vis devant moi dans un chaste décor
De grands lis ; des rosiers verdissaient alentour ;
Et quand, me détournant, je voulus voir encor

La Pitié, j’aperçus à sa place l’Amour.
Et voilà que les cieux étaient ruisselants d’or,
Et que c’était partout le triomphe du jour !

XXXIII


4

Tandis que les rayons tombaient intarissables,
Je vis, dans un azur toujours plus radieux,
Ces rosiers se couvrir de ruses innombrables,
En sorte qu’ils semblaient brûler comme des feux.

Et comme, dans les fleurs des antiques retables,
La Vierge au front cerclé d’un nimbe glorieux,
Reçoit entre ses mains les vœux des misérables,
Tu paraissais vouloir écouter mes aveux ;

Et l’éclat de cet or dans des clartés broyé
Le cédait aux lueurs de tes yeux attendris.
Quand l’Amour te montra de son bras déployé,

J’aperçus qu’il tenait la sombre fleur d’iris
Que j’avais vue aux mains pâles de la Pitié,
Mêlée à des boutons de rose entrefleuris

XXXIV


Viens chercher sur mon sein le calme du sommeil.
Chère âme fatiguée, endolorie et triste ;
Je veux que, pour ton cœur, ce repos soit pareil
Au lac limpide et large où le chevreuil dépiste,

À l’abri des rayons dangereux du soleil,
La meute dont l’écho derrière lui persiste.
Viens dormir dans mes bras, afin qu’à ton réveil
Les sombres souvenirs, ayant perdu ta piste.

Se dispersent grondants comme des chiens déçus ;
Et toi-même, oubliant leur clameur et ta fuite,
Ne te souviendras d’eux que pour t’avoir conduite

Vers des lieux autrement restés inaperçus.
Car t’aurais-je jamais, sans leur âpre poursuite,
Donné les longs baisers que ton front a reçus ?

XXXV

 
Il disait qu’il t’aimait celui qui prit ta vie,
Celui qui t’emmena dans ta toilette blanche,
Plus virginale et plus charmante que la branche
A l’aubépine en pleurs par le pâtre ravie !

Il déposa bientôt son amour théâtral ;
Ton lumineux esprit rendait jaloux le sien,
Son cœur était trop bas pour battre auprès du tien ;
Il se fit ton tyran n’étant pas ton égal ;

Son orgueil le força d’aimer moins haut que toi.
Sans doute il a souffert en te faisant souffrir ;
El peut-être, parfois, au fond des mers lointaines,

Pensif, sur son navire, aux heures moins hautaines
Où le soir assombrit les flots, il sent en soi
Des regrets tels qu’ils sont presque du repentir.

XXXVI

 
« Son sourire et ses yeux sont l’étoile du soir,
L’étoile du matin ; tu ne veux reconnaître
Pauvre cœur déréglé, de chagrin ni d’espoir
Que de la voir pâlir ou de la voir renaître.

Mais si son cher rayon avant nous devait choir
Dans l’océan funèbre où tout doit disparaître,
Et que le monde éteint ne fût qu’un tombeau noir,
Que ferions-nous, ô cœur perdu ? » — « Tu pourrais être

Le moine émacié, dont chaque heure s’enchaîne
À quelque anneau de fer de discipline étroite,
Qui, sous sa robe brune, en sa stalle de chêne,

Penchant son front cireux dans sa main maigre et moite,
Ecoutant sa toux rauque emplir le chœur, convoite
Le bienfait d’une fin que Dieu fasse prochaine. »

XXXVII

Ma chère bien-aimée, as-tu vu, vers la nuit,
Les corbeaux regagner les tours des cathédrales ?
Ils paraissent vouloir, de leurs noires spirales,
Effrayer le dernier rayon du jour qui fuit.

Les ténèbres se font, la triste lune suit
Les dates et les noms sur les tombeaux des dalles ;
Par instants en entend leurs plaintes gutturales
Que le vent, sur les toits, jusqu’aux remparts conduit.

Mais, dès qu’au premier trait de l’aurore vermeille
Le chœur clair et léger des cloches se réveille,
Leur bataillon obscur s’enfuit avec lourdeur.

O cloches du matin, si pleines d’allégresses.
Sonnez et dispersez, le noir vol de tristesses
Qui parfois, vers la nuit, se pose sur mon cœur.

XXXVIII

 
Après qu’Eve et Adam, hors du jardin céleste,
La face des premiers pleurs terrestres trempée,
Furent, pour tous les temps, exilés par le geste
De l’Ange qui tenait la flamboyante épée,

Seuls sur la vaste terre encore inoccupée,
Et sous un firmament nébuleux et funeste,
Dans la hutte d’argile à peine enveloppée
Par les grossiers essais de leur labeur agreste,

Las, mornes, dégradés, souhaitant de mourir
Et maudits, ils gardaient pourtant le souvenir
Des bosquets radieux de divine rosée.

C’est cette vision de l’immortel séjour,
En l’âpre descendance humaine éternisée.
Dont sont faits aujourd’hui les rêves de l’Amour.

XXXIX


1

Le hibou dit : « Je suis très vieux ; quand autrefois
J’arrivai, je trouvai dans ces lieux une enclume ;
Je la frappe du bec quand le soleil s’allume,
L’enclume est maintenant de la grosseur des noix. »

Le cerf dit : « Quand je vins ici, d’immenses bois
S’étendaient ; tous les ans, arrive dans la brume
Un bûcheron voûté ; pour que son âtre fume,
Il coupe un seul rameau, puis s’éloigne ; tu vois

Qu’un seul arbre aux oiseaux offre un dernier ombrage. »
Et l’aigle orgueilleux dit : « J’ai vu, tant j’ai grand âge,
De hauts monts s’écrouler, usés par des ruisseaux. »

Et la mer dit : « Mes flots ont battu ce rivage
Si longtemps que leur sel s’entasse par monceaux ;
Et sans l’épuiser l’homme en charge ses vaisseaux ! »

XL


2

Et l’amant dit : « L’amour de mon cœur est si fort
Que le hibou pourrait becqueter mille enclumes,
La mer bâtir des caps du sel de ses écumes.
Sans que de jours pareils il ressente l’effort ;

L’antique bûcheron qui passe sera mort.
Et les ans, aigle fier, auront blanchi tes plumes,
Et les peuples auront oublié leurs coutumes,
Que ces temps lui seront l’instant qu’un enfant dort.

Les races franchiront leurs phases successives,
Les époques auront déplacé les climats,
Les siècles épuisé leurs lentes tentatives,

Et le monde mouvant aura touché les rives
Dont l’espoir des penseurs entrevoit les éclats,
Sans que le Temps le lasse, ou qu’il cède au Trépas. »

XLI


3

Le moucheron lui dit : « De quoi te vantes-tu ?
Ton amour saurait-il durer plus que toi-même ?
Et tu sais que ta vie, en sa limite extrême
S’étend de l’aube au soir, et du grain au fétu.

Que deviennent les nids quand l’arbre est abattu ?
Quand le luth est brisé, que devient le poème ?
Que devient le reflet quand meurt le chrysanthème ?
Que devient la chanson quand le chanteur s’est tu ?

Ton amour comme toi n’est qu’une chose brève ;
Quand le rêveur expire, expire aussi le rêve,
Près du guerrier tombé tombe le javelot.

Que viens-tu nous parler d’amour impérissable
Quand ta vie est croulante ainsi qu’un tas de sable
Qu’efface un coup de vent et que recouvre un flot ? »

XLII


4

Et l’homme s’écria : « C’est une injuste loi !
rêves surhumains, n’est-il donc pas de myrrhe
Qui puisse vous garder à jamais, quand expire
Le pauvre cœur humain qui vous portait en soi ?

Je saurais accepter le néant sans effroi,
Si ma mort ne devait, en m’écrasant, détruire
Une adorable image au doux et cher sourire,
Et que de longs pensers ont embellie en moi.

Si tout périt en nous, pourquoi dans notre argile
Cet amour si puissant qu’il remplirait le ciel ?
Et qui donc a versé d’une main malhabile

Un vin trop précieux dans un vase fragile,
Et placé dans un cœur qui n’est pas éternel
Un sentiment qui meurt dès qu’il se croit mortel ? »

XLIII


5

Et l’étoile lui dit : « Lorsque les cœurs humains
Qui surent bien aimer retombent en poussière,
La Mort ne les tient pas tout entiers dans ses mains,
Et quelque chose a fui son étreinte grossière ;

Pour avoir défié d’infinis lendemains,
Les amours éternels mis dans l’homme éphémère
Prennent loin d’ici-bas d’invisibles chemins,
Et sont récompensés de leur bravoure altière.

Ils deviennent un son dans les vastes concerts
Et dans la symphonie éternelle des globes
Qui mènent dans l’éther les clartés de leurs robes ;

Ou bien un des rayons par qui vivent les airs.
C’est pourquoi, dans les nuits de printemps, les étoiles
Semblent des cœurs émus qui battent sous des voiles. »

XLIV


6

Et l’amant, s’en allant près de sa bien-aimée,
Qui rêvait sur un banc d’où l’on voyait la mer
Etincelante et calme et de vaisseaux semée,
Lui parla de sa peine et de son doute amer ;

Puis il dit que son âme avait été calmée
Par l’étoile, et qu’un jour un rayon d’or plus clair
Viendrait aux amoureux à travers la ramée,
Tant contre l’avenir son amour était fier.

Mais elle, regardant l’étendue azurée,
Soupira doucement : « Quelque longue durée
Dont cet immense amour veuille être mesuré.

Je connais un serment plus puissant et plus vrai,
Dont ma crainte de cœur serait plus rassurée :
Promets-moi de m’aimer tant que je t’aimerai. »

XLV

 
Tu souhaites parfois une absence, un départ,
Pour savoir si, pareil aux laveuses du fleuve,
Mon cœur verrait passer, sans que leur chant l’émeuve,
Les barques du Plaisir qu’amène le Hasard.

Si, loin de ton sourire et loin de ton regard,
Mon âme, consentant pendant des mois d’épreuve,
Sa chaste solitude et son voile de veuve,
Restait inconsolable et pleurait à l’écart,

Si, vivant de son deuil et ne voulant près d’elle
Que les fleurs du regret et du lointain espoir,
La sombre scabieuse et la pâle asphodèle,

Elle attendait ainsi, confiante et fidèle,
L’instant vague et toujours lointain de te revoir,
Tu connaîtrais, dis-tu, ce que tu veux savoir.

XLVI

 
Si mon amour n’est point l’amour que tu rêvais,
S’il a failli d’atteindre au faîte de ce rêve,
Si ton souhait de cœur par dessus lui s’achève,
S’il n’est point le rayon des jours bons ou mauvais.,

S’il n’enveloppe point l’horizon de tes vœux,
S’il reste, dans son cercle immense de tendresse,
Un seul point entr’ouvert par lequel apparaisse
Un azur plus lointain où t’entraînent tes yeux ;

Dis-le ! je jetterai de ma main le poème,
Et je m’en irai, par un sentier sans retour,
Portant, dans cet exil que son poids fera court,

La consolation et la fierté suprême
De t’avoir, en partant, montré que mon amour
Etait digne d’aimer comme tu veux qu’on aime.

XLVII


Je ne t’ai point connue au bourgeon de ton âge,
Alors que tes seize ans éblouissaient les yeux,
Quand ton rire éclatait, clair, frais, pur et joyeux,
Comme un chant d’alouette un matin sans nuage ;

Mais j’ai vu dans sa fleur ton noble et doux visage,
Grave comme un camée antique, et sérieux,
Avec son air profond de regarder les cieux :
Et mon cœur désormais suivra ta chère image ;

Car tu traverseras les beautés successives
Que la vie, en son cours, garde aux faces pensives
Dont le sourire est triste et les jeux consolants :

Tes traits mûris auront des accents fiers et lents.
Puis la sérénité des saisons plus tardives,
Va je te verrai belle avec des cheveux blancs.

XLVIII


Quand je songe qu’un jour, sous des faces ridées,
Nous serons deux vieillards à l’âme obscure et lente,
Marchant à pas tremblants, parlant à voix tremblante.
Cherchant de rares mois pour de rares idées.

Quand je vois que l’amour, qui hors de nous rayonne
Qui nourrit nos regards, éclaire nos sourires,
Et ravit nos esprits en surhumains délires
Où le sang comme un vin ensoleillé bouillonne,

Ne sera plus qu’un point tout au fond de notre être,
Où la faible mémoire en tâtonnant pénètre,
La dernière étincelle en nos corps presque éteints,

Je pense à ces Anciens qu’une mort volontaire
Restituait entiers et libres à la terre,
Dédaigneux de l’effort des ans et des destins.

XLIX


Parfois aux premiers temps, chère âme, où je t’aimais.
Je pensais : « Si je meurs, peut-être aimera-t-elle ?
Un jeune oiseau peut-il ne pas ouvrir son aile,
Un jeune cœur peut-il se fermer pour jamais ?

Qui donc la blâmerait, lorsque les tièdes Mais
La solliciteront vers la vie immortelle,
D’obéir à leur voix, étant robuste et belle ? »
Ainsi des plus lointains rêves je m’alarmais.

Mais maintenant je sais que je puis disparaître :
Tu ne saurais aimer, désormais, malgré moi,
Mon patient amour a pénétré ton être,

Et pour l’éternité je suis maître de toi ;
Car je vis dans ton cœur, ton sang et ton cerveau,
Et je te défendrais contre un amour nouveau.

L


L’Amour nous a conduits auprès d’un puissant fleuve,
Qui fait couler ses flots entre deux bords divers :
La rive où nous marchons est celle de l’Epreuve,
Aucune fleur ne croit sur ses terrains déserts,

Que des chardons de sable à demi-recouverts,
Et des saules pareils à des voiles de veuve ;
La rive du Bonheur, qui rit d’orangers verts
Où le fruit mûr se mêle à la fleur toujours neuve,

Brille en face de nous comme un proche décor.
Et son riche parfum, par souffles, nous arrive.
Mais sur ces froids rochers notre vie est captive ;

Tant que nous atteignions le repos de la mort,
Nous suivrons attristés et lassés notre rive.
Sans trouver le passeur qui mène à l’autre bord.