Pruneau et Kirouac ; V. Retaux et fils (p. 139-141).


XXIII


Peu de temps après, un jour que mademoiselle Méliand était seule, le P. Garnier arriva.

Sa figure, si radieuse d’ordinaire, était grave et triste.

— J’ai un malheur à vous annoncer, dit-il, après les premiers mots.

Elle le regarda troublée, sans rien dire.

— Les vaisseaux sont arrivés, continua-t-il. Ils apportent la nouvelle d’un grand deuil : M. de Champlain est mort.

— Mort ! répéta douloureusement Gisèle.

— Oui, le jour de Noël… Je venais l’apprendre à mon père.

— A-t-on quelques détails ?

— Il est mort à Québec, au fort Saint-Louis. Lui, qui avait affronté si longtemps tous les dangers de la mer, de la guerre et des forêts, s’est éteint dans son lit, après deux mois et demi de maladie.

— Madame de Champlain le sait-elle ?

— Elle doit le savoir maintenant. Le messager qui a apporté nos lettres en avait sans doute pour elle.

— Mon Dieu ! murmura la jeune fille émue jusqu’aux larmes, que j’étais loin de m’attendre à sa mort !

— Moi aussi. Il y a des vies si utiles, si fécondes, qu’elles nous semblent à l’abri de la mort !

— C’est bien vrai. Je le croyais à l’abri tant que la Nouvelle-France ne serait pas affermie. Il me semblait qu’il verrait sa colonie florissante avant de mourir.

— Il est mort à la peine. Cela suffit, Gisèle, dit noblement le jésuite.

— Mais il aurait été si heureux de voir son œuvre prospère ! Il faisait de si beaux rêves pour sa Nouvelle-France !

Le religieux sourit.

— Ma chère enfant, dit-il, dans la bataille de la vie, il y a plus de morts que dans n’importe quelle bataille… Les désirs, les rêves restent le long du chemin — au moins dans ce qu’ils ont de plus beau, de plus doux. M. de Champlain savait bien cela. Mais toujours il a créé la Nouvelle-France… Ne le plaignez pas ; aux plus beaux succès humains, il manque toujours tant de choses !

— Il aurait été un ami pour vous, là-bas, dit la jeune fille qui pleurait.

— Dieu seul ! Gisèle, voilà ce qu’il me faut souhaiter.

Et, apercevant ses parents qui arrivaient, le jeune religieux se leva pour aller au devant d’eux.