Pruneau et Kirouac ; V. Retaux et fils (p. 135-138).


XXII


L’été 1634 touchait à sa fin. Les beaux arbres de Bois-Belle commençaient à se nuancer.

M. et madame Garnier revenaient en carrosse de Paris, où ils avaient été voir leur fils, professeur au collège de Clermont.

Gisèle, qui était avec eux, semblait fort soucieuse et pensive.

Les Relations de la Nouvelle-France commençaient alors à paraître.

Celle de l’année 1633 venait d’être publiée, et le P. Garnier l’avait donnée à Gisèle. Mais, avec la brochure, il lui avait aussi glissé une lettre, en lui disant avec une émotion singulière :

— J’espère que vous vous intéressez toujours aux missions.

Mademoiselle Méliand songeait à cela, tout en feuilletant machinalement la brochure et se demandait ce que la lettre pouvait bien contenir.

En descendant de voiture, elle se rendit tout droit à sa chambre dont elle ferma la porte à clef.

Un instinct secret l’avertissait qu’elle allait souffrir.

Pendant quelques instants, elle resta debout, tournant et retournant la lettre entre ses doigts.

Puis, s’agenouillant devant son crucifix, elle l’ouvrit résolument.

Mais à peine avait-elle lu les premières lignes qu’elle laissa échapper le papier ; et, se levant :

— Non, mon Dieu ! s’écria-t-elle avec désespoir, non… non… jamais.

Devant elle, l’image du Christ se détachait sur la croix. Elle y jeta un regard involontaire ; et, comme effrayée de ses paroles, se couvrit le visage de ses mains et s’affaissa sur le plancher.

Longtemps elle resta ainsi, pleurant et sanglotant, prosternée contre terre.

Puis elle se releva, ramassa la lettre et, se jetant sur son lit, la lut jusqu’au dernier mot : — « Chère sœur, disait Charles Garnier, ce que j’ai à vous demander va vous paraître d’abord bien terrible ; mais il y a de la saine vigueur en vous, et vous m’aiderez, j’en suis sûr, à répondre aux desseins miséricordieux de Notre-Seigneur.

Gisèle, je veux être missionnaire ou, plutôt, Jésus-Christ m’appelle à la gloire de l’apostolat. Soyez-en assurée, c’est bien lui qui me dit, depuis longtemps, dans le secret du cœur : — Va au Canada apprendre aux pauvres sauvages qu’ils ont été rachetés à un grand prix… Va, ne crains rien… je serai avec toi, moi la joie du ciel, moi le Dieu tout-puissant.

Chère sœur, j’aurais bien voulu partir, l’an dernier, avec le P. de Brébeuf et M. de Champlain, et j’ai mis tout en œuvre. Mais mes supérieurs ont jugé que ce serait un coup trop terrible pour mes parents. Ils ne veulent pas leur imposer ce sacrifice. Ils disent que je n’irai jamais au Canada, à moins que mon père n’y consente.

Ce consentement, Gisèle, voulez-vous vous charger de me l’obtenir ? C’est avec confiance que je remets ma cause entre vos mains.

Jusqu’ici, j’ai employé inutilement toutes les influences ; mais la tendresse que mon père a pour vous, vous rend bien puissante et — c’est mon impression — la Vierge immaculée, que je prie sans cesse, veut se servir de vous.

Que la pensée de la séparation, que les souffrances qui m’attendent là-bas, ne vous arrêtent point. Tout ce qui passe — peines ou joies — est si peu de chose !

Gisèle, le vrai bonheur, le seul bonheur, c’est de tout sacrifier à celui qui sera un jour notre éternelle récompense. »

Mademoiselle Méliand n’avait pas lu la lettre sans s’arrêter plusieurs fois pour pleurer ; mais un apaisement aussi soudain qu’inexplicable s’était fait en son âme et, cachant son visage dans les dentelles de ses oreillers, elle se mit à creuser ce mot — éternité.

Pendant plus d’une heure, elle resta ainsi.

Mais, quand elle releva la tête, sa résolution était prise.

Elle avait décidé de faire ce qu’elle pourrait pour amener M. Garnier au suprême sacrifice.

Bien des mois s’écoulèrent sans résultat apparent. Mais, au commencement de l’hiver 1636, le consentement jugé impossible à espérer était accordé :

— Allez où Dieu vous appelle, dit le magistrat à son fils. Qui suis-je, pour m’opposer à la volonté de Dieu !

Le départ de Charles Garnier fut aussitôt arrêté.

Lui-même l’apprit à sa mère et, à genoux devant elle, la pria de permettre qu’il s’en allât annoncer Jésus-Christ aux pauvres sauvages.