À genoux/Soir de Carnaval

Alphonse Lemerre (p. 197-198).

XIX

SOIR DE CARNAVAL


 
Ce soir de carnaval où vous étiez si belle
N’a pas cessé de vivre en moi. Je me rappelle
Cette musique et ces couleurs et ces parfums
Qui semblaient rapporter l’âme des jours défunts,
Ces passages de corps troublés dans la luxure,
Et les vibrations de votre chevelure
Qui tournait dans la valse en même temps que vous,
Tout ce soir de janvier dernier qui fut si doux !
Rappelez-vous donc tout, le flamboîment des lustres,
Le chant tumultueux des guitares illustres,

Et ce tournoîment lent, montant comme un essor,
Quand frissonnent ses bras sous les bracelets d’or,
La valse langoureuse entre toutes les danses,
Les rires, les parfums d’amour et les cadences !
Tous ces souvenirs sont en moi grands et joyeux.
Et même maintenant que j’ai perdu vos yeux,
Votre poitrine et vos cheveux et votre bouche,
N’ayant rien oublié de tout ce qui vous touche,
Encore que je sois loin de vous que j’aimais,
Je me sens fier et plein de bonheur désormais ;
Et je n’ai rien perdu, puisque je me rappelle
Ce soir de carnaval où vous étiez si belle.