À genoux/Éphémères choses

Alphonse Lemerre (p. 199-201).

XX

ÉPHÉMÈRES CHOSES


 
Lorsque vous dormirez dans la tombe, Maîtresse,
Sous le suaire aux plis étroits
Où nul divin baiser d’amour, nulle caresse
Ne réchauffera vos pieds froids,

Si vous pouvez rouvrir vos yeux pleins de lumière
Dans l’obscurité du tombeau,
Alors vous jetterez un regard en arrière
Sur le passé qui fut si beau.


Vous vous rappellerez les jours de votre enfance
Où vous luttiez avec fierté
Sans autre arme de guerre et sans autre défense
Que votre immortelle beauté ;

Vous vous rappellerez les ivresses légères
Dans les beaux soirs de juin bénis,
Et nos doux chants mêlés aux chansons étrangères
Qui tombaient des deux infinis ;

Vous vous rappellerez les caresses sans nombre
Dont je couvrais vos bras si doux,
Et mes yeux où vos yeux ne voyaient que de l’ombre
Quand je pleurais à vos genoux ;

Et par les belles nuits de mai les confidences
De nos deux cœurs apprivoisés ;
Les sourires, les voix, les chansons et les danses,
Et la lenteur de nos baisers ;

Vous vous rappellerez les longues solitudes
Sur les monts ou dans les grands bois,
Et nos moindres regards, nos moindres attitudes,
Tous ces souvenirs d’autrefois !


Puis dans la brume où l’âme invisible frissonne
Vous refermerez vos doux yeux,
Et vous écouterez l’éternité qui sonne
À la grande horloge des cieux.

Alors vous vous direz que tout ce que l’on pleure
N’a peut-être point existé,
Et que les plus beaux ans ne durent pas une heure
Quand on songe à l’éternité.