Alphonse Lemerre (p. 232-233).

XIII

LE MONT


L’heure vivante, au fond de qui toutes les choses
Tombent et parfois, grâce à des métempsychoses,
Terribles, se font boue, argile, fange, nuit ;
L’heure immense qui marche et qui s’évanouit
Sans qu’on ait eu le temps de dire qu’elle triste,
L’heure horrible, parfois joyeuse et parfois triste,
Parfois indifférente aussi, toujours debout,
A son affreuse gueule ouverte où le feu bout.
L’heure immense, muette, est comme un mont qui marche
Volcan au ténébreux cratère en forme d’arche,

Qui baîlle, et par moments brille, comme un Etna
Furtif, et qui s’enfuit dans l’ombré, et dont on n’a
Pas même l’apparence éparse des fantômes.
Là tombent les jours, nains, et les siècles, atômes,
Les hommes les plus grands comme les plus petits ;
Et les dieux immortels y sont tous engloutis.
Mais, le soir, de ce mont tumultueux qui semble
Tyranniser la terre et la mer tout ensemble,
Monte une chaîne d’or qui le rattache aux cieux ;
Et, tout petit devant le ciel prodigieux,
Le mont, dont en plein jour l’approche est surhumaine,
Marche, triste et lié, comme un chien que Dieu mène.