Alphonse Lemerre (p. 218-220).

IV

LE FAÎTE


 
Ô mon cher être, nos deux âmes qui sont sœurs,
Nos deux âmes en qui l’amour met ses douceurs,
Toute pleines du grand désir d’être immortelles,
Avides de parfums et de lumière, et telles
Qu’aucun rêve ici-bas ne les peut assouvir,
S’épuisent en efforts suprêmes pour gravir
Le haut sommet que Dieu seul pour elles éclaire.
Elles sont comme deux aigles sortant de l’aire
Qui, du fond de leur roc farouche regardant
L’obscurité de la nuit noire, cependant

Qu’en bas d’eux et sur eux terre et ciel tout sommeille,
Appellent de longs cris la lumière vermeille.
Nous sommes deux à vivre en ce désert profond.
Par moments le vent souffle : alors les bruits que font
Les Hommes dans leur ombre et dans leur petitesse,
Les sanglots que l’orgueil arrache à leur tristesse,
Les blasphèmes que l’âge arrache à leur vertu,
Les échos de leurs pas sur le chemin battu,
Les râles de l’amour au fond des nuits amères,
Et l’injure des fils et la douleur des mères,
Et surtout, ô misère ! ô deuil ! les grands sanglots
Des vierges que Dieu laisse à genoux, les yeux clos,
Pleurer avec des cris leurs amours étouffées, —
Tout cela monte à nous, lentement, par bouffées.
Alors nous nous serrons l’un contre l’autre ; puis,
Sans que ce monde affreux et profond comme un puits
Arrache seulement un pleur à nos prunelles,
Nous, pleins de la clarté des choses éternelles,
Radieux, confiants, encore que brisés,
Reprenons notre route au milieu des baisers.

Un jour (car l’avenir est sûr quand l’âme est haute !)
Nous siégerons dans le beau ciel ayant pour hôte
Le Seigneur tout-puissant, le Maître des Élus ;
Et là, dans la clarté, calmes, n’entendant plus

Ces bruits qu’aujourd’hui l’air furieux nous apporte,
Moi le rêveur tranquille et vous la vierge forte,
Nous nous regarderons avec des yeux de feu.
Et vous serez Déesse, et moi je serai Dieu.