À genoux/Évocation dans la nuit

Alphonse Lemerre (p. 58-60).

XXVI

ÉVOCATION DANS LA NUIT


Je veux cette nuit en silence
Faire étinceler à mes yeux
Ton corps dans toute l’opulence
De ses charmes prestigieux.

C’est bien le moins, par gratitude,
Femme en qui rien n’est triste ou gai,
Que tu charmes la solitude
Où ton amour m’a relégué.


Allons, divinité de glace,
Charmeresse aux yeux de métal,
Comme un colosse qu’on déplace,
Descends de ton haut piédestal ;

Et, plus belle dans la nuit noire
Que dans la lumière du jour,
Présente ton grand corps d’ivoire
À mes yeux enivrés d’amour !

Que nul mouvement ne dérange
La rigidité de ton corps,
Femme orgueilleuse, femme étrange,
Réceptacle des purs trésors.

Entre dans ma tête, glacée,
Belle, de dédain et d’orgueil,
Sans mouvement et sans pensée,
Comme une morte en son cercueil ;

Et que ta beauté que j’adore
Se grave bien dans mon cerveau,
Pour que je l’y retrouve encore
Quand je serai dans le tombeau ;


Et qu’à chaque heure de ténèbres
Je revoie encore tes yeux,
Et les déroulements funèbres
De tes cheveux silencieux !