À bout portant/Le tribun populaire
Le Tribun Populaire
Il est toute la journée notaire, avocat, médecin, journaliste ; le soir il est tribun à cinq piastres ou plus par discours.
Il aime l’ouvrier, et, s’il ne peut pas dire qu’il l’est, il peut du moins assurer que son père en était un : comme vous, messieurs !
Il connaît à peine le candidat pour qui il parle et est d’autant plus à l’aise pour faire son éloge.
Le même discours, prononcé en faveur de M. Leblanc, pourrait servir pour M. Lenoir ; il n’y aurait que les noms à changer.
Il a toujours ample provision d’audace, de « front de bœuf » et d’encens.
Il débute par quelques bons mots à l’adresse des « chers électeurs » et de leur « belle division », vante les qualités du foudre qui l’a précédé, anathématise l’adversaire et termine en portant aux nues le candidat qui le paie : cet ami du peuple.
Pour un salaire plus élevé il en ferait tout autant pour le candidat adverse.
Jusqu’au jour du scrutin il jure que son candidat sera élu par une forte majorité.
Le lendemain, quel que soit le résultat, imperturbable il assure qu’il l’avait dit.
Si c’est une défaite, il murmure à l’oreille : C’est cet imbécile d’Untel qui a gâté la sauce.
Si c’est une victoire, il clame : Sans moi, vous savez… Mais au fond il s’en f… ; il sait que la parole est d’argent et se la fait payer en espèces sonnantes.