À bout portant/Le Ministre, l’Horloger et la Montre

Éditions du Devoir (p. 69-71).

Le Ministre, l’Horloger et la Montre

(Véridique Histoire)

Il y avait une fois un Ministre au front pileux, un Horloger au cœur d’argent et une Montre du même métal.

Le Ministre s’appelait Lemiew, l’Horloger était Suisse et la montre itou.

Le Ministre se rendit chez l’Horloger, à Genève ; moyennant un billet de mille beaucoup plus franc que l’Horloger, il acheta la Montre.

Le Ministre partit pour Paris ; rendu là, il s’arrêta. La Montre aussi.

Le Ministre visita Rome, puis Londres, et ensuite il leva le pied pour le Cap. Tout juste : de pied en Cap.

La Montre fit le voyage sans se beaucoup fatiguer : de tout le trajet elle ne marcha pas un seul instant.

On prétend, quoi qu’elle fût en argent, qu’elle avait les pieds nickelés. C’est faux, car ce n’était pas un cadran.

— Ah ! disait Lemiew, si elle était en métal de fusil, je la ferais bien partir.

Le Ministre passait ses heures de loisir à travailler dans le boitier de la Montre ; tous ses efforts étaient inutiles : la petite Suissesse ne voulait pas marcher.

Les caresses, les promesses, la persuasion, la violence et même les discours n’y firent rien.

Toujours, après ces conférences, la petite Genevoise, plus toquée que tocquante, restait muette et réintégrait son gousset la queue basse comme le renard de la fable.

Vraiment cet oignon était d’une obstination à faire pleurer.

Le Ministre désespéré, confia son infortune à son secrétaire. Celui-ci sans balancier, — pardon sans balancer, — répondit que les chronomètres n’étaient pas de son ressort.

Pourtant une fois le Ministre et la Montre se mirent d’accord. C’était au passage de la Modder.

Quelques instants auparavant, la petite Suissesse s’était subitement mise à faire tic-tac. L’émotion, peut-être, de se trouver en pays Bœr avait fait battre son cœur.

Le Ministre était radieux ! sa Montre marchait.

On s’engage sur la rivière. Tout à coup, v’lan ! c’est une panne.

Le Ministre se trouve immobilisé ; il regarde sa montre : elle aussi est arrêtée… et pour toujours.

Longuement Lemiew considère la perfide d’un œil mélancolique. Puis enfin, sans chercher de midi à quatorze heures, il se résigne : Le vin est versé, s’exclame-t-il, il faut le bœr…