À bout portant/Demandes et offres

Éditions du Devoir (p. 41-42).


Demande et Offres

Le Ministre — n’importe lequel — devint livide quand il vit entrer le facteur.

Le fonctionnaire, attaché au service des postes, avait pourtant l’air d’un brave homme avec son sac bourré de missives.

— Qu’est-ce que c’est que cela ? s’écria le Ministre.

— C’est encore des lettres, répondit le facteur, le bureau de votre secrétaire n’en peut plus contenir.

— Jetez-les là, fit le ministre dans un soupir de détresse.

Il y avait de quoi aussi.

Depuis trois semaines qu’il avait reçu le portefeuille de… M. le Ministre n’avait cessé d’être obsédé par des quémandeurs. Des lettres, venues des quatre coins de son comté, encombraient les couloirs, l’antichambre, les bureaux, et, le flot, toujours grandissant, allait bientôt submerger le cabinet même du Ministre.

Des milliers de lettres restaient empilées sans que le destinataire eût le courage de les ouvrir. Il en connaissait trop bien le contenu.

Et chaque courrier venait grossir la montagne d’enveloppes timbrées.

Il y avait aussi des télégrammes de gens, demandant anxieusement si leur application était arrivée.

Mais jusque là on avait évité les visites des quémandeurs. Pourtant la garde qui veille à la porte… du cabinet s’endormit un beau matin et le Ministre vit tout-à-coup apparaître, devant lui, un bel et blond imberbe.

— Que voulez-vous ? fit le dispensateur des grâces ministérielles.

— Une place…

Ces deux mots tombèrent comme un coup de foudre, le Ministre chancela :

— Mais mon pauvre ami, j’ai déjà des milliers de demandes.

— Tout juste ; je vous offre mes services pour en faire le classement…

Le Ministre s’évanouit tout à fait.

MORALITÉ

Les demandes créent l’offre.