À bas la calotte/À M. Louis Veuillot

Bibliothèque anti-cléricale (p. 49-55).

À M. LOUIS VEUILLOT

Rédacteur en chef de l’Univers

Cette lettre a été publiée récemment en réponse à deux attaques consécutives du journal l’Univers.

Je me hâte de vous dire que M. Louis Veuillot s’est bien gardé de répliquer.

Monsieur,

Voilà deux fois que vous me faites l’honneur de me prendre personnellement à partie dans votre peu estimable journal.

La première fois, vous m’avez qualifié de lanternier ; aujourd’hui, vous m’appelez sauvage retour de Suisse, propagateur de doctrines infâmes, étrangleur de prêtres, mots qui, sous votre plume, ont la prétention d’être des insultes, et ne sont que des sottises, tout au plus des grossièretés.

Je mets même à part lanternier, qui me procure un sensible plaisir, cette qualification ne pouvant qu’être agréable à un journaliste satirique qui se plaît à proclamer en notre immortel Rochefort le roi du pamphlet.

Passons donc aux autres épithètes dont vous me gratifiez avec autant de malveillance que de maladresse.

Selon vous, Monsieur, je suis un sauvage.

Soit : je le veux bien, si vous représentez, vous, le type de l’homme civilisé.

Oh oui ! si jamais vous et vos pareils parveniez à établir votre civilisation dans notre France, déjà trop malheureuse de vous compter au nombre de ses habitants, — c’est dans les plus beaux parterres de fleurs que l’on trouve les plus hideux crapauds, — si jamais votre prêtraille, votre moinaille et votre mitraille arrivaient à imposer comme autrefois à notre généreux pays la religion d’absurdités et d’inquisition que vous préconisez quotidiennement dans l’Univers, ce jour-là, je le jure, je m’enfuirais au fond des forêts les plus reculées, j’abandonnerais volontiers ma patrie pour n’importe quelle île déserte, où les serpents et les vipères que je rencontrerais seraient, Monsieur, reptiles moins venimeux que vous.

Vous parlez de sauvages ?… Mais les anthropophages eux-mêmes sont au-dessus des hommes civilisés de votre espèce. Les anthropophages ont à leurs sanglants sacrifices une excuse : l’appétit ; — vous, vous torturez les gens pour le plaisir, et vous les brûlez vifs pour la plus grande gloire de votre dieu.

Ayant à choisir entre le kanack et le prêtre, je n’ai pas d’hésitation, et, si je suis un sauvage, je ne serai jamais, croyez-le bien, de ceux à qui vos missionnaires volent leurs enfants.

Vous m’appelez retour de Suisse ?

Pauvre esprit que vous êtes !

Vous ignorez donc que la Suisse est en Europe le foyer de l’instruction et de l’honnêteté !

Vous écrivez le nom de ce pays libre avec une sorte de rage, parce que votre ultramontanisme y est pulvérisé, parce que les évêques en sont bannis, parce que tous vos vices cléricaux y sont étrangers, parce que votre Syllabus y est l’objet de la risée publique, parce que vos tendances anti-humaines y sont unanimement exécrées.

Vous, dont la patrie est le Vatican, vous osez baver sur la Suisse, vous osez opposer Rome à Genève !

Eh bien ! comparons la ville des papes et la ville de Jean-Jacques, comparons l’Helvétie qui, la première entre toutes les nations, a secoué le joug du catholicisme, et l’Italie, qu’ont empoissonnée vos Borgia et que souillent encore vos myriades de basiliques et de couvents.

Un seul point me servira à établir une comparaison. — En Suisse, quand un crime se commet, c’est un véritable événement ; les meurtres s’y comptent, les attentats aux mœurs y sont inconnus. En Italie, cela a été établi par la statistique officielle, les crimes et les délits contre la pudeur commis par les ecclésiastiques s’élèvent annuellement à deux mille environ.

Et c’est vous, pèlerin de Rome, qui avez l’audace de me rappeler mon séjour de deux ans en Suisse, comme s’il s’agissait de quelque chose de honteux !

En vérité, Monsieur, la colère vous fait déraisonner.

Il est vrai que la raison et vous n’avez pas souvent cheminé ensemble.

Quant à l’accusation que vous me lancez de propager des doctrines infâmes, je me contenterai, pour la réfuter, de vous dire que ces doctrines que je professe sont en même temps celles d’hommes honnêtes et illustres qui s’appellent, en littérature, Molière et Victor Hugo, en science, d’Alembert et Newton, en philosophie, Voltaire et Diderot, en politique, Robespierre et Marat.

Ces hommes-là, Monsieur, ont laissé et laisseront dans l’Histoire une trace lumineuse comme un rayon de soleil. Vous, vous marquerez votre passage par un sillon infect et d’un luisant éphémère, comme celui que laisse sur les murs un limaçon puant.

Allez ! vous aurez beau appeler infamie les principes de la liberté et de la raison ; vos injures de nain n’atteindront jamais les géants auxquels elles s’adressent.

Le grand Voltaire a dit quel est l’infâme qu’il faut écraser, et, malgré vos soubresauts de bête féroce blessée au bon endroit, ce nom d’infâmes vous restera, à vous tous, artisans de superstitions, allumeurs de bûchers !

Enfin, pour ce qui est des velléités d’étranglement de prêtres que vous me reprochez par allusion à une phrase de Diderot rappelée par moi dans un banquet républicain, je ne vous donnerai pas la satisfaction de me voir apporter à mon toast un palliatif que vous attendez peut-être.

Non, Monsieur, mille fois non ! Les prêtres, tels que vous les comprenez, c’est-à-dire non pas les ministres d’une religion d’amour et de mansuétude, mais les ministres exécuteurs des assassinats cléricaux, les ivrognes sanguinaires de la Saint-Barthélemy, les égorgeurs atroces dont vous avez fait des saints comme Dominique et que vous évoquez à vos jours de terreur blanche comme Torquemada. Tous ces sicaires en soutane qui sont la honte du genre humain mériteraient, chaque fois qu’ils apparaissent à la surface du globe, d’être exterminés, ainsi qu’on extermine les monstres dangereux.

Par prêtres je n’entends pas parler de ces prolétaires du clergé dont la vie n’est qu’abnégation et dévoûment et qui vous servent inconsciemment de marchepied ; je n’ai nullement en vue ces apôtres égarés qui mettent en pratique les maximes dont vous faites fi, et qui sont si aveuglément honnêtes qu’ils ne voient pas votre malhonnêteté. Oui, ils existent, — et je me plais à le dire, — ils existent au sein même de vos turpitudes, comme pour mieux les faire ressortir : ils existent, les hommes vraiment bons, vraiment charitables, qui obéissent au précepte : « Aimons-nous les uns les autres » ; ce sont les roses qui poussent au milieu des orties, les perles que l’on trouve au milieu du fumier. Ceux-là, je les vénère n’ayant pour vous aucune considération ; je les aime autant que je vous hais.

La bonté n’a pas d’opinion politique ou religieuse ; je salue les bienfaiteurs de l’humanité, quelles que soient leurs erreurs mentales ; pour moi, les abbés de l’Épée, les Fénelon, les Vincent-de-Paul sont sur le même piédestal que les Jenner, les Michel de l’Hospital et les Raspail.

Les cléricaux qu’il faut étrangler, ce sont les Bazile et les Tartufe, pour ne citer que des noms de comédie ; mais il en est d’autres qui vivent en chair et en os, que vous connaissez, et vous comprendrez que je ne les nomme pas.

Ah ! que n’a-t-on étouffé à leur origine les Delacollonge, les Léotade et les Mingrat, race odieuse toujours renaissante comme la vermine ? Et, tout récemment encore, que n’a-t-on étranglé Baujard et le prélat Maret avant leurs crimes ; au moins, ils ne les auraient pas commis !

Tenez, quand je songe à ces misérables auprès desquels les voleurs sont des chérubins, il me prend un délire d’humanité, et je m’écrie avec la plus ardente conviction : Mieux vaut cent de ces prêtres-là exterminés qu’un seul petit enfant déshonoré et pourri !

Et maintenant, Monsieur, qui êtes-vous ? et de quel droit venez-vous me faire la leçon ?

Vous vous appelez Louis Veuillot, et moi, je porte un nom complètement inconnu. Vous avez près de soixante-six ans et j’en ai à peine vingt-cinq.

Très-bien. Et après ?

Que m’importent, à moi, votre renommée et votre âge ?

Votre renommée est passagère. Votre âge me donne le droit d’exiger de vous un peu plus de dignité que vous n’en montrez.

Êtes-vous donc si respectable qu’il faille vous respecter, vous qui avez passé votre jeunesse sans avoir aucune foi politique ni aucune foi religieuse, et qui tout d’un coup, à la suite d’une visite au pape, vous êtes transformé en le Veuillot que l’on sait ! vous qui prétendez nous faire accroire aux routes de Damas purement illuminées de clartés divines ! vous qui avez été — c’est un de vos propres aveux — un condottiere de la presse ! vous qui, d’après vos biographes les plus indulgents, avez remporté vos premiers succès dans une littérature plus que légère et qui ne reculiez pas devant les hardiesses de la chanson érotique ! vous qui, même devenu un champion de l’ultramontanisme, avez écrit d’une façon telle que les évêques, vos chers évêques, ont été obligés d’interdire dans leurs diocèses la lecture de votre journal ! vous qui, dominé malgré tout par vos sentiments orduriers, mêlant quand même le profane au sacré, avez célébré, à cinquante-trois ans, les mérites de l’ignoble Thérésa !

Allons donc, Monsieur ! Avant de regarder les autres, il faut se regarder soi-même. Quand on fait métier de déverser l’insulte sur ses adversaires, il faut commencer par avoir soi-même une conduite irréprochable.

Ou alors, essayant d’être un vieux polisson, on n’est qu’un farceur décrépit.

Et le premier venu a le droit de vous dire, en fonçant son chapeau sur la tête et vous regardant dans le blanc des yeux :

Recevez, Monsieur, l’assurance de mon plus profond mépris.