Pensées d’août/À Sainte-Beuve

M. Alfred de Musset, ayant lu un de mes articles à la Revue des Deux Mondes, m’écrivit ces vers :


À SAINTE-BEUVE


Ami, tu l’as bien dit ; en nous, tant que nous sommes,
Il existe souvent une certaine fleur
Qui s’en va dans la vie et s’effeuille du cœur.
Il se trouve en un mot, chez les trois quarts des hommes,
Un poëte mort jeune, à qui l’homme survit[1].
Tu l’as bien dit, Ami, mais tu l’as trop bien dit.

Tu ne prenais pas garde, en traçant ta pensée,
Que ta plume en faisait un vers harmonieux,
Et que tu blasphémais dans la langue des Dieux.
Relis-toi ; je te rends à ta Muse offensée.
Et souviens-toi qu’en nous il existe souvent
Un poëte endormi, toujours jeune et vivant.

2 juin 1857.

  1. Article sur Millevoye, N° du 1° juin 1837 ; page 646 ; et au tome I de Portraits littéraires.