Voyage à mon bureau, aller et retour/Chapitre IX

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LE CORBILLARD

C'est en cheminant paisiblement avec le lecteur auquel je fais part de mes réflexions, que j'arriverai sans doute au terme de mon voyage. J'émets le doute, car est-on toujours certains d'atteindre le but que l'on se propose ?

Le corbillard qui s'oppose en ce moment à notre passage, et qui mène vers sa dernière demeure un corps de femme auquel nous offrons un dernier salut, est une preuve apportée à mon assertion. L'existence de cette femme dont je viens d'apprendre le nom a été brisée avant l'âge de la maturité.

Un jeune homme pâle, les cheveux en désordre, la tête nue et affaissée, suit péniblement la marche lente du corbillard. Ses yeux n'ont point de larmes, mais on pourrait voir à leur aspect qu'ils ont dû répandre des pleurs abondants.

Pauvre jeune homme ! Il paraît chancelant sur ses jambes débiles, et ceux qui l'accompagnent n'ont pas le recueillement que leur douleur d'emprunt s'était promis en la circonstance. On suit le corps tout en jasant, tout en discutant, non pas de la maladie de la personne morte, mais on parle politique et des nouvelles officielles des journaux.

Cependant, c'est sa pauvre mère que ce triste jeune homme a perdue... O douleur! Ô souvenir affligeant! Tu devrais rappeler aux assistants, surtout à ceux qui ont eu le malheur de perdre celle qui a pris soin de leur enfance, qu'il n'y a pas de perte au monde plus grande que la perte d'une mère !

Hélas ! J'ai perdu la mienne ! Les caresses que l'on pourrait me prodiguer maintenant ne sauraient remplacer celles dépourvues de tout intérêt que me donnait avec bonté l'heureuse compagne de mon père.

Pauvre mère ! Je te devais bien une larme à la vue de ce corbillard. Puisses-tu la recueillir comme une perle qui revient de droit à la couronne céleste que les anges ont dû t'offrir...

Je ne t'ai pas oubliée, et ce serait un crime à moi d'avoir négligé de parler de toi dans mon voyage, toi qui me suis partout dans ma pensée... Au revoir !...

Le temps pourra creuser mes joues vieillies par les années ou par la souffrance; il pourra les sillonner de rides indestructibles, mais il n'effacera jamais le doux baiser que ma tendre mère m'a imprimé sur le front.


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