MONTEVIDEO. — LA DILIGENCE. — LE CAMPO. — LE MATE.
omme je l’ai déjà dit, les parents de mon ami Charles H… habitaient
Montevideo ; j’avais une lettre de recommandation pour eux et de plus ils avaient été avertis de mon arrivée.
Le premier décembre, le steamer entra dans les eaux troubles du Rio de la Plata, et l’ancre fut jetée à un kilomètre de la plage. Le port de Montevideo, ou San
Felipe, est assez vaste mais peu profond ;
à gauche le fameux Cerro, couronné de
fortifications, à droite la ville bâtie sur
une colline qui s’abaisse et s’avance jusque
dans le fleuve.
Un canot monté par deux hommes
s’approchait à force de rames. Arrivé aux
flancs du steamer, l’un des rameurs demanda
el señor Gras ? C’était une attention
de M. H… Mes bagages furent descendus
dans l’esquif, les deux Paraguayens
témoignèrent le désir de m’accompagner,
ce que je leur octroyai de tout cœur.
Enfin je pus tremper mes doigts dans
les eaux du fleuve tant désiré, que les
Espagnols ont baptisé du nom pompeux
de rivière d’argent.
En approchant de terre, je remarquai
sur la plage un monsieur d’une cinquantaine
d’années, tenant des jumelles braquées
dans ma direction ; d’après la description
que m’avait faite Charles H…
fils, je reconnus le père. Encore quelques coups de rames et nous touchons à l’escalier
de la douane.
Monsieur H… s’avance vers moi :
C’est sans doute Monsieur Albert ?
Oui Monsieur et vous Monsieur H…
répondis-je tout en me découvrant courtoisement.
Un serrement de main amical
coupa court aux questions réciproques sur
notre personnalité. H… est originaire des
frontières du Grand-Duché de Luxembourg ;
aussi quel ne fut pas mon plaisir
de pouvoir parler avec lui, à trois mille
lieues de la patrie, le pittoresque jargon
du pays natal. Dix minutes s’étaient à peine
écoulées, que nous étions deux amis ; mon
compatriote était à cette époque directeur
du club des étrangers, situé calle del Cerrito ;
c’est là que furent déposés mes bagages,
et que me fut destinée une chambre au fond
de la cour. Ensuite nous nous dirigeâmes
vers son habitation particulière située à deux
ou trois cuadras — carré de maisons d’environ
100 mètres de côté — plus loin et même
rue. Je fus présenté à Madame, aux deux demoiselles et aux deux fils, qui me reçurent
avec la gracieuseté et l’affabilité
particulières aux habitants de l’Amérique
du Sud. À Montevideo cet air guindé ou
gêné, très commun en Europe entre personnes
qui se voient pour la première fois,
n’existe pas ; un sourire avenant de part
et d’autre, la poignée de mains traditionnelle,
sont les préliminaires d’une amitié
bientôt acquise. Je ne puis qu’adresser
des louanges et des remerciements à cette
honorable et digne famille, au sein de
laquelle je passai une quinzaine de jours.
Montevideo est une jolie ville, bâtie en
damier comme presque toutes les villes
américaines ; avec ses rues assez larges
et ses constructions distinguées, elle peut
rivaliser avec beaucoup de grandes villes
européennes. La presque totalité des maisons
sont de style espagnol ou italien ; les
familles se réunissent sur la toiture plate,
appelée azotea, pour prendre le frais ; un
simple mur tout bas sépare les habitations
contiguës, aussi les voisins correspondent-ils avec la plus grande facilité.
La Plaza de la Constitución est carrée
et plantée d’arbres, et le soir, les jolies
Montevidéennes, aux regards langoureux,
en grande toilette, accourent y étaler leurs
grâces, en écoutant les mélodies d’une
musique militaire. Le café Gault, à côté
de la Cathédrale, est le rendez-vous de
la bonne société, et on peut y admirer la
finesse des petites mains des Américaines
qui viennent y prendre des glaces, pour
calmer le feu qui les dévore. De somptueux
hôtels et de riches maisons de
banque ne le cèdent en rien à nos constructions
les plus aristocratiques. Toutes
les nations ici se coudoient, mais trois
peuples ont le haut du pavé, les Français,
les Espagnols et les Italiens ; on peut même
dire que Montevideo est une ville tout
aussi française qu’espagnole. Sans cesse
bouleversée par des révolutions, elle souffre
et ne peut atteindre l’état florissant auquel
elle a droit ; cependant, malgré les blocus
les plus désastreux, malgré les luttes les
plus fratricides, elle s’agrandit, s’embellit, se peuple de plus en plus, et le jour où
les hordes de l’intérieur, conduites par un
cabecilla chef de parti ambitieux, ne viendront
plus la fouler aux pieds de leurs chevaux
sauvages, Montevideo s’élancera hardie
et fière dans la voie du bien-être, du
progrès, de la civilisation et de la richesse.
Grand entrepôt de la République, grand
centre de l’exportation et de l’importation,
elle doit indubitablement s’enrichir, prospérer ;
mais quelques Gauchos détruisent
en une semaine le produit de plusieurs
années de paix et de travail. Aux malheurs
des guerres civiles vient encore
s’ajouter un élément étranger, tout aussi
désastreux : cet élément, c’est l’immigration
italienne. En 1869 arrivèrent à Montevideo
vingt mille quatre cent trente cinq
émigrants étrangers, en grande partie italiens,
non pas de la bonne et brave Italie,
mais napolitains ; on dit que les gouvernements
de Buenos-Ayres et de Montevideo
ont déjà pensé mettre un frein au torrent
envahisseur. Paresseux, spéculateurs de
bas étage, ennemis de l’agriculture et du travail, toute cette cohorte de mangeurs
de macaroni ne pense qu’à vivre du produit
de son industrie de brocanteurs.
Fourbes et pervers, ils sont toujours prêts
à se mêler aux bouleversements sociaux
et gouvernementaux, et à vendre leurs
bras homicides au plus offrant. Aussi sont-ils
honnis, surtout des populations de
l’intérieur ; plus d’un Gaucho a rougi
son facon, long couteau, en coupant le
cou, degollando à un Napolitano mercachifle,
Napolitain colporteur. La famille
H… fit tout son possible pour me rendre
agréable le séjour que je fis dans son sein.
Promenades au Paso del Molino — établissement
public, présentant quelqu’analogie
avec le Kincampois des Liégeois — soirées
intimes, rien ne fut négligé pour me faire
oublier ma patrie et trouver Montevideo
enchanteur.
Ce ne devait durer longtemps, mon seul
désir étant d’aller dans l’intérieur. Ne voulant
abuser de l’hospitalité de M. H. je lui
manifestai l’intention d’aller dans le campo, il insista pour me faire rester en ville, mais
vaincu par mes sollicitations, il me présenta
à un négociant français Arthur J… propriétaire
de la Capilla de Farrucco, au centre
même de la République. J… accepta ma
proposition et je lui assurai que je ferai tout
mon possible pour lui être utile ; une invitation
à souper me fit faire plus ample connaissance
avec mon patron. J’étais content,
mes projets allaient être réalisés.
Quelques jours après, la dame de J…,
brave parisienne, d’un embonpoint très
prononcé, figure Louis XV, un noble
cœur, spirituelle et d’une éducation supérieure,
accompagnée de Marica sa bonne
et moi, nous prenions place dans la diligence
qui faisait le service entre Montevideo
et le Cerro Largo ; tandis que J…
restait encore plusieurs semaines en ville
pour régler ses affaires, et veiller à l’expédition
des marchandises.
Six caballeros s’y trouvaient déjà installés,
caballeros qui, en Europe, eussent
été pris pour de fameux brigands, car à leurs ceintures brillaient des poignards
à lame longue et tranchante, des revolvers
montraient leurs gueules béantes ; ils
avaient des pantalons larges appelés bombachas,
un poncho aux vives couleurs, des
bottes armées d’éperons énormes en argent,
retenus par des courroies enrichies de
plaques du même métal, un chapeau à
larges bords, et leurs figures basanées, où
dominait le sang indien, pommettes prononcées,
angle extérieur des yeux relevé,
avaient une expression toute nouvelle pour
moi. Je me promis bien au prochain relais
de ceindre mon petit sabre, de
mettre au jour mes armes, et cela pour
faire comme les autres : partout où j’ai
voyagé, j’ai toujours cherché à prendre
les habitudes des habitants de la contrée
que je parcourais.
J’avais à ma droite un estanciero, et
à ma gauche la brune Marica. Nous suivons
l’interminable rue du dix huit juillet ;
aux magasins où regorgent les marchandises
destinées aux campagnards, succèdent les villas les plus somptueuses, les parcs
les plus ombragés ; quintas, huertas, chacras
étaient à nos yeux leurs fruits savoureux,
et leurs infranchissables clôtures d’agaves,
pita, donnent au paysage un aspect
tropical. Les saules, les eucalyptus, les
peupliers se montrent à de rares intervalles,
et notre coche, traîné par de vigoureux
coursiers, s’élance dans la campagne.
Marica était ce que l’on appelle une
china, au sang indien se mêlait le sang
africain : jeune, jolie, elle n’avait que quatorze
ans, de grands yeux noirs à sclérotique
bleuâtre, particulière à sa race, une
chevelure crépue et pourtant longue, des
lèvres voluptueuses, et les plus jolies dents
du monde ; elle osait à peine me regarder.
Fatiguée par les préparatifs du départ,
le cahot monotone de la diligence, la
température y aidant, ses paupières s’appesantirent,
et de petits coups de tête en
avant annoncèrent chez elle une disposition
à se livrer au sommeil. Dormant à demi, ne pouvant plus sans doute tenir
la tête dans sa position naturelle, elle la
pencha de mon côté et chercha sur mon
épaule un support tout à propos. Sa respiration
paisible et mesurée soulevait
régulièrement son sein naissant, mais déjà
arrondi par les grâces de la puberté, ma
joue effleurait quelquefois son exubérante
chevelure, et la moite chaleur de sa charmante
tête me produisait une douce sensation.
Le véhicule s’arrête, ma dormeuse se
réveille ; le premier trouble du sommeil
interrompu ex abrupto passé, ses yeux
voilés se fixent sur moi, et je crois voir
sur sa figure un léger sourire de remerciement.
Le capataz fait entendre le clique
claque de son fouet et nous roulons de
nouveau. Nous avons dépassé les terres
cultivées, et un horizon de mer s’étend
devant nous ; c’est le campo, les habitations
deviennent rares, le bétail innombrable,
et le camino real a disparu sous
l’herbe. À droite et à gauche, des masses noires et brunes se mettent en mouvement ;
ce sont des troupeaux qui prennent
la fuite ; les taureaux beuglent, les chevaux
hennissent en secouant leurs longues crinières,
les vanneaux, toujours deux par
deux, jettent dans l’air leur cri si connu
teru-teru, et planent de leur vol indécis ;
de longues bandes sinueuses de moutons
s’allongent sur les collines, des chevreuils
peu farouches dressent hors de l’herbe
leur tête couronnée comme celle de nos
cerfs, et suivent avec curiosité le passage
de la diligence ; des autruches au pied
rapide, comme dirait Homère, fendent la
plaine, et cherchent une retraite loin de
nos regards.
Je suis chasseur, aussi au premier
relais, le fusil à la main, fusil à âme lisse
il est vrai, je me mets en campagne. L’autruche
américaine ne fuit pas l’homme à
pied, ce qui revient à dire qu’on peut l’approcher
à une cinquantaine de mètres :
me voilà tirant, courant, tirant encore et
tiraillant toujours, mais l’émotion, la chaleur et mon fusil me font rentrer bredouille.
J’étais pourtant content, j’avais fait
feu sur des autruches.
Au coucher du soleil nous arrivâmes
au relais de nuit, un triste rancho construit
en terre, adobe, et couvert en chaume.
Le corps de logis se composait de trois
salles, une pour les propriétaires, l’autre
pour les étrangers, et la dernière servant
de salle à manger. Le cuisinier, certes,
n’était pas élève de Véfour, mais le voyage
nous avait mis en appétit, et nous fîmes
honneur au rôti asado, au ragoût, guisado,
de viande séchée charque, pilée et bouillie
avec du maïs avec force piment aji ; un
verre de vin espagnol vino carlon, couleur
extrait de mûres, clôtura notre repas. La
chambre à coucher était commune, et avait
l’aspect d’un hangard ; une dizaine de lits
de camp, une simple toile tendue sur un
châssis en bois, un grand plat en terre
avec de l’eau, une unique serviette et
vous aurez une idée de notre boudoir.
À la guerre comme à la guerre, je m’étendis
tout habillé sur le lit, car je n’avais pas comme mes compagnons l’indispensable
poncho, qui sert de manteau et de
couverture à tous les voyageurs de l’Amérique
du Sud. Fermons les yeux. Le
lendemain je fus réveillé de bonne heure
par ces gauchos de bonne famille ; tour
à tour, ils venaient puiser au plat, dans
le creux de leur main, un peu d’eau ; et
se frottaient la figure à la façon des
chats, un coup du solitaire essuie-mains
et tout était dit ; je fis de même.
Quiere usted un cigarillo, me dit mon
voisin en me tendant un porte-cigarettes.
J’acceptai, muchas gracias señor caballero,
j’étais fier de mes quelques mots d’Espagnol.
Boun diou, dirait un provençal,
quelle cigarette, du papier Joseph au lieu
de notre fin Job ! et quel tabac, du marc
de café, noir, humide et fort à faire évanouir
une hirondelle de cheminée !
Madame et Marica avaient passé la
nuit, en compagnie des maîtres du rancho.
Les diligences américaines ressemblent
à nos diligences, l’attelage seul diffère : au lieu de nos bons gros chevaux dociles,
imaginez-vous six ou huit gaillards à
moitié sauvages, redomones, queue coupée,
crinière rasée, vifs, farouches, rebelles au
moindre attouchement, les oreilles courbées
en avant, l’œil en feu, les naseaux ouverts ;
leurs conducteurs aussi sauvages qu’eux,
ne parviennent à les atteler qu’avec beaucoup
de peine ; enfin après mille sauts
et ruades ils sont en place. Un cavalier,
appelé delantero, prend les devants. À sa
selle est attaché un lazo de dix à quinze
mètres de long, fixé lui même au limon
du lourd véhicule ; comme il n’y aura
bientôt plus de chemin tracé, c’est lui qui
guidera la course effrénée à laquelle nous
allons nous livrer, il évitera les pierres,
les fondrières, cherchera le chemin le
plus praticable. Notre écot réglé, tout le
monde est en place, le capataz s’installe
sur le siège, Go head ! Sybarites européens,
qui vous vous plaignez de la légère
trépidation dans vos moelleux compartiments
de chemin de fer, allez faire un
voyage dans les plaines du Rio de la Plata, et vous reviendrez avec de meilleurs
sentiments ! Les cahots, les secousses
brusques, en avant, en arrière, de côté,
étaient si violents que souvent j’étais obligé
de me tenir à deux mains à la banquette,
pour ne pas me briser le crâne contre le
plafond de la diligence.
Après deux jours de voyage d’un parcours
de soixante lieues, nous arrivâmes
à l’estancia du général Muños, un blanco,
c’est-à-dire conservateur. La diligence continua
sa route vers Cerro Largo, laissant
Farrucco à sa gauche, à une distance de
six lieues que je devais franchir à cheval :
question très grave pour moi qui n’avais
pas la moindre notion d’équitation.
Nous entrâmes sur l’invitation de Madame
la générale, car son mari était exilé
à Buenos-Ayres : ici pas de luxe, une
simple habitation, bâtie en pierres il est
vrai, blanchie à la chaux, un mobilier
très inférieur. Après les salutations d’usage,
como esta ? Muy bien, y usted ! para servirla ; Madame J… Marica et moi, nous prenons place sur des sièges. Bientôt
arriva le mate traditionnel : dans toute
l’Amérique du sud, chez le riche comme
chez le pauvre, le mate fait les frais de
toute réception. Madame J… me présenta
comme nouveau débarqué. Après
avoir subi un rude assaut de questions
sur le vieux continent, questions auxquelles
je dus répondre d’une façon comique, je
n’étais encore guère ferré sur la langue
de Cervantes, car mes interlocutrices riaient
à qui mieux mieux ; mon tour arriva de
sucer le fameux mate. Mais avant de continuer,
disons ce que c’est que le mate.
Le mate, ilex paraguayensis, jerba mate, jerba del Paraguay, est un arbre, d’une
taille moyenne, qui croit dans cette région ;
la feuille légèrement torréfiée sert de thé,
elle est livrée au commerce sous forme de
poudre verdâtre renfermée dans des sacs
en peau de vache, tercio.
Pour prendre ce thé on en remplit à
moitié une noix de coco trouée d’un côté,
sculptée et enrichie d’ornements en argent, ou tout autre récipient ayant à peu près
la même forme ; on verse par dessus de
l’eau chaude, et on se sert d’un tube
en argent, bombilla, terminé par une
petite pomme d’arrosoir, pour sucer
cette infusion ; la pomme d’arrosoir
plonge dans le récipient, et empêche les
petites parties de jerba de s’introduire
dans le tuyau. La domestique, indienne
ou négresse, prépare le mate, le présente
d’abord à la maîtresse de la maison,
qui en suce le contenu à petites gorgées,
car ce liquide est brûlant ; elle ajoute de
nouveau de l’eau bouillante et le présente
à la personne suivante qui le suce également,
et ainsi de suite en faisant le tour
de la société. J’ai vu cette opération se
répéter quelquefois deux, trois et quatre
fois ; un vrai gaucho ne se lasse pas de
boire du mate, il en prend le matin, à
midi, le soir, à toute heure de la journée,
tantôt suçant une gorgée de mate, tantôt
humant une bouffée de sa cigarette. Pour
l’Européen bien élevé, ce manège a quelque
chose qui, de prime abord, lui inspire une certaine répugnance d’être obligé de
sucer au tube où tout le monde a sucé ;
car essuyer la bombilla serait une grande
inconvenance, une insulte. Mais le mate
est un liquide qui plaît et auquel on se
fait aussi facilement qu’au thé de Chine.
Pris tel quel, on l’appelle mate amargo
ou cimarron, et, avec addition de sucre,
mate dulce ; ce dernier est préféré par les
femmes et les personnes aisées.
Mon tour donc arriva, et voulant opérer
comme tout le monde, je portai la bombilla
à mes lèvres et suçai ; mais une
grimace horrible fit rire tous les assistants,
les larmes me vinrent aux yeux ;
et après un nouvel essai, je passai le mate
à ma voisine. J’avais aspiré trop fort et
m’étais brûlé les lèvres et la langue.
Comme je l’ai déjà dit, ce breuvage doit
se prendre à petites gorgées, et le grand
talent consiste à le prendre aussi bouillant
que possible ; un mate froid est dédaigné
par un Américain.
Le moment du départ arrivé, je remercie Madame la générale avec force
poignées de mains ; Madame J., grâce à
son embonpoint devait faire le trajet en
carriole et prendre soin des bagages.
On me présente un cheval, probablement
le plus doux et le plus vieux mancaron
de l’estancia ; je ramène les rênes et
monte ; Marica, aussi à cheval, devait être
ma protectrice.
Vamos, me dit la China, et elle part
au galop. Mon cheval la suit. Quant à
moi, d’une main tenant les brides, et de
l’autre le pommeau de la selle, je cherche
à maintenir l’équilibre autant que possible ;
je crie à la jeune fille d’aller moins
vite ; elle s’arrête, en me regardant de cet
air moqueur avec lequel tous les Américains
du Sud regardent l’étranger, gringo,
qui ne sait pas monter à cheval.
Nous nous plaçons de front, et elle me
donne, dans son langage coloré, les premières
notions de l’art du célèbre Franconi.
Peu à peu je me fais au mouvement du
bucéphale, et, excité par ma jeune compagne, je risque un galop sans me tenir
avec la main.
Mira usted alla lejos es la Capilla, regardez
là-bas, c’est la Capilla, s’écria-t-elle.
En effet, dans le lointain je distinguai
une habitation et de nombreux arbres ;
nous eûmes quelques pasos de rivière à
franchir, car les ponts sont inconnus dans
ces régions, et chevauchant plus gaillardement,
nous arrivâmes à Farrucco.