Système des beaux arts/I/I/Introduction

Texte établi par Ch. Bénard,  (p. 41-46).
Chapitre 1 : Architecture symbolique ou indépendante, Introduction et division.

CHAPITRE PREMIER



DE L’ARCHITECTURE INDÉPENDANTE OU SYMBOLIQUE.


Le but de l’art, son besoin originel, c’est de produire aux regards une conception née de l’esprit, de la manifester comme son œuvre propre ; de même que dans le langage, l’homme communique ses pensées et les fait comprendre à ses semblables. Seulement, dans le langage, le moyen de communication est un simple signe, à ce titre, quelque chose de purement extérieur à l’idée et d’arbitraire.

L’art, au contraire ne doit pas simplement se servir de signes, mais donner aux idées une existence sensible qui leur corresponde. Ainsi, d’abord l’œuvre d’art, offert aux sens, doit renfermer en soi une idée. De plus, il faut qu’il la représente de telle sorte que l’on reconnaisse que celle-ci, aussi bien que sa forme visible, n’est pas seulement un objet réel de la nature, mais un produit de l’imagination et de l’activité artistiques de l’esprit. Si je vois, par exemple, un lion réel et vivant, sa forme individuelle met dans mon esprit une image : celle d’un lion, absolument de la même manière qu’un lion représenté. Dans la représentation, cependant, il y a quelque chose de plus. Celle-ci montre, dans sa forme qu’elle a été dans l’imagination de l’homme, qu’elle doit son existence à son esprit, à son activité créatrice. De sorte que nous n’avons plus ici l’image immédiate d’un objet réel, mais l’image d’une image qui a été dans l’esprit de l’homme. Mais maintenant, qu’un lion, un arbre, ou tel autre objet individuel soit ainsi reproduit, il n’y a aucun besoin originel pour l’art. Loin de là, nous avons vu que l’art, et principalement les arts du dessin, cessent d’exister, dès que la représentation de pareils objets a pour but de manifester l’habileté avec laquelle l’apparence est reproduite. L’intérêt véritable consiste en ce que ce sont les conceptions originelles, les pensées universelles de l’esprit humain qui sont offertes à nos regards. Toutefois, de pareilles conceptions sont d’abord abstraites et indéterminée dans l’esprit des peuples. De sorte que l’homme, pour se les représenter, s’empare des formes également abstraites que lui offre la nature et ses masses pesantes, matière capable, il est vrai de recevoir une forme déterminée, mais non en elle-même véritablement concrète, vivante et spirituelle. Dès lors, le rapport entre le fond et la forme visible par laquelle l’idée doit passer de l’imagination de l’artiste dans celle du spectateur, ne peut être que d’une nature purement symbolique. De plus, un ouvrage d’architecture, destiné à représenta ainsi une idée générale, n’est là pour aucun autre but que celui d’exprimer en soi cette haute pensée. Il est, par conséquent, le libre symbole d’une idée qui offre un intérêt général. C’est un langage qui, tout muet qu’il est, parle à l’esprit. Les monuments de cette architecture doivent donc, par eux-mêmes, donner à penser, éveiller des idées générales. Ils ne sont pas simplement destinés à renfermer, dans leur enceinte, des choses qui ont leur signification propre et une forme indépendante. Mais ensuite, pour cette raison même, la forme qui manifeste de pareilles idées ne peut plus être un si simple signe, comme le sont, par exemple, chez nous, les croix élevées sur les tombes des morts ou les pierres entassées sur un champ de bataille. Car des signes de cette espèce sont bien propres à rappeler des souvenirs ou à éveiller des idées ; mais une croix, un amas de pierres n’expriment pas, par eux-mêmes, ces idées ; elles peuvent aussi bien servir à rappeler tout autre événement. C’est là ce qui constitue le caractère général de l’architecture symbolique.

On peut dire, sous ce rapport, que des nations entières n’ont su exprimer leurs croyances religieuses, leurs besoins intellectuels les plus profonds, qu’en bâtissant de pareils monuments ; au moins les ont-elles principalement exprimés dans la forme architecturale. Ceci, toutefois, ainsi que nous l’avons vu en traitant de l’art symbolique, n’a eu lieu, à proprement parler y que dans l’Orient. Ce sont, en particulier, les antiques constructions des Babyloniens, des Indiens et des Égyptiens, qui nous offrent parfaitement ce caractère. Ainsi, du moins, s’explique, en grande partie, leur origine. La plupart n’existent plus qu’en ruines, mais elles n’en bravent pas moins les siècles et les révolutions. Tant, par leur caractère fantastique, que par leurs formes et leurs masses colossales, elles nous jettent dans l’admiration et l’étonnement. — Ce sont des ouvrages dont la construction absorbe l’activité et la vie entière des nations, à certaines époques.

Si, cependant, nous voulons donner une division plus précise de ce chapitre et des principaux monuments qui s’y rattachent, on ne peut ici, comme dans l’architecture classique ou romantique, partir de formes déterminées, de celle de la maison, par exemple. Aucune idée fixe, et en même temps aucun mode de représentation également déterminé, ne s’offrent comme principe, qui en se développant, s’étende ensuite au cercle entier des divers monuments de cette époque.

Suivant le caractère général de l’art symbolique, les idées que représentent ces monuments sont des conceptions informes sur la nature et la vie des êtres, des notions également élémentaires sur le monde moral ; conceptions vagues et incohérentes, sans lien qui les unisse et les coordonne comme développements d’une même idée.

Cette absence de liaison et d’enchaînement, fait aussi qu’elles sont très variées et très mobiles. Aussi, le but de l’architecture est-il de les représenter tantôt sous un aspect, tantôt sous un autre ; de les manifester aux regards par le travail de l’homme. Au milieu de cette multiplicité d’idées et de formes, on ne peut donc songer à traiter le sujet ni de manière à l’épuiser, ni dans un ordre systématique. Je dois me borner à faire entrer l’essentiel dans une division aussi rationnelle que possible.

Les points de vue qui serviront à nous guider sont les suivants :

Nous nous attacherons, d’abord aux monuments qui représentent des conceptions d’un caractère tout-à-fait général, et où l’esprit des individus et des peuples a trouvé un centre, un point d’unité. Ainsi, le principal but de pareilles constructions, en elles-mêmes indépendantes, n’est autre que d’élever un ouvrage qui soit un point de réunion pour une nation ou pour des nations diverses, un lien autour duquel elles se rassemblent. Un autre but peut s’y ajouter : celui de manifester, par la forme extérieure, le lien principal qui unit les hommes, la pensée religieuse des peuples. Ce qui donne un sens plus déterminé à ces ouvrages et à leur expression symbolique. Mais, en second lieu, l’architecture ne peut s’arrêter à cette idée vague, élémentaire, dans sa totalité générale. Bientôt les représentations symboliques se particularisent. Le contenu symbolique, les idées, se déterminent, se précisent davantage, et, par là aussi, permettent à leurs formes de se distinguer les unes des autres d’une manière plus positive, comme, par exemple, dans les colonnes du Lingam, les obélisques, etc. D’un autre côté, en affectant ainsi des formes particulières, l’architecture, tout en se développant d’une manière libre et indépendante, va jusqu’au point de se confondre en quelque sorte avec la sculpture. Elle accueille des formes du règne organique ou d’animaux, des figures humaines, qu’elle agrandit toutefois dans des proportions colossales et façonne en masses gigantesques. Elle les range régulièrement, y ajoute des murailles, des murs, des portes, des allées, et, par là, traite ce qui appartient ici à la sculpture, d’une manière absolument architectonique. Les Sphinx égyptiens, les Memnons, de grands temples tout entiers offrent ce caractère.

En troisième lieu, l’architecture symbolique commence à montrer sa transition à l’architecture classique, lorsqu’elle repousse de son sein la sculpture et qu’elle commence à se faire une habitation appropriée à d’autres fins, non immédiatement exprimées par les formes architectoniques.

Pour éclaircir les idées qui caractérisent cette époque, je mentionnerai quelques-uns des principaux monuments qui nous sont connus.