Système des beaux arts/I/I/I

I. Ouvrages d’Architecture bâtis pour la réunion des peuples


« Qu’est-ce que le saint ? » demande Goëthe, dans un de ses distiques, et il répond : « C’est ce qui réunit plusieurs âmes. » Nous pouvons dire, en ce sens, que le saint, comme but et lieu même de réunion pour les hommes, a été le premier caractère de l’architecture indépendante. L’exemple le plus remarquable nous en est offert par le récit de la tour de Babylone. Dans la vaste plaine de l’Euphrate, les hommes élèvent un ouvrage gigantesque d’architecture ; ils le bâtissent en commun, et la communauté du travail est en même temps le but et l’idée de l’ouvrage lui-même. En effet, la fondation de ce lien social ne représente pas une simple réunion patriarcale. Au contraire, l’unité de la famille s’est ici précisément dissoute, et l’édifice qui s’élève dans les nues est le symbole de cette dissolution de la société primitive et de la formation d’une nouvelle et plus vaste société. Les peuples d’alors se sont réunis pour travailler à ce monument ; et comme ils se rassemblaient pour construire un immense ouvrage, le produit de leurs efforts devait être le lien social. Le sol creusé et remué, des masses de pierres agencées et couvrant toute une contrée de formes architectoniques faisaient alors ce que firent depuis les mœurs, les coutumes, les institutions politiques et les lois. Une pareille construction est, en même temps, symbolique, puisqu’elle ne signifie autre chose que ce lien lui-même, c’est à-dire ce qu’elle est réellement, puisqu’elle ne peut exprimer que d’une manière extérieure, par sa forme et son aspect, le principe religieux qui réunit les hommes. Cette tradition rapporte aussi expressément que de ce point de réunion les peuplades se sont de nouveau séparées.

Un autre édifice d’architecture important, et qui offre déjà un fondement historique plus certain, est la tour de Belus, dont parle Hérodote (1 c. 181.). Nous ne voulons pas rechercher ici ses rapports avec la Bible. Nous ne pouvons appeler un temple, dans le sens moderne du mot, cet édifice dans son ensemble. C’est une enceinte de temple, en forme de carré, dont chaque côté avait deux stades, et où l’on pénétrait par des portes d’airain. Au milieu, dit Hérodote, qui avait vu cet ouvrage colossal, était une tour, non creusée à l’intérieur, mais massive (πυργὸς στερεὸς), de la longueur et de la largeur d’un stade. Sur cette tour s’en élève une seconde, puis une troisième, et ainsi jusqu’à huit tours superposées. Un chemin circulaire conduit jusqu’au sommet ; et à peu près à moitié de la hauteur est un lieu de repos, avec des bancs, où peuvent s’arrêter ceux qui montent. Mais, sur la dernière tour est un grand temple, et dans ce temple, il y a un lit de repos préparé avec soin et, vis-à-vis, une table d’or. Cependant il n’y a point de statue élevée dans le temple, et aucun homme n’y entre pendant la nuit, excepté une des femmes du pays que le dieu se choisit entre toutes y comme disent les Chaldéens, les prêtres de ce dieu. Les prêtres prétendent que le dieu vient visiter le temple et se repose sur le lit. Hérodote raconte aussi (c. 183) qu’au-dessous, dans le sanctuaire, est un autre temple où s’élève une grande statue d’or du dieu, avec une grande table d’or devant lui ; et il parle également de deux grands autels en dehors du temple, sur lesquels on immole des victimes. Néanmoins, nous ne pouvons assimiler cette construction gigantesque aux temples dans le sens grec ou moderne ; car les sept premières assises sont entièrement massives et la huitième ou la plus élevée est la seule où séjourne le dieu invisible, qui ne reçoit là aucune prière des prêtres ou des fidèles. La statue était au-dessous, en dehors de l’édifice. Ainsi, l’ouvrage entier s’élève indépendant, pour lui-même, sans rapport à un autre but, sans rapport au culte et au service divin, quoique ce ne soit déjà plus un simple point de réunion, mais un véritable édifice religieux. La forme, en effet, reste encore ici abandonnée au hasard et à l’accidentel. Elle est déterminée seulement par le principe matériel de la solidité ; c’est la forme d’un cube. En même temps, on se demande quel est le sens de l’ouvrage considéré dans son ensemble et en quoi il présente un caractère symbolique. Quoique Hérodote ne l’ait pas formellement indiqué, nous devons le trouver dans le nombre des étages massifs. Il y en a sept, plus un huitième pour le séjour nocturne du dieu ; or, le nombre sept représente vraisemblablement y d’une manière symbolique, le nombre des planètes et des sphères célestes.

Dans la Médie, il y avait aussi des villes bâties d’après le même principe symbolique, comme, par exemple, Ecbatane, avec sept murailles circulaires. Hérodote dit (i. 98), que celles-ci s’élevaient les unes au-dessus des autres, non seulement par un effet de la disposition du terrain, mais encore à dessein et dans un but d’art. Les remparts étaient peints de diverses couleurs, le premier en blanc, le second en noir, le troisième couleur de pourpre, le quatrième en bleu, le cinquième en rouge ; le sixième était recouvert de lames d’argent et le septième de lames d’or. Dans l’enceinte de ce dernier était le palais du roi et le trésor. Ecbatane, dit Creuzer, dans sa Symbolique, en parlant de ce mode d’architecture, Ecbatane, la ville des Mèdes avec le château du roi placé au centre, et ses sept murailles circulaires recouvertes de plaques d’étain de différentes couleurs, représente les sphères du ciel qui entourent le palais du soleil.