Système des beaux arts/Division

Texte établi par Ch. Bénard,  (p. 15-30).

DIVISION.


Après ces indications générales sur les différentes espèces de style communes à tous les arts, passons à la division de cette troisième partie de l’esthétique. Une méthode abstraite a cherché, çà et là, différents principes pour la classification des arts et de leurs diverses espèces. Mais la vraie division ne peut être tirée que de la nature même de l’œuvre d’art, qui, dans l’ensemble des espèces y développe la totalité des faces et des moments renfermés dans sa propre idée. Un autre principe qui y sous ce rapport, paraît également important, est celui-ci : Les représentations de l’art ont pour caractère essentiel de se manifester sous la forme sensible ; l’art s’adresse aux sens comme à l’esprit. Dès lors, la division des arts particuliers doit s’appuyer sur les sens auxquels ils s’adressent et sur les matériaux sensibles qui leur correspondent. Or, les sens, à cause de leur destination même, c’est-à-dire comme nous mettant en relation avec les divers ordres de phénomènes du monde physique, sont eux-mêmes différents : ce sont le toucher, l’odorat, le goût, l’ouïe et la vue. Il n’appartient pas à cette partie de la science, mais à la philosophie de la nature, de montrer leur rôle particulier et leurs rapports mutuels. Notre tâche se réduit ici à rechercher quels sont ceux qui sont capables de percevoir les œuvres d’art, s’ils ne le sont pas tous. Or, il est facile de voir que, sous ce rapport, le toucher, le goût et l’odorat doivent être immédiatement exclus. Que l’on distingue au toucher, en promenant la main sur la surface douce et moelleuse du marbre, les statues des divinités femelles (Botticher), il n’y a rien là qui soit commun avec la perception du beau et la jouissance artistique. Le sens du toucher met simplement l’homme en rapport, comme être individuel, avec un objet individuel et ses propriétés matérielles, son poids, sa dureté, sa mollesse, sa résistance physique. Or, l’œuvre d’art n’est pas seulement un objet sensible, c’est une manifestation de l’esprit dans un objet sensible. L’œuvre d’art, comme tel, ne se laisse pas davantage goûter, parce que le goût, au lieu de laisser l’objet subsister libre pour lui-même, se met en rapport réellement et pratiquement avec lui, le détruit et le consomme. On ne conçoit et on ne peut exiger le développement et le raffinement du goût que pour l’appréciation des mets, leur préparation et la distinction des qualités chimiques des corps. L’objet d’art, au contraire, doit être considéré en soi dans son objectivité indépendante. Sans doute, il est perçu par l’homme, mais d’une manière purement contemplative, intellectuelle et non pratique. Il n’a aucun rapport avec le désir et la volonté. Pour ce qui est de l’odorat, il ne petit pas davantage être un organe approprié à la jouissance artistique, parce que les objets ne s’adressent à lui que par l’effet d’une décomposition chimique et qu’autant qu’ils se dissolvent dans l’air. C’est aussi une action toute physique.

La vue, au contraire, est avec les objets dans un rapport purement contemplatif. Elle le doit, en partie, à la lumière, cette matière en quelque sorte immatérielle. Celle-ci ne porte aucune atteinte aux objets, à leur liberté et leur indépendance ; elle les fait seulement apparaître et les manifeste sans les détruire, ni même les altérer insensiblement ou ostensiblement, comme l’air et le feu. La vue, ce sens sans désir, embrasse l’ensemble des existences matérielles, les corps, tels qu’ils sont séparés et distribués dans l’espace, en tant qu’ils restent inaltérables et dans leur intégrité, et se manifestent uniquement par la forme et la couleur.

L’autre sens, qui offre également un caractère théorétique est l’ouïe. Nous avons ici l’opposé de l’apparence visible. L’ouïe, au lieu d’être en rapport avec la forme et la couleur, perçoit le son, les vibrations des corps, sans aucune dissolution chimique, comme il est nécessaire pour l’odorat. Ce sont de simples oscillations qui ne modifient et n’endommagent nullement les corps. Ce mouvement idéal, dans lequel, par le son, se révèle, en quelque sorte, le principe interne, l’ame des corps, l’oreille le saisit d’une façon tout aussi intellectuelle que l’œil perçoit la forme ou la couleur ; elle laisse aussi la partie intime des objets subsister dans son indépendance.

À ces deux sens vient s’ajouter un troisième élément : L’imagination sensible, la réminiscence, cette faculté qui conserve les images. Celles-ci pénètrent dans l’esprit par les sens ; elles s’y coordonnent sous l’influence des notions générales avec lesquelles l’imagination active les met en rapport et les ramène à l’unité. Par là, les réalités du monde extérieur se spiritualisent en quelque sorte, tandis que les idées à leur tour se matérialisent dans l’imagination et se présentent à la conscience sous une forme sensible, visible.

Ce triple mode de perception fournit la division connue : 1o Arts du dessin, qui représentent leurs idées par les formes visibles et les couleurs ; 2o Art musical ou des sons ; 3o Poésie qui, comme art de la parole, emploie le son simplement comme signe, et s’adresse par cet intermédiaire à l’ame, à l’imagination, la sensibilité, l’esprit. Si l’on veut, cependant, s’arrêter ainsi au côté sensible comme dernier fondement de la division, on se trouvera bientôt embarrassé au sujet des principes ultérieurs, parce que le caractère qui sert de base à la division, au lieu d’être tiré de l’idée concrète de la chose même, est le plus superficiel. Nous avons donc à chercher un principe de classification plus profond, à l’aide duquel nous puissions établir un lien systématique entre tous les points de cette troisième partie.

L’art n’a d’autre destination que d’offrir à l’imagination et aux sens la vérité telle qu’elle est, dans sa totalité, en harmonie avec le monde réel et visible. Or, en tant que cette manifestation doit s’accomplir dans la sphère des représentations réelles de l’art, cette totalité, qui n’est autre que l’absolu lui-même dans sa vérité, se développe dans une série de moments distincts.

Le milieu, le centre proprement dit, est ici la représentation de l’absolu de Dieu lui-même, comme tel, dans son indépendance absolue, qui ne s’est pas encore développé dans le mouvement et la différence, qui n’est pas encore passé à l’action et à la distinction de soi, mais enfermé en lui-même, dans un repos, un calme divin, plein de majesté. C’est l’idéal représenté sous sa véritable forme, qui, tout en se manifestant, reste dans une identité parfaite avec lui-même. Pour pouvoir apparaître dans l’indépendance infinie, l’absolu doit être conçu comme esprit et, en même temps, comme sujet qui possède en soi sa manifestation extérieure, adéquate à lui-même.

Mais, maintenant, comme passant à l’existence réelle, il a en face et autour de lui un monde extérieur, qui doit être façonné d’une manière conforme à lui, pour devenir une manifestation qui lui corresponde et soit pénétrée de l’absolu. Ce monde environnant est d’abord la nature physique proprement dite, dans l’appareil de ses formes extérieures, qui n’a par elle-même aucune signification spirituelle, aucune personnalité, et par conséquent ne doit être capable d’exprimer le spirituel que d’une manière simplement indicative, comme son théâtre façonné dans le sens de la beauté.

En opposition avec la nature extérieure, apparaît l’être spirituel, l’ame humaine comme l’élément véritable où réside et se manifeste l’absolu. Ici se montrent, en même temps, la pluralité et la diversité, toutes les conséquences de l’individualité, la particularisation, la différence, l’action et le développement ; en général, tout ce mouvement du monde moral, ce qui constitue le cours de la vie humaine, où la présence de l’absolu est aussi comprise et désirée, où il fait partout sentir son action.

On comprend déjà, par ces indications, que les diverses formes qu’affecte le fond même de l’art, dans son développement total, correspondent, quant à la conception et à la représentation (du moins en ce qui est essentiel), à ce que nous avons considéré dans la seconde partie de ce cours sous le nom de formes symbolique, classique et romantique. En effet, l’art symbolique, au lieu de l’identité du fond et de la forme, n’offre qu’une manifestation extérieure, qui révèle seulement l’affinité des deux éléments ; il ne fait qu’indiquer le lien intime, essentiel qu’il devrait exprimer. Il fournit, par conséquent, le type fondamental de cet art particulier, qui a pour destination de façonner les objets physiques comme tels : la nature avec l’appareil de ses formes extérieures, de manière à en faire un magnifique théâtre pour l’esprit, d’introduire dans ces formes, d’une façon purement indicative, la signification interne de l’esprit.

L’art classique, au contraire, répond à la représentation de l’absolu, manifesté dans la réalité extérieure, libre, indépendant, au sein de cette forme ; tandis que le fond de l’art romantique, qui détermine aussi sa forme, est subjectivité, l’ame, le sentiment, dans son infinité et sa particularité finie.

D’après ce principe de division, le système des arts particuliers s’organise de la manière suivante :

I. L’Architecture s’offre à nous la première ; c’est par elle que l’art débute, et cela en vertu de sa nature même. Elle est le commencement de l’art, parce que l’art, à son origine, ne trouvant, pour la représentation de l’élément spirituel qu’il renferme, ni les matériaux convenables, ni la forme qui lui correspond, doit se borner à des essais, dont le but est d’atteindre à la véritable harmonie des deux termes, et se contenter d’un lien encore extérieur entre l’idée et le mode de représentation. Les matériaux de ce premier art sont fournis par la matière proprement dite, non animée par l’esprit, mais façonnée seulement d’après les lois de la pesanteur, par les lignes et les formes de la nature extérieure, disposées avec régularité et symétrie, de manière à former, par leur ensemble, une œuvre d’art qui offre un simple reflet de l’esprit.

II. Vient en second lieu la Sculpture. Le principe qui fait le fond de ses représentations, est l’individualité spirituelle comme constituant l’idéal classique. Elle le représente de telle sorte que l’élément intérieur ou spirituel soit présent et visible dans l’apparence corporelle immanente à l’esprit. Aussi l’art doit ici créer une œuvre vraiment artistique. Elle prend par conséquent encore pour élément physique la matière pesante avec ses trois dimensions, mais sans se borner à la façonner régulièrement selon les lois de la pesanteur et les autres conditions physiques, et à y ajouter les formes du règne organique ou inorganique.

D’un autre côté elle ne va pas jusqu’à réduire cette matière à n’être qu’une simple apparence, une image d’elle-même, ni à concentrer en elle les moyens par lesquels elle se rend visible. La forme déterminée par le fond même est ici la vitalité de l’esprit, la forme humaine et son organisme vivant, pénétré du souffle de l’esprit. Et celle-ci doit représenter, d’une manière parfaite, l’existence divine dans son indépendance et sa majesté calme, inaccessible aux troubles et aux agitations de la vie active, à ses conflits et à ses souffrances.

III. Nous devons réunir dans une même classe les arts qui sont appelés à représenter l’ame dans sa concentration intérieure ou subjective.

1o La Peinture commence cette série ; car elle réduit la forme physique à n’être que l’expression de l’élément intérieur. Quoique retenue dans les limites du monde extérieur, elle ne représente pas seulement la concentration idéale de l’absolu en lui-même, elle le manifeste aussi dans sa personnalité subjective, dans son existence spirituelle, avec son caractère déterminé, ses sensations, ses volontés, ses actions, ses rapports avec les autres êtres et par conséquent, aussi dans ses peines, ses souffrances, la mort, dans tout le cercle des passions et des affections. Le sujet de la peinture n’est donc plus seulement Dieu, comme tel, comme objet de la conscience humaine, mais cette conscience elle-même : Dieu, soit dans sa vie réelle, ses actions et ses souffrances, soit comme esprit de l’église. C’est aussi le cœur humain, avec ses privations, ses souffrances, sa sanctification, les joies de la vie active et du monde réel. Comme moyens de représenter ces idées, la peinture est obligée d’employer l’apparence visible, en général, les formes de la nature et celles de l’organisme humain, en particulier, en tant que celui-ci laisse clairement entrevoir en lui l’élément spirituel. — Mais quant à l’élément physique proprement dit, elle ne peut employer la matière pesante telle qu’elle existe avec ses trois dimensions ; elle doit spiritualiser cette matière comme elle le fait pour ses figures. Le premier pas par lequel l’élément physique se rapproche, par là, de l’esprit consiste d’abord dans la disposition de l’apparence réelle, transformée pour l’œil en une apparence purement artistique ; ensuite, dans les couleurs, dont les nuances, les transitions et la fusion concourent à effectuer ce changement. Ainsi, la peinture, pour mieux exprimer l’ame et ses sentiments, réduit les trois dimensions de l’étendue à la surface, celle-ci, quoique matérielle étant plus voisine de l’esprit. Elle représente l’éloignement des objets, leurs distance respective dans l’espace et les figures par l’illusion des couleurs. Car la peinture n’a pas seulement pour but d’offrir aux regards une apparence visible, elle veut que celle-ci concentre en elle-même ses moyens de visibilité, afin qu’elle n’en paraisse que mieux l’image et l’œuvre de l’esprit. Dans la sculpture et l’architecture, les formes sont rendues visibles par la lumière extérieure. Dans la peinture, au contraire, la matière, obscure par elle-même, a en soi son élément interne, son idéal : la lumière ; elle tire d’elle-même sa clarté et son obscurité. Or, l’unité, la combinaison de la lumière et de l’obscur c’est la couleur.

2o La Musique, dans la même sphère, forme une opposition avec la peinture. Son élément propre est l’ame même, le sentiment invisible ou sans former qui ne peut se manifester dans l’extérieur et sa réalité, mais seulement par un phénomène extérieur qui disparaît rapidement et s’efface de lui-même. Par conséquent, l’ame, l’esprit, dans son unité immédiate et sa subjectivité, le cœur humain, la sensation intérieure, constituent le fond même de cet art. Son élément physique est le son, ses modes, ses combinaisons, ses accords, les diverses manières dont les sons se divisent, se lient, s’opposent, forment des oppositions, des dissonances harmonisées, suivant les rapports de la quantité et de la mesure façonnées par l’art.

3o Après la peinture et la musique, vient, en troisième lieu, l’art qui s’exprime par la parole, la Poésie en général, le véritable art de l’esprit, celui qui le manifeste réellement comme esprit. Car tout ce que conçoit la conscience, ce qu’elle élabore par le travail de la pensée dans le monde intérieur de l’ame, la parole seule peut le recevoir, l’exprimer et le représentera l’imagination. Par le fond, la poésie est donc lé plus riche de tous les arts ; son domaine est illimité. Cependant, ce qu’elle gagne sous le rapport des idées, elle le perd par le côté sensible. En effet, comme elle ne s’adresse ni aux sens, comme les arts du dessin, ni au simple sentiment, comme la musique, et qu’elle veut représenter à l’esprit et à l’imagination les idées de l’esprit, élaborées dans l’esprit, l’élément physique par lequel elle s’exprime n’est plus pour l’esprit et l’imagination, qu’un moyen artistiquement façonné, il est vrai, mais un simple moyen pour la manifestation de l’esprit à lui-même. Il ne conserve pas la valeur d’un objet physique dans lequel l’idée peut trouver la forme qui lui convient. Ce moyen, parmi ceux que nous avons considérés, ne peut être que le son. C’est celui de tous les matériaux de l’art qui est encore relativement le mieux approprié à l’esprit. Le son ne conserve cependant déjà plus, comme dans la musique, de valeur par lui-même, au point que l’art ait pour but essentiel de le façonner, et s’épuise dans cette tâche. Le son doit être ici pénétré par l’idée, rempli par la pensée déterminée qu’il exprime et apparaître comme simple signe de ce contenu. Pour ce qui est maintenant des modes de représentation, la poésie, sous ce rapport, se montre l’art universel, parce qu’elle reproduit dans son propre domaine ceux de tous les autres arts ; ce qui n’a lieu qu’accidentellement dans la peinture et la musique.

En effet, comme poésie épique, elle donne à son contenu la forme de l’objectivité qui, à la vérité, n’arrive pas, comme dans les arts du dessin, à se produire aux regards. Cependant, c’est un monde saisi par l’imagination sous une forme objective et qui est représenté comme tel à l’imagination intérieure. C’est ce que fait le discours proprement dit, qui se satisfait en lui-même dans son fond et sa forme.

D’un autre côté cependant, la poésie n’en est pas moins, à l’inverse de ce qui précède, un discours subjectif. C’est l’ame exprimant au dehors ce qu’elle sent à l’intérieur. Telle est la poésie lyrique, qui appelle la musique à son secours, pour pénétrer plus avant dans les profondeurs du sentiment.

En troisième lieu, la poésie se développe par le discours dans les limites d’une action complète, qui, représentée objectivement, manifeste en même temps les sentiments intérieurs que renferme ce spectacle offert aux regards, et par conséquent se marie avec la musique, les gestes, la mimique, la danse, etc. C’est l’art dramatique, dans lequel l’homme tout entier représente, en le reproduisant, l’œuvre d’art produit par l’homme.

Ces cinq arts forment le système déterminé et organisé des arts réels. En dehors d’eux il existe, sans doute, encore d’autres arts, l’art des jardins, de la danse, etc. Mais nous ne pourrons en parler que d’une manière occasionnelle ; car la recherche philosophique doit se borner aux distinctions fondamentales, développer et faire comprendre les véritables formes qui leur correspondent. La nature, la réalité, en général, ne reste pas, il est vrai, enfermée dans ces limites déterminées ; elle s’en écarte avec une plus ou moins grande liberté. Aussi, n’est-il pas rare d’entendre proclamer bien haut que les productions du génie doivent précisément s’élever au-dessus de semblables divisions. Mais si, dans la nature, les espèces mixtes, les amphibies, les êtres de transition, au lieu d’annoncer l’excellence et la liberté de la nature, ne révèlent que son impuissance à maintenir les différences fondées sur l’essence même des choses, et à empêcher les types de se laisser altérer, déformer, par les circonstances extérieures, il en est de même, dans l’art, de ces genres mixtes, quoique ceux-ci puissent offrir encore beaucoup d’agrément et de mérite, mais rien de véritablement parfait.

Si de ces observations préliminaires et de ces vues générales nous voulons passer à un examen plus spécial des arts particuliers, nous devons éprouver de l’embarras ; car, après nous être, jusqu’ici, occupé de l’art en lui-même, de l’idéal et des formes générales dans lesquelles il se développe, en vertu de son idée même, il nous faut, maintenant, entrer dans la réalité concrète de l’art et, par conséquent, aborder son côté empirique. Il en est ici à peu près comme dans l’étude de la nature, dont les grandes lignes se laissent bien saisir dans leur nécessité. Mais si on pénètre plus avant dans le réel, les formes particulières et leurs diverses espèces, les différents aspects sons lesquels elles se montrent, sont d’une si grande richesse et d’une telle variété que, d’une part, les diverses manières de les envisager, de l’autre, l’idée philosophique, lorsque nous voulons appliquer la mesure de ses divisions simples, ne suffisent plus. La pensée perd haleine à vouloir les poursuivre et les saisir. Si nous nous contentons d’une simple description et de réflexions superficielles, cela ne s’accorde pas avec notre but, qui est celui d’un développement systématique et scientifique. À toutes ces difficultés s’en ajoute encore une autre : c’est que chaque art particulier exige déjà pour lui-même une science particulière. En effet, avec le zèle toujours croissant des amateurs pour les connaissances relatives aux objets d’art, le cercle de celles-ci s’est étendu et enrichi de plus en plus. Cette passion des dilettantes a été mise à la mode en partie par la philosophie elle-même, depuis qu’on a soutenu que dans l’art se trouvait la religion proprement dite, le vrai, l’absolu, que l’art est plus élevé que la philosophie, parce qu’il n’est pas abstrait, mais renferme l’idée à la fois dans sa réalité et pour l’imagination ou le sentiment. D’un autre côté, il est facile, aujourd’hui, de se donner un air de supériorité quand on peut faire étalage d’une multitude infninie de détails. Aussi veut-on que chacun ait remarqué quelque chose de nouveau. Cette occupation des connaisseurs est une espèce de flânerie savante qui, ordinairement, ne coûte pas beaucoup de peine. Car c’est une chose très agréable de considérer des œuvres d’art, de recueillir les pensées et les réflexions des autres, de se familiariser avec les divers points de vue qui ont été émis sur chaque sujet, et ainsi de devenir soi-même juge et connaisseur. Or, plus ces connaissances et ces réflexions se sont multipliées, par cela même que chacun veut avoir trouvé quelque chose de nouveau et qui lui soit propre, plus chaque art réclame la perfection d’un traité spécial. Ajoutez à cela que le côté historique, qui intervient ici nécessairement dans l’étude et l’appréciation des œuvres de l’art, est encore, et à un bien plus haut degré, l’affaire des érudits. Enfin, il faut avoir beaucoup vu, et vu plusieurs fois, pour pouvoir parler sur les particularités d’une branche de l’art. J’ai, à la vérité, vu un grand nombre d’objets d’art, mais je n’ai pas vu tout ce qui serait nécessaire pour traiter le sujet complètement et dans ses détails. — À toutes ces difficultés nous opposerons, du reste, cette simple réponse : c’est qu’il n’est pas dans notre but d’enseigner les connaissances artistiques et d’exposer les résultats de l’érudition historique, mais seulement de reconnaître philosophiquement les points de vue généraux, essentiels, leurs rapports avec l’idée du beau et sa réalisation sensible dans l’art. Dès lors, la multiplicité des représentations de l’art ne doit pas, en définitive, nous effrayer et nous troubler. Car, encore ici, malgré cette multiplicité, l’essence de la chose même, sa conformité à l’idée nous sert de fil conducteur ; et s’il lui arrive quelquefois de se perdre dans les accidentalités, en parcourant le cercle de ses réalisations, il existe cependant des points où elle apparaît dans toute sa clarté. Or, saisir ces points de vue, les développer philosophiquement, est la tâche que doit remplir la philosophie.