Suite des Réflexions critiques sur l’usage présent de la langue française/R

◄  Q
S  ►


R

Ravy de Joie.


Quoy qu’on dise estre ravy de joye, l’Auteur des Remarques nouvelles n’estime pas qu’on puisse dire, soyez ravy de joye, & il trouve étrange que des Ecrivains qui se piquent de politesse, ayent fait dire à Nôtre-Seigneur, parlant à ses Apôtres : soyez ravy de joye. La raison qu’il en apporte est, dit-il, que les ravissemens & les transports de joye qui saisissent l’ame, sont moins des actions libres que des saillies naturelles, & qu’on ne doit point nous commander ces mouvemens subits, qui ne sont pas tout à fait en nôtre puissance. Je demande à nôtre Auteur, si quand l’Evangile dit, Exultate, tressaillez : ce mot ne marque pas un aussi grand transport de joye, que soyez ravy ; ainsi il faut qu’il censure premierement le texte Grec qui porte la même chose, & ensuite la Vulgate, & qu’il dise que l’Exultate de l’Evangile, est une faute contre le raisonnement, puisque, selon luy, les transports ne se commandent pas. Cela fait voir combien ce Critique fait réflexion sur ce qu’il avance.

Mais pour achever de prouver qu’on ne peut pas dire, soyez ravy de joye, il ajoûte qu’on ne dit pas, par exemple, à un Prince, soyez aimé de vos Sujets, ni à un Prédicateur, ou à un Avocat, soyez suivy, soyez employé, au lieu de dire : faites ce qu’il faut pour être suivy, pour être employé. Cet Auteur n’a pas pris garde que ce n’est qu’en quelques occasions qu’on ne peut pas dire, soyez aimé de vos Sujets, soyez employé, soyez suivy ; & voicy ce qu’il devoit avoir observé.

Quand on parle absolument & sans condition, il est ridicule de se servir de cet imperatif & de dire crûment, soyez aimé, soyez suivy, soyez employé, soyez ravy de joye ; mais si l’on parle avec quelque condition, & qu’on mette quelque circonstance, on peut se servir alors de ces imperatifs sans craindre de parler mal : on dira, par exemple, à un Prince, si vous voulez regner paisiblement, soïez aimé de vos Sujets. A un Avocat, si vous voulez paroître, soyez employé. A un Prédicateur, si vous voulez faire du fruit, soyez donc suivy, & ne negligez point tant ce qui peut vous attirer l’attention : on dira de même, vous serez bien-heureux lorsque les hommes vous chargeront d’injures & de reproches, qu’ils vous persecuteront, & qu’ils diront faussement toute sorte de mal de vous, réjoüissez-vous alors & soyez-en ravy de joye. Parce que toutes ces propositions sont conditionnelles.

Soyez en santé paroît bien aussi extraordinaire pour le moins que soyez ravy de joye, cependant il y a des occasions où il se peut dire fort bien : comme par exemple, vous êtes encore trop foible pour soûtenir la fatigue de ce voyage, & quand vous partirez, croiez-moy, soyez en santé. C’est bien ici qu’a lieu ce mot de Quintilien, qu’il ne faut pas tant considerer ce qu’on dit, que le lieu où on le dit ; mais pour cela il faut être un peu Faiseur de Réflexions, & nôtre Auteur se contente d’être Faiseur de Remarques.

Je ne sçaurois encore m’empêcher d’observer ici, que cet Auteur qui désapprouve si fort qu’on dise : soyez ravy de joie, a neanmoins souffert qu’on ait mis dans la Traduction de l’Imitation, qu’il cite avec tant d’estime : Pauvres réjoüissez-vous, Pauvres tressaillez d’allegresse, parce que le Royaume de Dieu est à vous[1]. Si la raison qu’il apporte contre, soyez ravy de joye, est recevable, il faut necessairement qu’il passe condamnation sur tressaillez d’allegresse.


De la rencontre de certains mots.

L’Auteur des Remarques nouvelles qui nous a déja fourni tant d’Exemples, nous en fournira encore pour cette Remarque, aussi-bien que pour plusieurs autres que nous ferons dans la suite. Immonde, dit-il, est un mot qui signifie proprement impur & qui est consacré ; proprement impur & consacré, voila des mots dont il falloit fuïr la rencontre, non pas pour éviter aucune équivoque, mais pour parler avec plus de politesse ; je ne rapporteray que cet Exemple ; parce que je n’en ay point trouvé de semblable dans aucun des Auteurs que j’ay lûs.


Rapports vitieux.

Exemple. Quand les hommes s’abandonnent une fois à la fortune, elle les rend plus avides de gloire que dignes de la posseder & capables d’en acquerir, dit M. de Vaugelas. Ce pronom la, de la posseder, ne peut se rapporter correctement à gloire, qui est sans article ; il falloit : quand les hommes s’abandonnent une fois à la fortune, elle les rend plus avides pour la gloire que dignes de la posseder, ni capable de l’acquerir.

A ces mots, les larmes luy tombant des yeux, firent assez connoître combien ce present luy étoit désagreable[2] ; ce verbe firent ne peut se rapporter à larmes, à cause du participe qui suit, luy tombant des yeux ; il falloit : à ces mots, les larmes qui luy tomberent des yeux firent assez connoître, &c.

Autre Exemple.

C’est le propre d’une grande ame, dit l’Auteur des Pensées ingenieuses des Anciens & des Modernes, de ne pas lasser les vœux des supplians[3], ni de ne pas rehausser les bienfaits par la difficulté de les obtenir : il a voulu dire, par la difficulté de les accorder, car le mot d’obtenir ne vient pas là & fait un sens tout contraire, il semble qu’il se rapporte à grande ame, au lieu de se rapporter à supplians ; mais sans changer le mot d’obtenir, il n’y avoit qu’à dire : c’est le propre d’une grande ame de ne pas lasser les vœux des supplians, ni de ne pas rehausser les bienfaits qu’on accorde, par la peine qu’on donne à les obtenir ; ou bien, les bienfaits qu’on leur accorde, par la peine qu’ils ont a les obtenir.

Mais je ne puis m’empêcher de remarquer ici en passant, que l’Auteur de cet exemple a beaucoup affoibli la pensée de l’Orateur de qui il l’a tiré, car le Latin porte : ni d’employer dans ses bienfaits l’artifice de la difficulté, artem difficultatis ; c’est à dire, ni de chercher à faire valoir ses bienfaits par des difficultez étudiées ; c’est là proprement la force du Latin.

C’est une espece de consolation & de gloire pour les vaincus, dit le même Auteur des Pensées ingenieuses, que de l’être par de vaillants hommes : Quel rapport ! une consolation pour les vaincus que de l’être, &c. au lieu de dire, pour ceux qui sont vaincus, car autrement de l’estre ne sçauroit avoir de rapport juste à vaincus, qui de la maniere que nôtre Auteur l’employe, est un pur substantif.

Autre Exemple.

Il faut aux approches des grandes Festes renouveller ses pratiques de pieté, & d’invoquer les Saints avec une plus grande ferveur[4]. Ce de ne sçauroit se rapporter à invoquer. Ses pratiques de pieté & d’invoquer les Saints, quelle Phrase ! pour dire : renouveller avec plus de ferveur ses pratiques de pieté, & celle que l’on a d’invoquer les Saints. Cette Phrase est neanmoins de cette belle & élegante Traduction de l’Imitation, dont nous avons déja rapporté de si beaux Exemples, & que l’Auteur des Remarques nouvelles regarde comme l’ouvrage le plus poli & le plus achevé que nous ayions en nôtre Langue.

Autre Exemple.

Si Dieu differe à nous recompenser, dit le même Traducteur, croyons que c’est que nous ne meritons pas encore une si grande gloire, qui nous sera manifestée au tems qui a été marqué[5]. Ce qui ne peut se rapporter regulierement au mot de gloire, à cause que ces termes une si rendent le sens trop fini & trop achevé, pour rien laisser à attendre aprés. Il falloit avoir mis : croyons que c’est que nous ne meritons pas encore cette grande gloire qui nous sera manifestée au tems qui a été marqué.

L’on trouve encore pour titre d’un Chapitre dans la même Traduction : comment il se faut former à la patience, & combattre ses convoitises[6]. Je dis que ces mots : & combattre qui se rapportent à il faut qui est plus haut, y auroient eu un rapport plus juste pour l’expression, si le Traducteur eust transporté aprés le verbe il faut, le pronom se qu’il a mis devant, & qu’au lieu de dire : comment il se faut former, il eût dit : comment il faut se former à la patience & combattre, parce que combattre se rapportant à il faut, il est visible qu’il ne falloit point separer ces deux derniers mots par le pronom se auquel combattre ne se rapporte point : Ces delicatesses sont necessaires quand on veut écrire poliment.

On lit encore dans ce même Livre : Ce n’est point à ces marques qu’on connoît celuy qui aime veritablement la vertu ; à quoy cela se connoît-il donc, Seigneur ? c’est lorsque vous vous abandonnez entierement à la volonté divine sans chercher vos interêts. Je dis que ces mots : c’est lorsque, ne peuvent se rapporter regulierement à ceux-ci, à quoy cela se connoît-il. S’il y avoit : quand cela se connoît-il, ce seroit bien dit, c’est lorsque : mais y ayant ; à quoy, il n’y a nul rapport de répondre, c’est lorsque. Aprés la demande, à quoy cela se connoît-il, Seigneur ? Il falloit mettre : à un abandonnement entier à la volonté divine, &c. & non pas c’est lorsque. Il est important de remarquer ces sortes de fautes pour s’empêcher d’y tomber.


Rechercher.

Quand rechercher n’est pas le reduplicatif de chercher, il a souvent une signification differente de chercher, & on l’employe d’ordinaire pour marquer l’attache qu’on a pour une chose, comme : rechercher la gloire, les honneurs. Les gens du monde ne recherchent que les plaisirs : un Courtisan recherche la faveur du Prince, les Pretieuses recherchent les mots nouveaux, il y a des gens qui en parlant recherchent toûjours les Phrases. Chercher ne seroit point propre dans ces Exemples, il ne se dit d’ordinaire, que de ce qu’on cherche avec les yeux ou avec la main, comme : chercher sa canne, son épée, &c. ou bien d’une chose dont on tâche de se souvenir, comme : je cherche son nom, mais je ne sçaurois me le remettre ; il demeura court, & aprés avoir long-tems cherché son mot, il fut obligé de descendre de la chaire. On void par là qu’un de mes Critiques n’a pas eu toute la bonne-foy du monde, quand il m’a fait dire que les Anciens cherchoient certaines repetitions, au lieu que j’ay dit recherchoient, ce qui est bien different ; chercher des repetitions, dit-il, quelle Phrase ! S’il ne tenoit qu’à changer ainsi les termes, il seroit aisé de faire des Critiques.


Regretter ses pechez.

Cette Phrase est-elle bonne ? car enfin regretter marque du desir pour la chose qu’on regrette, comme : regretter le tems perdu, regretter son argent, regretter un amy, regretter le passé, regretter les premieres années de sa jeunesse, &c. sur ce pied là, il semble que ce soit un contre-sens, de dire : regretter ses pechez ; cependant l’on entend bien ce que cela veut dire, & un fameux Prédicateur n’a pas fait difficulté de s’en servir : Tandis qu’aux Festes solemnelles chacun de vous vient se reconcilier avec Dieu[7], & qu’il regrette ses pechez aux pieds du Prestre, Marie fait son devoir de mediatrice ; cette autorité me fait suspendre mon jugement.


De Rache-pied, dArrache-pied.

On dit d’arrache-pied ; étudier trois heures d’arrache-pied ; c’est à dire : être si appliqué, si attaché au travail, qu’on ait de la peine à en tirer le pied, & qu’il faille pour ainsi dire, l’en arracher pour l’en ôter. Je ne sçache pas d’autre etimologie de cette maniere de parler. Richelet ni Furetiere ne l’expliquent pas : il est inutile d’avertir qu’elle n’est que du discours familier.


Repetitions necessaires.

Exemple. Nous vous declarons, Monsieur, & nous declarons en même tems à toute la Terre, que nôtre compagnie ne prend nulle part à l’heresie nouvelle dans la morale[8].

Un Ecrivain moins exact auroit dit : nous vous declarons, Monsieur, & à toute la Terre, sans repeter & nous declarons, qui est neanmoins necessaire là pour une plus grande netteté.

Nous croirions manquer à ce que nous devons au prochain, & à ce que nous nous devons à nous-mêmes dans les regles de la charité Chrêtienne, si nous ne declarions publiquement quels sont nos sentimens sur cette matiere[9] : ce qui est mieux que s’il y avoit, nous croirions manquer à ce que nous devons au prochain & à nous-mêmes. Les Exemples suivans sont fort differens de ceux-là, je les ay tirez d’un Auteur que le Père Bouhours cite neanmoins comme un exemple de politesse.

Premier Exemple.

La plus inexcusable & insupportable de toutes ses Censures, est celle qu’il a faite du Traité de Morale sur la valeur, il falloit repeter, la plus, & dire : la plus inexcusable & la plus insupportable.

II. Exemple[10].

L’obeïssance étant un devoir & un moyen de plaire plus seur & honneste pour eux, ils doivent la préferer à la politesse, il falloit plus seur & plus honneste.

III. Exemple[11].

Vous serez sans doute surpris, qu’un homme capable de tous ces égaremens ait osé écrire sur une matiere aussi fine & aussi delicate que la Langue, quand même il l’auroit fait avec toute la modestie & honnesteté imaginable ; il falloit repeter toute, & dire : avec toute la modestie & toute l’honnesteté imaginable.

IV. Exemple[12].

Le prompt dégoût de tout ce qu’on a veu, rend en France les nouveautez tout autrement necessaires que dans les autres païs, pour s’occuper & remplir les vuides de la vie ; il falloit, & pour remplir, &c.

V. Exemple[13].

Les Livres dont le merite est le plus nud & dépourveu de ces avantages étrangers, font toûjours assez de bruit, pour marquer leur valeur ; il falloit : le plus nud & le plus dépourvû, &c.

VI. Exemple[14].

Tous les sentimens excessifs & affectez, sont sujets à se relâcher d’eux-mêmes & se démentir dans la pratique ; l’Auteur devoit repeter à, & dire : & à se démentir.

VII. Exemple[15].

L’Auteur ne doit rien laisser en arriere dés sa premiere Réponse, de tout ce qu’il peut dire pour se justifier, s’il a raison, ou se corriger, s’il a tort.

Il eust été mieux de dire, ou pour se corriger, &c.

VIII. Exemple[16].

Cette licence aboutiroit bientôt à abandonner tous les sentimens & les devoirs de la vie, au caprice de chaque particulier, il falloit : & tous les devoirs.

IX. Exemple[17].

Ceux qui écrivent bien ont toûjours à se deffendre de plusieurs tours & constructions, que les Langues mortes qu’ils sçavent offrent à leur memoire, l’Auteur devoit dire : & de plusieurs constructions.

Un Auteur nouveau a dit : je ne pretends parler que des qualitez ausquelles ils peuvent atteindre, tant en ce qui regarde leurs manieres d’agir, que de s’exprimer, il falloit repeter manieres, & dire : tant en ce qui regarde leurs manieres d’agir, que leurs manieres de s’exprimer.

L’Auteur des Remarques nouvelles dans la Traduction de l’Imitation, dont nous avons déja rapporté diverses fautes, a fait grace à plusieurs omissions vicieuses qu’il auroit pû corriger : Les Saints Peres se regardoient, comme n’étant rien, & dignes du mépris des hommes[18] : il falloit repeter comme, & dire : se regardoient comme n’étant rien, & comme dignes du mépris des hommes, & non : comme n’étant rien, & dignes.

Quand Dieu nous aura ôté sa consolation, dit le même Traducteur, attendez avec humilité & patience la visite d’enhaut[19]. Il falloit repeter avec, & dire : avec humilité & avec patience.

Que je m’aime uniquement pour vous, & en vous tous ceux qui vous aiment veritablement[20] : il a voulu dire : & que j’aime en vous tous ceux qui vous aiment veritablement, autrement la Phrase est estropiée. L’Auteur qui a reveu cette Traduction devoit bien l’avoir corrigée avec plus de soin.

Faites mon Dieu, que je regarde toutes les choses comme passageres, & comme devant passer avec elles[21]. Il falloit : & que je me regarde moi-même, comme devant passer avec elles ; autrement la Phrase est dénüée de sens, & je suis seur que l’Auteur des Remarques nouvelles en conviendra, quelque prévenu qu’il soit, en faveur de l’ouvrage d’où j’ay tiré ces exemples.


Repetitions vitieuses.

Le même Critique qui nous a fourny des Exemples dans la Remarque precedente, nous en fournira dans celle-cy.

Premier Exemple[22].

Monsieur de Vaugelas rapporte cet usage comme luy, mais il ne l’approuve pas comme luy ; il faut qu’il se reglât sur d’autres femmes que luy. Voila trois luy de suite.

II. Exemple.

Vous direz peut-être qu’il en est arrivé autant à M. de Vaugelas qu’à luy, & qu’il a fait dans son Livre les mêmes fautes qu’il y reprend ; mais il ne les y a pas faites comme lui, aprés les avoir reprises, ou pour mieux dire : il s’est repris luy-même aussi-bien que les autres qui les font, aprés les avoir faites[23].

Je ne dis rien du galimatias de cette Phrase, ce n’en est pas ici le lieu.

III. Exemple[24].

On trouvera que ce sont ou gens de qui tout le discernement est borné aux paroles, & qui sont incapables de connoître la bonté des choses ; ou s’ils la connoissent, qui ne sont pas bien aises de la sentir dans les ouvrages des autres, & qui se rabattent sur les paroles, pour se consoler de l’approbation qu’ils n’osent refuser aux choses.

Que coutoit-t-il de dire : pour éviter tous ces qui : on trouvera que ce sont gens dont tout le discernement est borné aux paroles, & qui étant incapables de connoître la bonté des choses, ou fâchez de la sentir dans les ouvrages des autres, se rabattent sur les paroles pour se consoler de l’approbation qu’ils n’osent refuser aux choses : il n’y a en tout cela qu’un qui.

IV. Exemple[25].

Quoy que l’accoûtumance à prendre de certaines peines les rende presque insensibles, elles ne laissent pas de fatiguer à la longue, sans qu’on sçache pourquoy, & l’on ne laisse pas de se sentir de les avoir prises. Ces deux ne laisse pas sont désagreables.

V. Exemple[26].

Les deux especes de flatterie les plus connuës, sont celles qui pechent contre la verité, en loüant ceux qui ne sont pas loüables, soit que la chose dont on les louë ne soit pas veritable, ou si elle est veritable, qu’elle ne soit pas digne de loüange.

A quoy bon repeter, ou si elle est veritable, & pourquoy ne pas dire : soit que la chose dont on les louë ne soit pas veritable, ou qu’elle ne soit pas digne de loüange.

Je laisse plusieurs autres Exemples où cet Auteur a repeté des mots, dont il pouvoit se passer ; car je ne donne point dans les raffinemens de certains Puristes, qui portent les choses à un tel excez, qu’il leur suffit pour condamner une Repetition, qu’elle n’ait pas la grace d’une figure. Il y a des Repetitions qu’on ne peut éviter quelquefois sans rendre le discours languissant ; & quelque estime que j’aye pour l’Auteur des doutes, je ne sçaurois approuver la Critique qu’il fait de cette Phrase cy : Quoy que tout le monde murmurast de ce que Jesus-christ avoit choisy le logis d’un homme d’une profession si odieuse, cette repetition d’un d’une luy paroît vitieuse : tout bas Breton que je suis, dit-il, je sens quelque chose de rude dans ces deux genitifs d’un homme d’une profession : il faut dire, ajoûte-t-il, d’un homme qui étoit engagé dans une profession si odieuse ; mais qui ne sent que ce tour est trop long, & qu’il fait trainer la Phrase ? c’est se détourner de son droit chemin pour éviter un petit ruisseau où tout le monde passe. La trop grande exactitude est un vice ; comme la trop grande negligence en est un autre. Ce sont deux écueils qu’on doit éviter avec soin ; il ne faut pas pour un mot affoiblir une expression, & on doit sçavoir se contenter. Ipsa emendatio finem habet, dit Quintilien. En effet quand le discours est parvenu à une certaine perfection, on le gâte à force de le limer : & pour me servir des termes d’un Ancien, on l’use à force de le polir[27].

Le Traducteur de l’Imitation souvent cité dans la Suite des Remarques nouvelles sur la Langue Françoise, dit dans le troisiéme Livre[28] : cependant parce que peu de personnes s’efforcent de mourir parfaitement à eux-mêmes, & qu’ils n’en sont pas entierement dégagez, ils demeurent toûjours renfermez en eux-mêmes, & ne peuvent s’élever en esprit au-dessus d’eux-mêmes.

Ces trois eux-mêmes ne me paroissent pas du nombre de ces repetitions, que l’on ne peut ôter sans affoiblir la force du sens ; il me semble que la Phrase n’auroit pas été moins bonne, quand on auroit dit : cependant parce que peu de personnes s’efforcent de mourir à leurs inclinations, & qu’ils n’en sont pas entierement dégagez, ils demeurent toûjours renfermez en eux, & ne peuvent s’élever en esprit au-dessus d’eux-mêmes.


Ressusciter d’entre les morts.
Ressusciter des morts.

L’un & l’autre est bon, c’est une expression consacrée, en parlant de la Resurrection de Jesus-christ. Il est ressuscité des morts, il est ressuscité d’entre les morts ; je dis en parlant de la Resurrection de Jesus-christ, car on ne dira pas, par exemple, que Lazare ressuscita d’entre les morts. On trouve dans le Livre de Prieres de M. l’Archevêque de Paris, il est ressuscité des morts ; & dans le Nouveau Testament, il est ressuscité d’entre les morts. Je sçay bien que l’Auteur des Remarques nouvelles reprend cette Expression, disant qu’il suffit de mettre : il est ressuscité, sans ajoûter des morts, mais cette Critique ne merite pas seulement qu’on la rapporte : si cet Auteur avoit un peu lû Saint Paul, il auroit sceu que ces termes d’entre les morts, sont tres-mysterieux.

Jesus-christ est appellé par Saint Paul le premier né d’entre les morts, & les premices de ceux qui dorment pour se réveiller un jour ; c’est à dire que de tous les morts il est le premier (comme l’explique le Catechisme du Concile de Trente) qui soit ressuscité à une vie immortelle, plusieurs étans ressuscitez avant Jesus-christ ; mais nul d’eux n’étant ressuscité pour ne plus mourir, ce qui ne peut pas s’appeller ressusciter veritablement.

Ainsi S. Paul ne nous dit pas simplement que Jesus-christ est ressuscité, mais il adjoûte d’entre les morts, pour nous faire entendre qu’il est le premier des morts qui soit veritablement ressuscité, c’est à dire pour ne plus mourir, & que les autres n’ont point eu ce privilege ; c’est pourquoy dans l’Epître aux Corinthiens, aprés avoir dit que Jesus-christ est ressuscité d’entre les morts, il s’explique lui-même aussi-tôt, ajoûtant qu’il est devenu les premices de ceux qui dorment du sommeil de la mort ; ainsi quand on dit il est ressuscité d’entre les morts, c’est comme si l’on disoit : entre tous ceux qui sont morts, il est le seul qui soit ressuscité : parce que en effet, ces resurrections où l’on ne reçoit la vie que pour la reperdre, ne sont pas de veritables resurrections.


Retranchemens elegants.

Exemple. Le Chevalier étoit jeune, bienfait, les manieres honnestes, l’air un peu fier, &c. pour dire, il avoit : les manieres honnestes, l’air un peu fier. C’étoit un jeune homme d’une qualité à se faire distinguer, beau, bienfait, l’esprit d’un caractere à charmer, pour : il avoit l’esprit, &c. Ces sortes de retranchemens donnent au stile un air aisé & naturel.


Retranchemens necessaires.

Exemple. Vous nous avez fait plus de plaisir que vous ne pensez, en nous informant de la These soûtenuë dans nôtre College de Dijon, & nous ne sçaurions assez vous témoigner combien nous vous sommes obligez, de l’avis charitable qu’il vous a plû nous donner[29]. Un Ecrivain moins poli auroit dit, qu’il vous a plû de nous donner ; mais il est certain que cette particule de doit être retranchée.

Voici des Exemples où un autre Auteur n’a pas été si exact.

Il me souvient bien de vous avoir dit autrefois sur la Critique, beaucoup de choses que vous souhaitiez de voir écrites[30]. Il falloit retrancher le de, & dire simplement que vous souhaitiez voir, &c.

Le repos & la seureté de chaque particulier dépendent de ce principe, & c’est pourquoy[31], &c. on ne doit point mettre & avant c’est pourquoy ; cet Auteur fait la même faute en mille endroits : je crois être recevable à revendiquer leurs droits ; & c’est pourquoy, &c. les Auteurs mediocres ne meritent pas qu’on y prenne garde de si prés, & c’est pourquoy, &c. j’en laisse plusieurs autres.

Cet usage ne peut du moins que de se trouver souvent contraire à celuy du commun du monde[32]. A quoy sert ce de, que de se trouver ? Il fait cette faute en plusieurs autres endroits. Un pronom, dit-il, ne peut du moins que de se rapporter plus naturellement à des noms qu’à des verbes[33]. Il y a là bien de la Province.

Le Traducteur de l’Imitation, tant cité par l’Auteur des Remarques nouvelles, dit : Quiconque n’obeït à son superieur qu’avec contrainte & avec peine, il marque bien qu’il est lui-même mal obeï de sa propre chair[34]. Il falloit retrancher il, & dire : quiconque n’obeït à son superieur qu’avec contrainte & avec peine, marque bien, & non, il marque.


Retranchemens vitieux.

L’Auteur favori du Pere Bouhours nous en fournira des Exemples[35]. L’empressement qu’on témoigne pour les ouvrages des Auteurs qui se critiquent, vient plus du plaisir malin qu’on sent à les voir s’entre-déchirer, que d’estime qu’on ait pour eux, il falloit : que d’aucune estime.

Autre chose est dire que[36], &c. il ne falloit pas retrancher de, l’Auteur devoit avoir mis autre chose est de dire.

Je suppose comme chose certaine[37]. Phrase Provinciale, il falloit : comme une chose certaine.

Si l’on change quelque chose dans l’entretien ordinaire, pour plus grande facilité[38]. Il falloit : pour une plus grande facilité.

Comment peut-on confondre deux termes de signification si claire & si differente[39], il falloit : d’une signification.

Le Traducteur de l’Imitation dont nous avons parlé dans la Remarque precedente dit[40] : vous ne voulez pas être repris de vos fautes, & vous cherchez des excuses pour les couvrir, parce que vous craignez qu’on vous méprise. Il falloit mettre la particule ne, & dire : parce que vous craignez qu’on ne vous méprise, car on ne dit point, je crains qu’il vienne, qu’il parle, qu’il dise ; mais qu’il ne vienne, qu’il ne parle, qu’il ne dise : le verbe craindre en ces occasions veut toûjours ne aprés soy.


Rimes dans la prose.

Tout le monde sçait que les rimes & les consonances sont vitieuses en Prose, tout le monde cependant ne les évite pas avec soin. Dans mon premier Volume j’ay remarqué plusieurs fautes là-dessus, & j’en remarqueray encore dans celui-cy ; puisque l’Auteur qui nous a déja fourni tant d’Exemples au besoin, veut bien nous en fournir en cette occasion.

Relever l’excellence de son sujet, autant que la verité le permet[41].

Pour avoir ignoré des choses de fait qui appartiennent à son sujet[42].

Si l’on veut entendre ce mot[43], il faut necessairement se souvenir en le lisant, de celuy auquel il se rapporte, & les avoir par consequent tous deux en même instant également presens.

Et partant s’agissant également[44], &c.

Elles ne sont vrayment estimables qu’autant qu’elles contribuent à nous rendre équitables[45]. C’est la faute de l’Auteur, non du Lecteur.

C’est encore un principe important en cette matiere que la prononciation parfaitement reguliere[46], &c.

La prononciation des Prédicateurs & autres Orateurs[47].

On ne sçait pas ce que c’est que l’esprit, & quel en est le prix[48].

Les Auteurs mesmes qui se picquent le plus de politesse, ne peuvent quelquefois se garantir de ces negligences ; c’est pourquoy il est bon de s’observer beaucoup là-dessus.

Cette Traduction, par exemple, si polie & si parfaite de l’Imitation, qui est si vantée dans la Suite des Remarques nouvelles sur la Langue Françoise, est toute remplie de ces sortes de fautes : & sans aller plus loin que le premier Chapitre, que nous sert, dit le Traducteur, de discourir d’une maniere sublime sur la Trinité, si manque d’humilité vous déplaisez à la Trinité[49].

J’aime beaucoup mieux sentir la componction, que d’en sçavoir la définition. Il falloit : pour le premier Exemple, que vous sert de discourir d’une maniere sublime sur la Trinité, si par vôtre orgueil vous déplaisez à la Trinité ; ou bien, si n’étant pas humble vous déplaisez à, & non, si manque d’humilité vous déplaisez à la Trinité.

Et pour le second, il falloit : j’aime beaucoup mieux sentir la componction, que de sçavoir comment on la définit.

Je passe une infinité d’autres Exemples, pour ne pas m’arréter à des bagatelles.


Rompre.

Rompre se dit en mille occasions dans le figuré : rompre le silence, rompre un engagement, rompre tout commerce, rompre avec quelqu’un. Nôtre Traducteur de l’Imitation a dit rompre sa volonté, mais je luy conseillerois de rompre avec cette expression qui est fort barbare. Apprenez, dit-il, à rompre toutes vos volontez[50] ; pourquoy ne pas dire : à vaincre toutes vos volontez. Je sçay bien qu’on dit rompre un dessein, mais il ne s’ensuit pas qu’on dise, rompre une volonté ; c’est une Phrase qu’on ne doit point passer dans aucun ouvrage, quelque poli qu’il puisse être d’ailleurs.


  1. Liv. 3. chap. 58 art. 10.
  2. Vaug. Quint.
  3. P. 390.
  4. Traduct. nouv. de l’Imitat. 2. Edition, liv. 1. ch. 19. art. 6.
  5. Imitat. Liv. 1. chap. 19, art. 7.
  6. Imitat. Liv. 3. chap. 12.
  7. Sermon sur la Sainte Vierge par le P. Cheminais.
  8. Sentimens des jes. sur le peché Philosophique par le P. Bouhours, 1. Lettre
  9. Autre exemple du même endroit.
  10. P. 279.
  11. P. 330.
  12. P. 335.
  13. P. 337.
  14. P. 49.
  15. P. 58.
  16. P. 64.
  17. P. 83.
  18. Imitat. Liv. 1. chap. 18. art. 4.
  19. Liv. 2. chap. 9. art. 4.
  20. Liv. 3. chap. 5. art. 6.
  21. Liv. 3. ch. 27. art. 4.
  22. P. 240.
  23. P. 321.
  24. P. 68.
  25. P. 256.
  26. P. 151.
  27. Non jam splendescit lima sed atteritur. Plin. jun. Ep. 103, Lib. 3.
  28. Chap 53. art. 3.
  29. Sentimens des Jes. sur le peché Philosophique, 1. Lettre par le P. Bouhours.
  30. P. 1.
  31. p. 6.
  32. p. 82.
  33. p. 249.
  34. Liv. 3. chap. 3. art. 1.
  35. P. 54.
  36. P. 215.
  37. P. 18.
  38. P. 30.
  39. P. 325.
  40. Liv. 3. ch. 46. art. 1.
  41. P. 183.
  42. P. 57.
  43. P. 255.
  44. P. 249.
  45. P. 91.
  46. P. 300.
  47. P. 301.
  48. P. 268.
  49. Liv. 1. art. 3.
  50. Liv. 3. ch. 13. art. 2.