Suite des Réflexions critiques sur l’usage présent de la langue française/Q

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Q

Qui, ce qui.


Exemple. Les Gaulois se disent descendus de Pluton, qui est une tradition des Drüides[1] ; il faut, dit un certain Auteur : ce qui est une tradition, parce (dit-il) que, qui étant un pronom, il ne peut pas se raporter aussi naturellement à des verbes qu’à des noms, au lieu que ce qui se rapporte tres-naturellement à des verbes, aussi bien qu’à des noms, parce que ce qui, n’est pas un simple pronom comme qui. Mais je demande à nôtre Auteur ce qu’il trouveroit à redire en ces Phrases. La perfection Chrêtienne consiste à s’humilier, qui est la chose du monde la plus difficile à l’homme.

Pour se conduire sagement dans la vie, il faut sçavoir parler & se taire, qui sont deux choses qui ne s’apprennent point bien l’une sans l’autre.

Le pronom qui n’est pas sans doute une faute dans ces deux Exemples, il se rapporte pourtant à des verbes. Ce seroit un beau langage d’y mettre ce qui au lieu de qui, sur tout dans le dernier Exemple.


Qui fait, qui font.

Faut-il dire ; c’est la vertu & non les richesses qui nous font aimer de Dieu, ou bien qui nous fait.

C’est la lecture & non les Livres qui fait ou qui font un homme sçavant.

C’est le cœur & non les paroles qui nous justifieront devant Dieu, ou bien qui nous justifiera. Je crois pour moy qu’il vaut mieux mettre le verbe au plurier en le faisant rapporter au dernier substantif qui est au plurier. C’est le bon ordre, & non certaines épargnes sordides qui font les grands profits[2], dit un Ecrivain des plus polis.

Si au contraire le substantif plurier étoit le premier, & le substantif singulier le second, il faudroit mettre le verbe au singulier, parce qu’il est toûjours mieux de le faire rapporter au dernier.

Comme, par exemple : Ce ne sont pas les richesses, mais la vertu qui nous fait considerer.

Ce ne sont pas les Livres, mais la lecture qui fait un homme sçavant.


Qui au sens de parce que.

Exemple. Les Saints qui méprisoient les choses du monde, les quittoient sans regret. C’est à dire, les Saints, parce qu’ils méprisoient les choses du monde, les quittoient sans regret. Tout le monde sent cela ce me semble, c’est pourtant pour avoir rendu par le sens de parce que un qui comme celui-là, qu’un certain Auteur m’a repris ; voici l’Exemple. Ciceron dit que les Anciens ne s’étant pas encore avisez des expressions figurées, & suivant les plus simples & les plus naturelles, ils ont presque tous bien parlé. Le Latin porte, les Anciens qui, &c. Et c’est à ce pronom qui que mon Censeur trouve étrange que j’aye donné le sens de parce que, en le traduisant par le participe : Les Anciens ne s’étant pas encore avisez ; pour : qui ne s’étoient pas encore avisez[3]. Car, dit-il, il n’y a point quia dans le Latin, mais qui. La Critique n’est-elle pas judicieuse ?


Que.

Exemple. C’est un ingrat, vous vous sacrifieriez pour luy qu’il ne vous en sçauroit pas le moindre gré, c’est de ce que qu’il est question dans cette Remarque : il paroît employé à un usage assez bizarre, vous vous sacrifieriez pour luy que, de quoy est gouverné ce que, à quoy se raporte-t-il ? il faut necessairement sous-entendre ces mots cy, il arriveroit : vous verriez qu’il ne vous en sçauroit pas le moindre gré. Ces sortes d’expressions coupées sont fort élegantes dans nôtre Langue, & c’est ce qui donne le plus de feu à un discours : tant que la passion dominera, dit le Pere Cheminais en parlant de l’Impie, cet homme verroit des Miracles qu’il raisonneroit toûjours de la sorte : & M. de Vaugelas, Comme il eut receu un coup de pique au travers du corps & perdu beaucoup de sang, les forces luy manquerent qu’il combattoit encore.


Quelque chose de grand.

Quand aprés quelque chose il y a un adjectif qui s’y rapporte, il faut mettre la particule de avant l’adjectif, regle infaillible. Faire quelque chose de grand, de considerable, c’est quelque chose de consolant que de, &c. Il est vray qu’un bon Ecrivain a dit, en parlant de Demosthene & de Ciceron, il y a encore quelque chose à dire d’eux plus grand que tout cela[4] ; mais c’est une faute ; est-ce donc que l’Auteur devoit dire : il y a encore quelque chose à dire d’eux de plus grand que tout cela ; non, sans doute ; mais il falloit placer ces mots quelque chose, de maniere que la particule de fût immediatement aprés, en disant : il y a encore à dire d’eux quelque chose de plus grand que tout cela ; mais quand l’adjectif qui est aprés quelque chose veut un de aprés soy, on ne doit plus observer la regle, & il faut alors mettre l’adjectif sans de auparavant, autrement la Phrase seroit rude, & c’est comme en use M. de Vaugelas en plusieurs rencontres, & entr’autres en cet Exemple : Il l’exhortoit à faire quelque chose digne de sa naissance & de la grandeur de son courage, il est visible que de digne de sa naissance blesseroit un peu l’oreille. L’auteur des Remarques nouvelles en use de même ; ces deux mots, dit-il, marquent quelque chose propre de la beste.


Quelque chose qui arrive, qu’il arrive.

Le bon usage est pour qu’il arrive. Quelque chose est là pour le mot de quoy : & comme on ne dit pas quoi qui arrive, mais quoi qu’il arrive, il est constant qu’il faut dire : quelque chose qu’il arrive, & non, qui arrive. Mais ce qui confirme cette Remarque, c’est qu’on ne dira pas quelque chose qui en arrive, quelque chose qui en puisse arriver ; mais, qu’il en arrive, qu’il en puisse arriver. Comment douter aprés cela, qu’il ne faille dire aussi quelque chose qu’il arrive ? Le Traducteur de l’Imitation, dont nous avons cité plusieurs Exemples, dit quelque chose qui arrive, pour, qu’il arrive : Mais quand cette Traduction seroit la plus polie & la plus parfaite de toutes, je ne crois point que cet Exemple dût être imité.


Quoy, qu’y a-t-il ?

Quoy pour qu’y a-t-il n’est pas bon en Prose, quoy de plus facile, dit un Auteur, que d’exposer les objections de la même maniere que les doutes, il falloit : qu’y a-t-il de plus facile que de, &c. je me suis servi de quoy, pour, qu’y a-t-il dans le premier Volume de mes Réflexions ; & des personnes éclairées m’en ont repris : quoy de plus beau que, &c. j’aurois en effet beaucoup mieux parlé, si j’eusse dit : qu’y a-t-il de plus beau, &c.


Quoique.

Ce mot veut toûjours le subjonctif, & l’on ne peut excuser de faute cet Exemple de l’Auteur 1 des Remarques nouvelles : on sçait bien que recouvrir ne se met jamais pour recouvré, quoique recouvert se met souvent pour recouvré[5]. Il falloit dire, quoique recouvert se mette souvent pour recouvré, cela est constant.


  1. Dablanc. Comm. de Ces.
  2. Education des filles par M. l’Abbé de Fennelon.
  3. Sunt enim illi veteres qui nondum ornare poterant ea quæ dicebant omnes propè præclare locuti.
  4. Discours sur l’éloquence de Demost. & de Ciceron.
  5. Suite des Remarques nouvelles sur la Lang.