Suite des Réflexions critiques sur l’usage présent de la langue française/P

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P

Par injustice.


Exemple. Cela ne peut être qualifié de cette sorte, que par une injustice extrême, dit un de nos Critiques ; il falloit : qu’avec une injustice extrême, ou bien, sans une injustice extrême : l’autre Phrase est Provinciale.


Par, avec un verbe à l’infinitif.

On dira bien, il commença par dire que, &c. il commença par nous marquer ses sentimens. Il n’y a gueres que ce verbe commencer qui se construise de la sorte avec un infinitif précedé de la particule par. On ne dira pas de même, il finit par dire que : il finit par luy marquer ses sentimens ; mais on dira bien, il finit par des réflexions sur l’éloquence : il finit son discours par deux ou trois réflexions sur l’aveuglement des hommes. Ce que je dis de finir, je le dis de la plûpart des autres verbes ; & je ne comprends pas comment l’Auteur des Remarques nouvelles a pû parler si improprement, que de dire : je m’étonne que des gens qui se piquent de politesse ayent traduit, Abraham genuit Isaac, par dire Abraham engendra Isaac. Quelle Phrase ! traduire un passage par dire ; il falloit mettre : je m’étonne que des gens qui se piquent de politesse, ayent traduit, Abraham genuit Isaac, par, Abraham engendra Isaac, & non, par dire. Il y a bien plus lieu de s’estonner, qu’un Censeur aussi éclairé, & qui se mesle de tout reprendre, fasse des fautes si sensibles.


Parler,
Un livre qui parle,
Un discours qui parle.

C’est une faute que mille gens font de dire, c’est un Livre qui parle bien, ce Livre parle mal ; il faut dire, c’est un Livre bien écrit, ce Livre est en beau langage, &c.

Le Pere Bouhours a été repris d’avoir dit : il ne se faisoit gueres de discours, qui ne parlât d’Epaminondas & de Cambisez. Et il avouë dans la suite de ses Remarques, qu’on l’en a repris avec raison, & qu’il devoit dire, où il ne fût parlé, & non pas, qui ne parlât d’Epaminondas, &c. En effet on dira bien qu’un Livre, ou qu’un discours traite de telle chose, mais non pas, qu’il parle, la Phrase est Provinciale. Mais si l’on ne dit pas qu’un Livre parle, on dit encore moins qu’un Livre s’exprime : C’est neanmoins la Phrase dont se sert un de mes Critiques en voulant me reprendre. Je serois bien fâché, dit-il[1], de relever toutes ses fautes contre la justesse & la netteté de l’expression, ce ne seroit pas si-tôt fait, pouvant dire avec verité, que je n’ay gueres veu de Livre qui s’exprime moins proprement & plus imparfaitement. Nôtre Critique cette fois pouvoit s’exprimer plus proprement & plus parfaitement.


Parler, nommer.

La question est au sujet de ces paroles de Quintilien : parco nominibus viventium[2]. Qu’un certain Auteur a traduites de cette sorte : mais je ne parle point des vivans, sans prendre garde qu’il y a bien de la difference entre, ne parler pas d’une personne, & ne la nommer pas ; par exemple : je parle à present du Traducteur de ce passage, & je dis qu’il l’a mal traduit, mais je ne le nomme pas.


Grand parleur.

Grand parleur marque une habitude, comme a fort bien remarqué l’Auteur des Remarques nouvelles : ainsi il ne faut pas s’en servir dans des endroits où il n’est question que d’un acte, comme il l’observe encore fort bien. On ne dira donc pas à quelqu’un, qui ira prononcer un discours, ne soïez pas grand parleur dans vôtre discours, parce qu’il n’est question là que d’un acte, ce qui ne peut pas faire une habitude : mais si parlant de tous les discours que peut faire une personne, je disois, ne soïez pas grand parleur dans vos discours ; je dirois bien, parce qu’il s’agit alors de plusieurs actes reïterez, qui peuvent former une habitude : je ne diray donc pas à une personne qui se mettra à prier Dieu, ne soyez pas grand parleur dans la priere que vous allez faire, parce que ce seroit luy dire, ne vous faites pas une habitude de parler beaucoup dans la priere que vous allez faire : ce qui seroit ridicule.

Mais si parlant en general des prieres qu’on a coûtume de faire tous les jours, je disois : qu’il ne faut pas être grand parleur dans ses prieres, je m’expliquerois bien ; parce que c’est comme si je disois, qu’il ne faut pas se faire une habitude de parler beaucoup dans ses prieres, qui est une expression qu’on ne sçauroit reprendre en cette occasion, comme dans l’autre Exemple ; parce qu’il s’agit ici de toutes les prieres generalement, & par consequent d’un grand nombre d’actes qui étant reïterez, peuvent former une habitude. Il faut donc que l’Auteur des Remarques nouvelles sur la Langue se soit mépris, quand il a trouvé à redire qu’on ait mis dans le Nouveau Testament, ne soyez pas grand parleur dans vos prieres, puis qu’il luy étoit facile de voir qu’il ne s’agissoit pas dans ce passage d’une seule priere en particulier, mais de toutes les prieres en general.


Paroître, apparoître.

On ne dira point que le Soleil apparoît, que la Lune apparoît ; mais s’il paroissoit quelque chose de nouveau dans le Ciel, qui tinst du prodige & qu’on regardât comme un signe particulier envoyé de Dieu, alors il faudroit se servir de apparoître ; on dira mieux, par exemple, que les hommes seront effrayez à la fin du monde, par les signes qui apparoîtront dans le Ciel, que non pas, par les signes qui paroîtront. Et si en parlant de l’Etoille que virent les Mages à la naissance de Nôtre-Seigneur, je disois qu’Herode s’informa du tems que l’Etoille leur étoit apparuë, je m’exprimerois mieux, que si je disois, du temps que l’Etoille leur étoit paruë. Je sçay bien que l’Auteur des Remarques nouvelles sur la Langue, reprend les Traducteurs du Nouveau Testament d’avoir traduit de la sorte ; mais c’est que ce Grammairien pretend qu’apparoître ne se dit que des Spectres & des esprits, & c’est en quoy il se trompe. Apparoître se dit de tout ce qui paroît, ou miraculeusement, ou magiquement, pour disparoître peu aprés.

Cet Auteur pour appuyer son sentiment, rapporte entr’autres exemples celui-ci ; Jesus-Christ apparut à ses Disciples, mais cet Exemple est fort mal choisi ; car lorsque Jesus-Christ apparut à ses Disciples, ce ne fut point en qualité de Spectre ni d’esprit, puisque même dans une de ses apparitions il demanda à manger à ses Apôtres, pour leur faire voir qu’il n’étoit ni l’un ni l’autre. Nôtre Grammairien est sujet à se méprendre quelquefois.


Participer à,
Participer de.

Exemple. L’Infamie consiste dans les choses, mais un mot participe de cette infamie, quand il expose la chose infame qu’il signifie plûtôt comme plaisante, que comme criminelle.

Cette Phrase : participer d’une chose paroît barbare à un de nos Critiques[3] ; je demande, dit-il, s’il n’est pas mieux de dire : participer à une chose, que participer d’une chose. Je réponds, que lorsque participer signifie entrer en partage, on dit participer à, comme : Un associé participe à tous les droits de la Societé, la Communion des Saints nous fait participer à toutes les prieres des fideles ; celuy qui porte les autres au mal, participe à leur peché ; celuy qui écoute le médisant, participe à sa médisance.

Mais quand participer signifie tenir de la nature ou de la qualité d’une chose, on dit participer de, comme : les termes participent quelquefois de l’infamie des choses qu’ils signifient, le loup participe du chien, l’abricot est un fruit qui participe de la pêche & de la prune, dit l’Auteur du Dictionnaire Universel. Cette fille participe de l’humeur de sa mere.

C’est à dire que participer à, se dit à l’égard d’une chose purement exterieure : comme participer aux frais, à la dépense, participer au peché d’autruy ; participer aux prieres des fideles. Et que participer de, se dit de ce qui est propre à la chose qui participe, comme : la grenoüille participe du cris du corbeau, Il y a des animaux qui participent de l’homme, la plûpart des couleurs participent les unes des autres ; Les pierres dont on tire l’alun, dit un de nos Auteurs, participent de la nature du plomb. Ce seroit un plaisant jargon de dire, avec nôtre Censeur, qu’il y a des animaux qui participent à l’homme, que les couleurs participent les unes aux autres, & que les pierres dont on tire l’alun participent à la nature du plomb.


Passer.

Exemple. L’observation des Loix ne passe point pour honteuse, quand les grands en font une publique profession, & l’on fait gloire de suivre ceux que la gloire suit toûjours. Je demande, dit un certain Auteur, en quel païs du monde c’est que l’observation des Loix passe pour honteuse ? Cette demande fait voir que les choses les plus claires sont souvent ignorées, & qu’il n’est pas toûjours inutile d’examiner les mots les plus ordinaires ; il faut donc remarquer que quand on dit qu’une chose passe pour telle, on n’entend pas qu’elle passe generalement pour cela dans l’esprit de tout le monde, mais seulement de la plûpart ; & si en déplorant le desordre du Siecle, je disois que la Comedie passe pour un divertissement permis, je parlerois bien ; quoy que cependant il y ait une infinité de personnes éclairées & vertueuses, dans l’esprit de qui elle ne passe point pour telle : ainsi quand nôtre Auteur demande en quel païs du monde c’est que l’observation des Loix passe pour honteuse, on peut lui répondre que c’est dans tous les païs parmi le monde corrompu ; mais puisque nous sommes sur ce passage, je suis d’avis de n’en pas faire à deux fois, & de raporter tout d’un tems la Critique que cet Auteur fait du reste de l’Exemple, quoy qu’elle n’ait pas beaucoup de raport à nôtre Remarque : cela fera toûjours voir quel fonds on doit faire sur ce qu’il avance.

Et l’on fait gloire de suivre ceux que la gloire suit toûjours. Qui luy a dit, s’écrie nôtre Critique, que la gloire suit toûjours les grands ? Est-ce qu’ils observent toûjours les Loix ? Il n’auroit pas fait cette demande, s’il avoit pris garde qu’il y a une gloire naturellement attachée à la grandeur, laquelle attire aux grands le respect & la veneration des peuples, sans que les grands en soient pour cela plus fideles Observateurs des Loix de l’Evangile.


Pauvre.

Ce mot en terme de mépris, se met à bien des choses. Un pauvre raisonnement, un pauvre ouvrage, de pauvres remarques, un pauvre Sermon, une pauvre raison, un pauvre genie, &c. On dira d’un homme riche, mais sans esprit, c’est un pauvre homme que cet homme là ; enfin il n’y a presque rien à quoy l’on n’applique aujourd’huy le mot de pauvre dans le sens méprisant, où je le prends ici : C’est un pauvre signe que de ne pas aimer le travail : quand en citant un Livre, on met à la marge, comme a fait l’Auteur des Remarques nouvelles, à quelle Enseigne il se vend : c’est une pauvre marque, il faut que ce soit un pauvre Livre.

On se sert du mot de pauvreté au même sens, comme : il y a quantité de Livres qui sont pleins de pauvretez ; cet Auteur ne dit que des pauvretez : il y a des gens qui quand ils sont en colere vous disent cent pauvretez : les petits esprits se choquent aisément, & pour une bagatelle ils vous diront cent pauvretez.

Ce mot mis à cet usage emporte toûjours avec soy une idée de bassesse & de petitesse ; si un homme, par exemple, qui devroit avoir de la gravité & de la sagesse, & qui seroit en effet d’une Profession & d’un âge à cela, venoit à se piquer mal à propos, & à se répandre en injures, les emportemens de sa bile meriteroient d’être appellez des pauvretez, parce que cette colere marqueroit de la petitesse d’esprit ; comme, s’il traitoit par exemple de mal-honneste homme une personne qu’il ne trouveroit pas de même avis que luy sur le stile de quelque Auteur, ou sur quelque point de Grammaire. Horace tourne agreablement en ridicules ces especes de gens dans quelqu’une de ses Epîtres.

J’avouë que si en reprenant un Auteur d’une faute de langage & de quelque défaut de stile, on prenoit de là occasion d’attaquer ses mœurs ; qu’on le raillast par exemple, sur un mot, comme on a raillé autrefois un de nos Grammairiens sur Prosateur ; j’avouë dis-je, que ce procedé interesseroit assez la charité Chrêtienne & l’honnesteté civile, pour qu’on pût avoir du chagrin contre celuy qui en seroit l’Auteur, sans que ce chagrin dût meriter le nom de pauvreté. Mais ce n’est pas dequoy il s’agit ici, & je ne parle que de ces emportemens bas & pueriles qui n’ont point de fondement, & je dis qu’on les doit qualifier du nom de pauvretez, parce qu’ils font voir en effet dans ceux qui en sont capables, un grand besoin d’esprit & de jugement.


Peinturer.

Ce mot qui déplaît tant à un certain Auteur, peut neanmoins trouver sa place dans le discours. Peinturer, c’est appliquer des couleurs sans art. Un barboüilleur peinture, il ne peint pas ; c’est ce qui a fait dire à un de nos Ecrivains, on vous taillera un Hercule, on le peinturera comme étoit le vôtre. Au lieu que peindre, c’est representer avec le pinceau la figure de quelque objet : comme, d’un oiseau, d’un arbre, d’un homme, d’une campagne, &c. Mais il faut remarquer, qu’en parlant de l’objet representé, on doit dire peint, peinte, un païsage bien peint, un homme bien peint : au lieu qu’en parlant du sujet surquoy l’objet est representé, il faut dire peinture, peinturée, des volets peinturez, une maison peinturée. On dira d’un beau carosse, qu’il est bien doré & bien peinturé, & non bien peint. Un carrosse peint, est un carrosse en peinture. Je diray de même, voila une Eglise bien dorée & bien peinturée : & si pour donner à quelqu’un l’addresse d’un chemin, je luy disois qu’il trouvera une maison peinte, voulant luy faire entendre qu’il trouvera une maison peinturée, ce seroit luy parler d’une enseigne plûtôt que d’une maison : car enfin une maison peinte, c’est une maison en peinture. J’ay dit que peinturer, c’étoit appliquer des couleurs sans art ; mais il ne faut pas conclure de là, qu’il ne se dise jamais qu’en ce sens : peinturer s’employe quelquefois aussi-bien que son participe, en parlant du sujet sur lequel on applique les couleurs, soit que l’on peigne effectivement quelque chose, ou que l’on n’applique que des couches ; on dira par exemple, d’une personne qui fera faire des peintures à sa maison de campagne, qu’il fait peinturer sa maison, & non pas qu’il l’a fait peindre, ce qui seroit équivoque : car faire peindre sa maison, c’est la faire mettre en tableau. Voila ce que c’est que peinturer & peinturé.

Je m’étonne que M. Richelet & M. Furetiere se soient trompez là-dessus, comme ils ont fait ; l’un, de dire que peinturé signifie qui n’est couvert que d’une seule couleur ; & l’autre, de croire qu’il signifie seulement ce qui est couvert de couleur sans aucun art particulier, surquoy il cite ces exemples qui ne laissent pas d’être bons : en plusieurs lieux les maisons sont peinturées en dehors, on peinture les volets, les travées, la menuiserie : ce que disent ces deux Auteurs, fait toûjours voir qu’ils n’ont pas regardé peinturer comme un mauvais mot.

J’ay remarqué que ce terme se disoit du sujet sur lequel les couleurs étoient appliquées ; mais il ne faut pas oublier ici qu’il y a une exception à cela, & que l’on dit de la toile peinte, un habit de toile peinte, des rideaux de toile peinte.

Je ne pretends pas soûtenir non plus qu’il n’y ait point d’exception dans ce que j’ay dit de peinturer, car je crois qu’il faut dire : par exemple, qu’un homme se peint la barbe, les sourcils, que les femmes se peignent le visage, &c.

J’adjoûte encore qu’il vaut mieux quelquefois dire, mettre en couleur, que peinturer : comme, je veux faire mettre cette cheminée en couleur, j’ay fait mettre en couleur la porte de mon jardin, &c.


Je pense à vous,
Je pense en vous.

J’ay déja fait une remarque là-dessus dans mes premieres Réflexions ; mais le Pere Bouhours qui a voulu encherir, sur ce que j’ay dit, me donne occasion de la retoucher. Voici donc ce qui en est.

Je pense à vous, marque une pensée qui ne fait que passer, & je pense en vous, une pensée qui dure & dont on s’occupe avec complaisance. Un ami qui vous remerciera d’avoir jetté les yeux sur luy pour une affaire dont vous l’aurez jugé capable, vous doit remercier d’avoir pensé à luy. Mais un autre à qui vous aurez mandé que vous n’êtes occupé que de luy, & que vous attendez avec impatience son retour, vous doit remercier de ce que vous pensez en luy. Le Pere Bouhours qui a voulu reformer ma remarque dit que penser en, regarde les sentimens tendres du cœur ; mais il est certain que quelque tendre que soit une pensée, si l’on ne s’en occupe point, si elle ne dure pas, on doit dire penser à, & non, penser en.


Perceptible.

Quoi qu’on dise imperceptible, on ne dit point perceptible, comme je l’ay déja observé dans la Remarque sur les mots composez de in ; c’est une bisarrerie de l’usage contre laquelle les meilleures raisons ne peuvent rien. Mais ce n’est pas dequoy je me suis proposé de parler principalement dans cette Remarque : c’est du mot imperceptible que quelques personnes employent mal à propos, faute d’en sçavoir l’usage. Je dis donc qu’imperceptible ne se dit gueres que par rapport aux objets de la veuë, comme : le Microscope nous découvre plusieurs choses imperceptibles. Il sort de la terre des vapeurs imperceptibles qui s’épaississent dans l’air & y forment des nuées.

Ainsi on dira fort bien que les parties de l’air sont si petites & si delicates, qu’elles sont imperceptibles, c’est à dire qu’on ne les voit point : que ce qui fait l’odeur d’une fleur sont des parties fines & imperceptibles qui s’en détachent & qui viennent à nous.

Imperceptible se pourra peut-être dire aussi en d’autres occasions, que par rapport à la veuë ; mais ce qu’il y a de certain, c’est qu’il ne se dit point du bruit ni du son ; & un bruit, un son imperceptible, est un langage peu exact, pour dire, un bruit, un son qu’on n’entend presque pas. C’est une faute que l’Auteur des Remarques nouvelles devoit avoir corrigée dans sa Traduction de l’Imitation. Heureuses, dit-il, les oreilles qui sont bouchées aux tumultes du monde pour recevoir le son presque imperceptible de ce divin langage[4]. Si on pouvoit voir les sons, l’expression seroit bonne.


Phrases rudes.

Exemple. Le pain dont nous nous nourrissons, c’est une inhumanité, &c. de peur que nous ne nous nourrissions, &c. ces sortes de Phrases sont à éviter, parce qu’elles sont rudes à prononcer. J’aimerois mieux dire, le pain que nous mangeons, ou bien, le pain qui nous sert de nourriture, c’est une cruauté, &c.


Phrases barbares.

Exemple. On ne doute point qu’aprés la Sainte-Ecriture, il n’a paru jusqu’ici aucun ouvrage dont la lecture soit si salutaire à une ame qui a dessein de se donner toute entiere à Dieu, dit un certain Traducteur de l’Imitation. Cet il n’a paru, est une faute en cet endroit, parce que le verbe douter, veut toûjours le subjonctif, comme : je ne doute point que cela ne soit : on ne doute point qu’il ne soit parti. Mais est-ce que pour corriger cet exemple, il faut dire : on ne doute point qu’aprés la Sainte-Ecriture il n’ait paru jusqu’ici aucun ouvrage ; non sans doute ce seroit tres-mal parler, parce que la particule ne qui vient aprés le verbe douter se prend toûjours dans un sens affirmatif ; comme : je ne doute point qu’il ne l’ait dit, ce qui est la même chose que, je suis seur qu’il l’a dit. Or on ne peut pas tourner de la même maniere l’exemple dont il s’agit, en disant, on est seur qu’aprés la Sainte-Ecriture, il a paru, &c. Ainsi de quelque côté qu’on le regarde, il est deffectueux. Pour le corriger, il faut changer la Phrase en sorte que cette particule ne devienne affirmative ; & pour cela, il n’y a qu’à mettre : l’on ne doute point qu’aprés la Sainte-Ecriture, cet ouvrage ne soit un des plus utiles & des plus salutaires à une ame qui a dessein de se donner à Dieu.

Un amour éclairé, dit un autre Traducteur de l’Imitation, considere plus l’affection que la valeur du present[5]. Je dis que cette Phrase est impropre, parce qu’on ne dit point l’affection d’un present, pour dire l’affection avec laquelle un present est fait. Le Pere Bouhours devoit avoir corrigé cet Exemple, en mettant : un amour éclairé considere plus l’affection qui fait faire le present, que la valeur même du present, ou bien, l’affection qui accompagne le present que la valeur du present ; ou encore : considere moins la valeur du present, que l’affection qui le fait faire. Il y avoit mille autres tours à prendre.


Phrases obscures et embarrassées.

En voicy des Exemples d’un Auteur, que le Pere Bouhours cite dans la Suite de ses Remarques nouvelles, comme un modele sur la Langue.

« Si le mot que cette nouvelle maniere de parler détourne de son vray sens, n’y étoit pas si necessaire & si frequent dans le langage qu’il y est, elle pourroit durer ; mais donnant, comme elle fait, occasion à tout moment à des équivoques dans le nouveau sens, où l’on s’en sert : il est seur que quand la fureur de la mode souveraine pour un tems en toutes choses sera passée, la necessité que l’ancien sens de ce mot en a, & la suite de l’équivoque qu’il fait quand on l’employe au lieu de grand, le feront rentrer dans ses premieres bornes[6]. »

C’est du mot de gros dont il s’agit ; si ce n’est pas là du galimatias, il n’y en a point au monde.

Autre Exemple.

« Vous jugerez si l’Auteur que vous m’avez envoyé des Réflexions sur l’usage present de la Langue Françoise, n’est point de ce nombre[7] » ; quelle Phrase ! l’Auteur que vous m’avez envoyé des Réflexions.

Autre Exemple.

« On met le Critique dans une espece de necessité de se défendre à son tour, qui au lieu de pardonner quelque chose au chagrin naturel, à tout Auteur d’être critiqué, oublie qu’il est le premier aggresseur[8]. » Cela n’est point net, & ce pronom qui est trop éloigné du mot auquel il se rapporte, il falloit prendre un autre tour & dire : le Critique se trouve dans une espece de necessité de se défendre à son tour, & au lieu de pardonner quelque chose, &c. il oublie, &c.

Autre Exemple.

« Ciceron a trouvé que Demosthene, & Horace qu’Homere même sommeilloient de tems en tems. » Ne semble-t-il pas que cela veüille dire que Ciceron a trouvé qu’Horace sommeilloit ? & cependant le sens est, que c’est Horace qui a trouvé ce défaut dans Homere.

Autre Exemple.

Ce genre d’écrire ne devroit être permis que contre des Auteurs qui meritent châtiment, tels sont les Livres qui offensent la Religion & l’Estat[9].

Cela n’est pas net, il parle des Auteurs ; & puis il dit, tels sont les Livres, il falloit : ce genre d’écrire ne devroit être permis que contre des Auteurs qui meritent châtiment, comme sont ceux, ou bien tels que ceux qui offensent la Religion ou l’Estat, cela eust été plus clair.

Autre Exemple.

Il n’est pas permis de nommer les Auteurs, quand ils ne se nomment pas, quelques connus qu’ils puissent être d’ailleurs, comme a fait un celebre Grammairien de nôtre tems[10].

Que signifie cela ? & qu’a donc fait ce Grammairien ? est-ce qu’il s’est nommé ou qu’il ne s’est pas nommé dans son Livre, ou bien qu’il a nommé, ou qu’il a évité de nommer ceux qui n’ont pas mis leurs noms à leurs Livres ? voila quatre sens differents, dont on ne sçait lequel est le veritable ; & si l’Auteur ne s’expliquoit une page plus bas, il seroit impossible de sçavoir ce qu’il a voulu dire.

Autre Exemple.

Vous voyez par là que nôtre Critique[11] n’a pas raison de dire que M. de Vaugelas sçavoit beaucoup mieux le François que le Latin, qu’il n’en devoit rien au celebre Grammairien, dont j’ay parlé, & que ce Critique releve si fort au-dessus de luy.

Cela n’est point net, il semble que ces mots qu’il n’en devoit rien, se rapportent à il n’a pas raison de dire, comme s’il y avoit, il n’a pas raison de dire, qu’il n’en devoit rien, & cependant ils se rapportent à vous voyez ; ce qui est une équivoque des plus vitieuses, il n’y avoit qu’à mettre : vous voyez par là que M. de Vaugelas ne sçavoit pas moins le Latin que le François, qu’il n’en devoit rien à ce celebre Grammairien, &c.


Autres phrases obscures.

Les Exemples suivans sont tirez du même Livre que ceux que nous venons de rapporter : Exemple, il s’agissoit en cette occasion de traduire Quintilien, & non pas de détourner son sentiment pour le faire rencontrer avec M. de Vaugelas[12].

A quoy se rapporte ce pronom le ? Si c’est à Quintilien, il est équivoque à cause du mot de sentiment qui est devant, ainsi il falloit mettre : & non pas de détourner son sentiment, pour faire rencontrer cet Auteur avec M. de Vaugelas.

S’il se rapporte à sentiment, c’est encore une faute contre la netteté, d’avoir mis pour le faire rencontrer avec M. de Vaugelas ; car on ne dira point : vôtre sentiment s’accorde avec moy, mais s’accorde avec le mien.

Autre Exemple.

Il ne cite jamais qu’en approuvant des Auteurs, que tout le monde doit éviter[13] ; suivant les principes que j’ay posez, ce mot d’Auteurs ne semble-t-il pas être le cas du verbe approuver ? en approuvant des Auteurs, & cependant nôtre Ecrivain veut dire : il ne cite jamais que des Auteurs ; il falloit donc mettre : il ne cite jamais qu’avec éloge des Auteurs que tout le monde doit éviter, ou mieux, dont tout le monde doit éviter la lecture. Je diray en passant, que je n’ay pourtant cité que des Livres reconnus pour bons, & qui sont entre les mains du Public, avec autant d’estime que d’édification. Je vois bien que si j’eusse cité quelques Romans ou quelques autres Livres de galanterie, mon Censeur m’auroit fait plus de grace.

Autre Exemple.

Il y a quatre especes de flatterie[14] : les deux plus vitieuses sont celles qui pechent contre la verité, en loüant ceux qui ne sont pas loüables, soit que la chose dont on les louë ne soit pas veritable, ou si elle est veritable, qu’elle ne soit pas digne de loüange.

Cela n’est point clair, car il n’y a là qu’une espece de flatterie, il a voulu dire : il y a quatre especes de flatterie, les plus vitieuses sont celles qui pechent contre la verité : la premiere, en loüant les autres sur des choses qui ne sont pas veritables ; & la seconde, en les loüant sur des choses veritables, mais qui ne sont pas dignes de loüanges.

Autre Exemple.

« Il y a deux autres especes de flatterie qui ne sont pas moins à blâmer[15] ; c’est lors qu’on louë d’une chose veritable & vrayement digne de loüange, mais pour une mauvaise fin : comme pour corrompre ceux qu’on louë, ou pour mépriser d’autres gens qu’on ne louë pas de même, quoy qu’on ait la même occasion de les loüer. »

Cela n’est pas clair non plus, car il n’y a encore là qu’une espece de flatterie ; il falloit dire, il y a deux autres especes de flatterie qui ne sont pas moins à blâmer : la premiere, c’est lors qu’on louë d’une chose veritable & vrayement digne de loüange, pour corrompre ceux qu’on louë ; la seconde, lors qu’on le fait pour mépriser d’autres gens qu’on ne louë pas de même, quoi qu’on ait la même occasion de le faire.

Autre Exemple.

Comment ose t-il avancer à la veuë de toute la France, que c’est une audace blâmable dans un Ecrivain de cette qualité, que d’écrire à un jeune Prince sur les vertus les plus convenables à sa condition[16] ? Y a-t-il quelque Loy qui deffende à ceux qui ne sont pas chargez de leur éducation, de leur dire de bonnes choses, de traiter avec eux des matieres de morale qui les regardent.

Il s’agit d’un Prince, & l’Auteur dit, ceux qui sont chargez de leur éducation, traiter avec eux des matieres de morale, leur dire de bonnes choses. Cela s’accorde tout à fait.


Suite de la même Remarque.
Phrases obscures.

Voicy des Exemples où la diction n’est pas moins obscure ni moins embarrassée que dans les precedens : ils sont toûjours du même Ecrivain, c’est à dire de cette plume, que l’Auteur des Remarques nouvelles cite dans son Livre, comme un modele de politesse.

Exemple. Les ridicules subtilitez qu’il alleguoit[17], pour soûtenir sa grossiereté, meritoient-elles d’y répondre si regulierement ? Il falloit : meritoient-elles qu’on y répondît si regulierement, ou bien d’être refutées si regulierement ? autrement c’est, comme si l’on disoit, les menteurs meritent-t-ils de se fier à eux, pour, qu’on se fie à eux ; une plainte ridicule merite-t-elle de s’en fâcher, pour, qu’on s’en fâche ; les honnestes gens meritent de les croire, pour, qu’on les croye.

Il y a dans cet Exemple une autre faute qu’il est bon de remarquer : les ridicules subtilitez qu’il alleguoit, pour dire : la subtilité ridicule des raisons qu’il alleguoit ; car alleguer des subtilitez & alleguer des raisons subtiles, sont deux choses bien differentes.

Autre Exemple.

C’est un usage inoüy[18] que je sçache jusqu’icy, que j’ay fait une fois de la ponctuation. Quel embarras de termes !

Autre Exemple.

Quelques mauvaises que soient ces autres choses[19], il faudroit qu’elles le fussent étrangement, pour n’avoir pas toûjours un merite en France, quand elles sont nouvelles ; & ce merite joint à celuy que les Lecteurs de mauvais goût y trouvent, quelques méchantes qu’elles puissent être, suivant cette réflexion de Ciceron : Tanta fæx est in urbe ut nihil sit tam invenustum quod non alicui venustum esse videatur. Ces deux merites joints ensemble, donnent souvent assez de vogue à de fort chetifs ouvrages. Qu’est-ce que tout cela qu’un long galimatias ?

Autre Exemple.

C’est vouloir étendre bien loin le sentiment de Saint Augustin, que tout ce qui est purement humain est vitieux, que de pretendre qu’on s’y conforme dans les manieres de parler, même les plus communes, & qu’on ne doive pas dire : humainement parlant.

Ces mots sont équivoques : que de pretendre qu’on s’y conforme : On ne sçait en les lisant si le sens est, que nous nous y conformons ou que nous devons nous y conformer. Ce qui fait cette obscurité, c’est que ce verbe conformer, n’a pas au subjonctif une terminaison differente de celle qu’il a à l’indicatif, au lieu que la plûpart des autres verbes ont des sons differens, qui distinguent ces deux modes. Car, par exemple, je fais a je fasse au subjonctif, je dis a je dise, &c. en sorte que la difference de ces terminaisons ôte l’équivoque ; car lorsque je dis par exemple, on pretend qu’on fasse, je donne autre chose à entendre que si je disois, on pretend qu’on fait, au lieu qu’icy pretendre qu’on s’y conforme, n’a rien qui fasse connoître que le verbe soit au subjonctif : que faut-il donc faire quand on a à se servir de ces sortes de verbes, il n’y a qu’à en ajoûter un autre auparavant pour déterminer le sens de celuy qui suit, comme : doive, faille, &c. L’Auteur devoit dire, par exemple, qu’on doive s’y conformer, ou bien qu’il faille s’y conformer, & non pas : qu’on s’y conforme.


Personne de quel genre.

Exemple. Cette personne que vous m’avez fait si petit, si petite. L’Ecrivain poli dont nous venons de rapporter toutes ces Phrases obscures, pretend qu’il est mieux de dire, en parlant d’un homme : cette personne que vous m’avez fait si petite, que non pas avec M. de Voiture : cette personne que vous m’avez fait si petit ; & la raison, c’est, dit-il, que le pronom cette détermine le mot de personne au genre masculin, mais M. de Voiture l’entendoit mieux que nôtre Censeur. Le mot de petit au masculin, fait d’abord connoître qu’il s’agit d’un homme & non d’une femme, au lieu qu’au feminin il ne détermine à rien, & l’on ne sçait si ce feminin est mis à cause du mot de personne, ou si c’est qu’il s’agisse d’une femme ; il est vray que nôtre Censeur ajoûte pour sa raison, qu’il faut selon la Grammaire, que l’adjectif s’accorde avec le pronom comme avec le substantif ; mais il ne sçait pas apparemment qu’il y a bien de la difference entre parler poliment, & parler selon le College[20].

Quand le mot de personne est pris indéterminement, il ne faut pas le faire masculin, & c’est une negligence qui a échapé à l’examen du Pere Bouhours dans cette Traduction de l’Imitation[21], qu’il appelle la meilleure de toutes : quand une personne s’humilie pour ses défauts, alors il appaise facilement les autres. Il falloit : alors elle appaise facilement les autres.


Perspicacité.

Si ce mot n’a pas d’autre recommandation que celle de capax, d’où l’on a fait capacité, & de deux ou trois autres encore, que l’Auteur des Remarques nouvelles rapporte comme de grands suffrages ; je ne crois pas qu’il soit si-tôt reçû ; autrement il faudroit approuver procacité de procax, fallacité de fallax, mendacité de mendax, contumacité de contumax, mordacité de mordax, &c. Il est vray que le Pere Bouhours cite là-dessus une ou deux authoritez ; mais il ne s’ensuit pas que, parce que des Auteurs auront hazardé un mot, ce mot doive être regardé comme bon.


Perturbateur.

L’Auteur des Remarques nouvelles critique cette Phrase du Nouveau Testament[22] : Vous m’avez presenté cet homme comme un Perturbateur du peuple. La raison qu’il en apporte est singuliere ; c’est, dit-il, que ce mot de perturbateur ne se met qu’avec ce qui peut être troublé ; c’est donc à dire qu’il ne croit pas que le peuple puisse jamais être troublé. Voilà une Critique bien fondée.


Pour lors.

J’ay veu des personnes polies & éclairées qui condamnoient ce mot, & qui pretendoient qu’il falloit dire alors, au lieu de pour lors ; mais il y a en cela plus de dêgoût que de delicatesse : & je ne crois pas qu’il y ait rien à reprendre en cet exemple de M. de Vaugelas ; ils luy dirent qu’il reposoit, & que pour lors il n’y avoit pas moyen de parler à luy[23].

On pourroit peut-être faire voir quelque difference entre alors & pour lors, en disant que alors est plus general & plus vague, & que pour lors marque un tems plus précis.


Pour que.

Un de mes Critiques trouve que j’ay tort d’avoir approuvé ce mot, & un autre soûtient que j’ay raison ; cela fait voir comme nos Censeurs s’accordent. Celuy qui soûtient que j’ay raison, est l’Auteur des Remarques nouvelles, lequel fait dans son second Volume la même observation que j’ay faite sur ce mot dans mes premieres Réflexions. Ce qui m’obligeroit à préferer le sentiment de ce dernier, quand je ne sçaurois pas que pour que est aujourd’huy tres en usage. C’est que j’avois repris cet Auteur d’avoir condamné ce terme, & que maintenant il avouë qu’il s’est trompé, il s’en sert même en plusieurs endroits de son Livre ; la Cour de Savoye, dit-il, est assez polie, pour que son témoignage soit ici receu.


Prest à mourir, prest de mourir.

L’Auteur des Remarques nouvelles dit que prest à mourir signifie qui est preparé, qui est disposé à mourir, & il a raison : il ajoûte que prest de mourir signifie seulement qui est sur le point de mourir, & il se trompe.

Prest à mourir & prest de mourir signifient tous deux, qui est disposé à mourir ; & s’il y a quelque difference, elle n’est que pour le tems, comme nous le verrons à la fin de cette Remarque ; ce qui a trompé nôtre Auteur, c’est qu’il a confondu prest avec pres, qui sont pourtant bien differents : l’un est un adjectif, & l’autre est une préposition : un homme sur le point de mourir est prés de mourir, c’est à dire prés de la mort ; & un homme qui est disposé à mourir, est prest à mourir, ou prest de mourir ; & si l’on trouve quelquefois prest au lieu de prés dans des Livres bien écrits, c’est une faute dont la negligence des Correcteurs est l’unique cause. Je diray, par exemple : Abraham avoit déja la main levée, & comme Isaac étoit prés de recevoir le coup, un Ange vint, &c.

Les libertins ont beau faire les esprits forts, ils tremblent plus que les autres quand ils sont prés de mourir, & non prests. Je me suis veu bien prés de mourir, il s’est veu bien prés du danger, bien prés d’être tué.

Suivant cette distinction, ce que dit un de nos Historiens en parlant de Charles le bel, ne me semble pas bien correct, que quand Charles le bel se sentit prest de mourir, il fit appeller les grands Seigneurs qui étoient à la Cour. Je crois qu’il devoit dire : se sentit prés de mourir.

Le même Historien fait dire à la mere de Saint Loüis, j’aime le Roy mon fils ; mais si je le sentois prest à mourir, & que pour luy sauver la vie je n’eusse qu’à luy permettre d’offenser Dieu, je laisserois mourir mon fils. Il falloit, mais si je le sentois prés de mourir, & non pas prest de mourir, comme le corrige neanmoins l’Auteur des Remarques nouvelles, car prest signifie preparé, disposé. J’ay dit que prest de & prest à, marquoient quelque difference pour le tems ; voyons en quoy elle consiste.


Prest de, Prest à.

Prest de marque qu’on est disposé de faire la chose sur le moment ; il étoit prest de partir quand je luy apportay une lettre, qui l’obligea à remettre son voyage. Si vous voulez lui parler, il ne faut point perdre de tems, car il est prest de partir. Il étoit prest de se tuer quand on luy arracha le coûteau des mains.

Prest à marque un tems indéterminé, il est prest à signer quand on voudra, il est prest à vous rendre vos papiers, il est prest à vous rendre service.


Precaire.

Un certain Auteur refuse de reconnoître ce mot, qui est pourtant un terme de Jurisprudence[24]. On diroit même de la maniere qu’il en a parlé, que ce soit un mot particulier à l’Auteur de l’Histoire de Charles IX. que j’ay cité, un terme qu’il ait fait, & dont personne ne se soit servi avant luy. Il ne sçait pas apparemment que ce mot se dit d’un fonds dont on n’a pas la pleine proprieté, dont on ne peut disposer, & que dans les constitutions de rente, on met la clause de constitut précaire ; qu’un doüaire, un usufruit ne se possede que par précaire.


Preuve, marque.

On me reprend d’avoir dit qu’une grande preuve qu’il faut dire Arsenal, c’est qu’on dit arsenaux au plurier : il falloit, à ce qu’on pretend, me servir du mot de marque & non de preuve. C’est pourtant la même chose pour quiconque entend le François. Ce n’est pas qu’à la rigueur il n’y ait quelque difference entre ces deux mots ; mais l’usage les confond, & l’on s’en sert indifferemment en mille occasions, comme : Dieu nous donne tous les jours des preuves de son amour, c’est un homme qui a donné mille preuves de son courage, je ne puis douter de son amitié, il m’en a donné trop de preuves, trop de marques ; l’un & l’autre est bon en ces Exemples.


Poursuivre une proposition.

Exemple. Les Pedans sont des gens qui ne respirent que la chicane & la dispute, gens qui vous poursuivent une proposition jusques sur les dernieres bornes de la Logique, &c. Quelle expression, s’écrie un de mes Censeurs ? poursuivre une proposition, & poursuivre sur des bornes ? ce Critique ne void pas que c’est une maniere de parler metaphorique, choisie tout exprés pour mieux exprimer le ridicule des Pedans. Poursuivre sur des bornes, dit-il, quelle expression ? J’avouë que poursuivre sur des bornes ne se dit pas, mais ce n’est pas aussi la Phrase dont je me suis servi, j’ay dit poursuivre jusques sur les bornes, & non pas poursuivre sur les bornes, ce qui est tout different : car on dira fort bien, par exemple, la Victoire balança long-tems ; mais ce Roy fut enfin repoussé, & on le poursuivit jusques sur les bornes de son Empire ; sur les bornes ne se rapporte pas là à poursuivre, mais à jusques. Voila qui fait voir la bonne foy ou l’habileté de nôtre Censeur.


De la prononciation
de quelques mots en er.

Le Critique, dont j’ay parlé dans les trois Remarques precedentes, dit que Jupiter ne sçauroit rimer avec fer, c’est à dire qu’il s’imagine qu’il faut prononcer Jupiter, comme l’on prononce parler, chanter, ce qui seroit une plaisante prononciation. Il ajoûte que dans tiers l’E se prononce autrement que dans hier, dans cher autrement que dans leger. Il croit apparemment qu’il faut prononcer legé sans faire sonner l’R, & c’est la prononciation des Lyonnois, des Picards, & de quelques autres Provinciaux, je ne sçay si ce n’est point aussi celle des Savoyards.


De l’E dans Manége, Fleche, &c[25].

Croire, & sur tout soûtenir, comme fait mon Censeur, qu’il ne faut pas prononcer manege, fleche, these, regne, cedre, Grece par un E fermé, comme s’il falloit prononcer à la maniere des Lyonnois, manaige, flaiche, thaise, raigne, c’est preparer à rire à tous ceux qui sçavent parler.


De l’A dans Oracle, Miracle, &c[26].

Trouver étrange que j’aye dit, que l’A se devoit prononcer bref dans tabernacle, miracle, oracle, & long dans collation, prédication, recréation ; c’est ce qui paroîtra extraordinaire à ceux qui ont quelque connoissance de la veritable prononciation.


De la premiere syllabe
d’Heureux & de quelques autres.

Dire que c’est une faute de prononcer hureux au lieu de heureux, quoi qu’on l’écrive de cette derniere façon ; c’est condamner la prononciation de toute la Cour, & faire voir une grande attache pour sa Province. Ce n’est pas moins se tromper, de croire qu’il faille prononcer Moïse, parce qu’on l’écrit de la sorte, & non Mouise ; oiseau, & non ouaiseau, quoy qu’on écrive oiseau.


Des deux dernieres syllabes
de Passion, action, &c.

C’est avoir bien de la déference pour le theatre que de s’imaginer, que parce que les Comediens prononcent passi-on, acti-on, réjou-ir, éblou-ir, il faille prononcer de même dans la Prose ; il n’y a que les Gascons, les Provençaux, & quelques autres Provinciaux qui prononcent de la sorte. Dans les Vers cette prononciation est la bonne, mais il n’en va pas de même dans la Prose, c’est à quoy nôtre Critique devoit avoir pris garde ; ce que je dis de passion, d’action, &c. je le dis d’ébloüir, de réjoüir, &c. je le dis d’Historien, de Grammairien, de Science, & de plusieurs autres semblables, excepté d’experience, qui & en Vers & en Prose se prononce en cinq syllabes, & que j’ay rapporté par mégarde dans mon premier Volume, avec les premiers dont je viens de parler.


De la Diphtongue oi.

Le même Critique dit qu’il faut prononcer la diphtongue oi pleinement, comme elle est écrite, mais il y a plus d’exception à cela qu’il ne pense : Dans la conversation, par exemple, on prononcera le Français, la Langue Française, & non le François ; le mot de froideur se prononce dans le figuré autrement que dans le propre, comme le remarque fort bien M. Richelet : on dira, par exemple, il luy a parlé avec beaucoup de fraideur, & dans le propre on prononcera froi. La froideur de l’eau.


Des E feminins[27].

Je ne sçay où nôtre Auteur trouvera que l’E des deux premieres syllabes de générosité & de général est feminin ; que dans espérance celuy du milieu est feminin aussi, & dans vérité le premier. Comme si l’on prononçoit, esprance, vrité. Mais où a-t-il appris en même tems, que si ces E sont feminins il faille les prononcer masculins ? comme si ce n’étoit pas la prononciation qui rend un E feminin, ou masculin ; ainsi pretendre, comme il fait, qu’il est feminin ; mais que cependant il faut le prononcer masculin, n’est-ce pas se contredire visiblement ?


Faite,
comment il se prononce.

La premiere syllabe de ce mot se prononce diversement selon les occasions[28], elle est longue quand ce mot est à la seconde personne du verbe faire, & elle est breve quand elle est au participe ; on dira, par exemple : la grace que vous me faites, en trainant sur la premiere syllabe ; & au participe, on dira la grace que vous m’avez faite, en passant promptement sur la premiere syllabe. Ce que je dis de faite se doit entendre de quelques autres verbes, comme dans ces deux exemples : les choses que vous dites à present, & les choses que vous me dîtes hier : dites se prononce diversement, il se prononce bref dans le premier exemple, & long dans le second.


Expressions prophanes.

J’appelle expressions prophanes des manieres de parler, qui ne sont pas du caractere de nôtre Religion, & qui quoy qu’employées dans un bon sens, ont quelque chose de payen ; & je dis qu’il faut éviter ces sortes d’expressions, qu’elles sont basses & plattes, parce qu’elles font voir qu’on cherche à s’élever, & qu’on voudroit bien dire de belles choses, si l’on pouvoit ; comme : Je louë tous les jours le destin de m’avoir procuré le bonheur de vous connoître.

Je ne sçay encore ce qu’il plaira au sort de faire de moy.

Depuis que je suis éloigné de vous, je ne fais que me plaindre de la rigueur de ma destinée.

C’est un des plus éloquens hommes que nous ayions, il parle comme les Dieux.

Toutes expressions fades & grossieres qu’un homme poli n’employe jamais. J’ay oublié de rapporter encore celle-cy d’un certain Auteur à un Abbé dans une Epître dedicatoire : Vous parlez quand il vous plaît le langage des Dieux en plus d’une Langue[29]. Ce langage des Dieux est une expression assez plaisante, sur tout en écrivant à un Ecclesiastique ; on peut mettre cela avec le compliment de celuy qui disoit à un Pape, qu’il avoit été éleu par la faveur des Dieux immortels.


Prophete Royal,
Roy Prophete.

David étant cité en qualité de Prophete & non pas de Roy ; il est plus naturel, me dit-on, de le désigner premierement par la qualité en laquelle il est cité, que par celle de Roy, qu’on n’ajoûte que pour le distinguer des autres Prophetes qui n’étoient pas Rois comme lui. Cette objection fait voir seulement que la raison est pour, Prophete Roy, mais non pas qu’il soit plus élegant de dire, Prophete Roy ; car en fait de Langue, la raison & l’usage ont leurs droits à part, l’usage l’emporte toûjours, & il faut raisonner des expressions de la Langue comme des modes : quand on auroit les meilleures raisons du monde, pour faire voir qu’il seroit plus naturel de s’habiller d’une façon que d’une autre, si la mode est de s’habiller de l’autre, qu’avancera-t-on ? on prouvera qu’on le devroit faire, mais non pas que ce soit la coûtume. Or en matiere de langage les remarques que l’on fait ne sont pas pour reformer l’usage, mais pour le montrer tel qu’il est ; ainsi quand j’ay dit que Roy Prophete étoit plus du bel usage que Prophete Roy, qu’avance-t-on en me voulant prouver qu’il seroit mieux que cela ne fût pas, puis qu’il s’agit précisement de ce qui est, & non de ce qui doit être ; Dans la Langue il faut suivre l’usage, & s’y accommoder quelque bizarre qu’il soit.

L’Auteur des Remarques nouvelles a peine à me passer Roy Prophete, & il dit en voulant décrier ce terme, que les Livres bien écrits où il se trouve ne sont pas venus à sa connoissance : il est pourtant dans cette Traduction de l’Imitation, qu’il cite avec tant d’éloges dans la suite de ses Remarques, & qui est, selon lui, un Livre bien écrit : Lorsque le Demon vous suggere d’agiter ces questions,… Répondez par ces paroles du Roy Prophete, vous êtes juste, Seigneur[30]. Le P. Bouhours ne dira pas que cet Ouvrage ne luy soit pas connu.

Ce qui fait aussi que plusieurs personnes préferent Roy Prophete, c’est que finissant par un E feminin la prononciation en a sans doute paru plus douce ; car ce qui détermine l’usage n’est presque rien quelquefois. Dans les derniers tems, par exemple, on disoit pour ce que au lieu de parce que : d’où est venu ce changement ? c’est que parce que a paru plus doux à prononcer ; car s’il falloit consulter la raison, il est certain qu’il faudroit dire pour ce que, puisque l’interrogation se fait par le mot pour. Cependant l’usage receu veut qu’en répondant on dise, parce que, & non, pour ce que ; & cela pour une petite delicatesse de prononciation qui n’est presque pas sensible ; Consule veritatem, dit Ciceron, reprehendet, refer ad aures, probabunt ; voluptati autem aurium morigerari debet oratio. Ce passage que j’ay déja cité dans mes premieres Réflexions, me paroît venir icy assez à propos pour être repeté.


Puis, ensuite.

Puis, pour ensuite, ou aprés, est un terme que certains pretieux & certaines precieuses condamnent ; mais que ceux qui sçavent la Langue employent sans scrupule, selon que l’occasion s’en presente : ce mot est même tres-souvent necessaire & d’un grand secours dans les récits, pour ne pas toûjours repeter aprés & ensuite, M. de Vaugelas s’en sert fort à propos dans ces Exemples.

Les Mages suivoient chantant des Hymnes à la façon du païs[31], ils étoient accompagnez de trois cens soixante-cinq jeunes garçons vêtus de robe de pourpre, aprés venoit un Char consacré à Jupiter, trainé par des chevaux blancs, six chariots avec des entailleures d’or & d’argent suivoient aprés, puis marchoit un corps de Cavallerie composé de douze Nations differentes, &c.

A cent pas de là venoit Sysigambis Mere de Darius[32], il y avoit ensuite quinze grands chariots où étoient les enfans du Roy, & ceux qui avoient soin de leur éducation, puis marchoient les Concubines jusqu’au nombre de trois cens soixante, en équipage de Reines.

Aprés venoient les Princesses les Femmes des Officiers de la Couronne & des plus grands Seigneurs de la Cour[33], puis les Lavandieres & les Valets d’Armée montez aussi sur des chariots.

Je laisse une infinité d’autres Exemples[34], qu’on peut trouver soi-même à l’ouverture du Livre d’où ceux-là sont tirez.

J’ajoûteray seulement que les Auteurs les plus nouveaux, se servent de ce terme aussi-bien que M. de Vaugelas. Il resolut à l’heure même de se consacrer à Dieu dans la retraite, puis se tournant vers son amy ; à quoy aspirons-nous, luy dit-il, par ces soins & ces peines que nous prenons au service du Prince[35].


Proprement.

La mode est venuë de mettre ce mot presque à tout : il danse proprement, il chante proprement, je l’ay veu joüer du luth, il en joüe proprement.

Mais il faut remarquer que proprement ainsi employé, ne signifie gueres autre chose que joliment. Et on ne dira pas d’une personne qui dansera ou qui chantera dans la derniere perfection, qu’elle danse ou qu’elle chante proprement.


  1. P. 232.
  2. Quint. Lib. 10. c. 1.
  3. P. 63.
  4. Liv. 3. chap. 1. art. 1.
  5. Liv. 3. chap. 6. art. 2.
  6. P. 174.
  7. P. 68.
  8. P. 60.
  9. P. 8.
  10. P. 28.
  11. P. 134.
  12. P. 141.
  13. P. 152.
  14. P. 151.
  15. P. 151.
  16. P. 184.
  17. P. 325.
  18. P. 307.
  19. P. 338.
  20. Quint. Inst. orat. Lib. 1. c. 6.
  21. Traduction de l’imit. Liv. 2. chap. 2.
  22. Suite des Remarques nouvelles sur la Lang.
  23. Vaug. Quint.
  24. P. 104.
  25. Prononciation.
  26. Prononciation.
  27. Prononciation.
  28. Prononciation de faite & de dite.
  29. Suite des Remarques nouvelles sur la Lang. Franç.
  30. Liv. 3. chap. I8. art. 1.
  31. Vaug. Quint.
  32. Vaug. Quint.
  33. Vaug. Quint.
  34. Vaug. Quint.
  35. Serm. du Pére Cheminais sur le choix des amis