Suite des Réflexions critiques sur l’usage présent de la langue française/O

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O

On pour Je.


Il y a des occasions où il est plus poli & plus modeste de se servir de on, en parlant de soi-même, que de se servir de je.

L’ouvrage qu’on donne au public, dit le Pere Bouhours, en parlant de son propre ouvrage, n’a rien de commun avec celuy qui a pour titre l’Art de penser[1] : Il est visible que cela est mieux, que de dire : l’ouvrage que je donne au Public.

Le même Auteur dit ailleurs ; l’exemple fera entendre ce qu’on veut dire[2], pour, ce que je veux dire. Il est certain que ces manieres de parler ont quelque chose de plus poli que de dire toûjours je, quoi qu’un de mes Censeurs me reproche, comme une grande faute, d’avoir dit dans la Preface de mon premier Volume, « Ce qu’on se propose dans ces Réflexions, est d’éclaircir les doutes que l’incertitude de nôtre Langue fait naître tous les jours. En revoyant cet ouvrage on s’est crû obligé ». Il pretend que je devois dire, Ce que je me propose dans ces Réflexions est, &c. en revoyant cet ouvrage je me suis crû obligé. Cela est assez digne de la politesse d’un homme, qui pour condamner un Livre qui luy déplaît, dit froidement que quelque peu de bruit que ce Livre fasse dans le monde, il n’en est pas moins bon à fournir des exemples, des sentimens & des manieres qu’il n’approuve pas. Mais il faut pardonner ce langage à un Auteur, qui avouë que s’il n’écrit pas poliment, ce n’est pas faute d’en avoir envie, & d’estimer ceux qui le font. Sur quoy je ne puis m’empêcher de luy adresser ces paroles d’un Ancien. Eum ego si te putem cupere esse, facilè intelligo esse non posse. Cic. orat. in Quint. Cæcil.

Il ajoûte que cette maniere de parler de soi-même, en se servant du terme de on, est une espece de pluriel équivalent au nous, dont se servent les Rois & les autres Puissances[3]. Froide raillerie, il faut commencer par apporter de bonnes raisons, & puis on peut, si l’on veut, se donner carriere.


On.

On ne se dit que des hommes & jamais de Dieu, c’est une Remarque dont plusieurs personnes ont besoin. On ne parle point de Dieu par on. C’est à quoy l’Auteur des Remarques nouvelles devoit bien avoir pris garde dans cette Traduction de l’Imitation dont il fait de si grands Eloges[4]. Au jour du Jugement, dit-il, on ne nous demandera pas ce que nous avons leu, mais ce que nous avons fait[5].

A quoy cet on se rapporte-t-il, qu’à Dieu ? Il falloit donc : Dieu ne nous demandera pas, & non pas, on ne nous demandera pas ; jamais un on, dit un judicieux Critique, ne fut souffert par rapport à Dieu dans un discours raisonnable.


Originel, d’origine.

Il y a des personnes qui aiment mieux dire, le peché d’Origine, que le peché Originel, c’est une delicatesse un peu poussée. J’avouëray cependant que dans un discours d’éloquence, le peché d’origine seroit peut-être meilleur que le peché Originel. Le Pere Cheminais se sert presque toûjours du premier.

On sçait assez quelle corruption le peché d’origine a laissé dans toutes les puissances de nôtre ame[6].

Le peché d’origine a produit dans l’homme deux effets également dangereux[7].

Il ne s’ensuit pas qu’on puisse dire, la grace d’origine, on dit toûjours la grace originelle, la Justice originelle.


Le onze.

On dit le onze mieux que l’onze, mais on dit l’onziéme plûtôt que le onziéme, nonobstant l’autorité d’un de nos meilleurs Ecrivains, qui dit : il prit avec luy Antoine & la onziéme Legion[8]. J’ay déja touché dans mes premieres Réflexions cette Remarque, qu’un de mes Critiques n’a pas entenduë, m’attribuant tout le contraire de ce que j’ay dit.


  1. Maniere de bien penser dans les ouvrages d’esprit.
  2. Suite des Remarq. nouvel. sur la Langue Franç.
  3. P. 223.
  4. Suite des Remarques nouvelles.
  5. Liv. 1. chap. 3 art. 5.
  6. Sermon sur la Vig. Chrest.
  7. Serm. sur la parf. obs. de la Loi de Dieu.
  8. Dablanc. Traduct. des Comment. de Cesar.