Suite des Réflexions critiques sur l’usage présent de la langue française/S

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S

Sans que, n’estoit que.


Sans que je n’ay pas intention de fâcher personne, dit un Auteur nouveau, je pourrois vous répondre que je ne trouve rien en eux qui fasse envie. Cette maniere de parler est bonne, on peut se servir aussi de n’étoit que : n’étoit que j’ay un peu affaire, j’irois avec vous. M. de Vaugelas se sert quelquefois de n’étoit que.

N’étoit que nous sommes tous compagnons de misere, il y a long-tems que nous serions tous insupportables les uns aux autres.


Sçavoir.

Exemple. J’ay appris plusieurs nouvelles, mais entr’autres on m’en a dit une qui m’étonne : sçavoir que, &c. Il y a des personnes polies qui veulent bannir ce mot du haut stile, mais je ne sçay si ce n’est point être trop delicat ; on le trouve en plusieurs endroits de l’Oraison Funebre du Prince de Condé, par le Pere Bourdaloüe, & le Pere Cheminais s’en sert tres-souvent dans ses Sermons.

C’est de cette verité importante que j’entreprends de vous entretenir aujourd’huy ; sçavoir, qu’il n’est rien de plus digne des soins d’un Chrêtien, que de s’appliquer à regler les commerces qu’il a dans le monde[1].

Si le mondain étoit vivement persuadé d’un principe qu’il ne peut nier : sçavoir, que le genre & l’heure de la mort sont incertains ; cela remedieroit à ses erreurs[2].

Je suppose un principe qui vous est connu : sçavoir, qu’on ne peut se promettre prudemment d’observer assez la Loy, pour éviter le peché mortel[3].

J’avouë cependant qu’on ne le trouve jamais dans les Oraisons Funebres de M. Fléchier.

Avant que de finir cette Remarque, je ne puis m’empêcher de dire : que je ne comprends pas comment M. Richelet a pû mettre dans son Dictionaire, que sçavoir étoit une sorte d’adverbe qu’on rendoit en Latin par an ; aprés quoi il cite cet Exemple, ils examinerent plusieurs questions ; sçavoir, si les Jesuites, &c. car ce n’est point sçavoir qui se rend par an dans cet Exemple, c’est le si qui le suit, sçavoir si.


Sembler, ressembler.

Lorsque sembler signifie être semblable, qui est le sens où nous le prenons ici, on doit dire : sembler quelqu’un, & non, à quelqu’un. Ressembler a un autre regime, il veut toûjours aprés soy la particule à.

On dira : il étoit magnifiquement vêtu, & il sembloit un Roy ; à un Roy, seroit une faute. Qui semblez-vous, que semble cela, dit-on quelquefois. On ne dit pas ; à quoy ni à qui ; mais en se servant de ressembler, on dira dans l’occasion, à qui ressemble-t-il ? à quoy ressemble cela ? & non, qui ressemble-t-il, que ressemble cela. Je dis dans l’occasion, car ressembler n’a pas le même sens que sembler : & c’est ce qu’il est bon d’examiner ici.

Sembler va proprement à cette ressemblance parfaite qui fait prendre l’un pour l’autre, & qui est cause qu’on se trompe, comme : il sembloit un Roy ; il sembloit un grand Seigneur ; car que veut-t-on dire par là, sinon : qu’on s’y seroit trompé, & qu’on l’auroit pris pour un Roy, qu’on l’auroit pris pour un grand Seigneur.

Ressembler n’en dit pas tant, il marque seulement une conformité qui n’empêche pas de distinguer l’un d’avec l’autre ; & la signification n’en est pas même si generale, & si étenduë ; car il ressemble à un grand Seigneur, ne veut dire autre chose, sinon : qu’il a de l’air de quelque grand Seigneur en particulier : mais par cette conformité d’air & de visage, que le mot de ressembler fait imaginer ici, on ne doit point entendre une ressemblance qui engage dans l’erreur, & qui fasse qu’on se trompe en prenant l’un pour l’autre : on ne peut point dire, par exemple, qu’un homme qui ressemble à un autre, le semble : pour cela il faudroit, afin qu’on le pût dire, qu’il semblât être effectivement celuy à qui il ressemble.

Selon ce principe, il y a une grande difference entre dire : il sembloit Cesar, & il ressembloit à Cesar. Le premier fait entendre qu’on le prenoit ou qu’on l’eût pris pour Cesar ; & le second, qu’il avoit seulement de l’air ou des traits de Cesar.

On peut encore observer, que ressembler ne se dit gueres que par rapport à ce qui paroît d’abord aux yeux ; au lieu que sembler se dit non seulement à cet égard, mais encore à l’égard de l’humeur, de la conduite, des manieres d’agir & du caractere de l’esprit ; comme : c’est un avare qui ne feroit pas la moindre dépense, il semble son pere. Cette fille aime le jeu, elle semble sa mere. Qui diroit : il ressemble à son pere, elle ressemble à sa mere, ne diroit pas ce qu’il voudroit dire.

J’ay observé que ressembler ne se disoit gueres qu’au sujet des choses qui paroissent d’abord aux yeux ; mais cela n’empêche pas que ces Exemples cy ne soient bons : tous les esprits ne se ressemblent pas : Les humeurs sont differentes, il y en a peu qui se ressemblent. J’avouë que l’esprit & l’humeur ne paroissent pas aux yeux comme les traits du visage : mais il faut considerer que ces manieres de parler, sont figurées, & qu’alors on se represente l’esprit comme une chose que les yeux voyent ; & c’est cette maniere d’envisager l’esprit, qui fait que l’on dit même le tour de l’esprit, comme l’on dit le tour du visage.


Scrupule, Scrupuleux.

Ces mots ne se prennent pas toûjours en mauvaise part, comme se l’est imaginé un certain Auteur ; & voicy un Exemple de M. de Vaugelas qui le fait voir évidemment.

Les Latins n’ont pas été si scrupuleux que nous en cela, non plus qu’en beaucoup d’autres choses, nous avons nôtre particule y qui nous sauve ces sortes de repetitions ; en quoy nôtre Langue a de l’avantage sur la Latine, car au lieu de dire : le conseil ayant été assemblé, & un tel ayant été appellé dans ce conseil, nous dirions : & un tel y ayant été appellé. Je ne comprends pas aprés cela comment l’envie de reprendre a pû faire croire à l’Auteur, dont je viens de parler, que le mot de scrupule se prenoit là en mauvaise part.

Au lieu de pretendre, dit-il, relever à cet égard nôtre Langue au-dessus du Latin ; on peut dire que M. de Vaugelas la rabaisse, puis qu’il traite de scrupule sa delicatesse : ne voila-t-il pas un beau raisonnement ? mais ce qu’il y a de plus plaisant, c’est que tout aise d’avoir si bien rencontré : il conclud que j’impose donc à M. de Vaugelas, quand je dis qu’il releve en cela nôtre Langue au-dessus de la Latine.


Se soûlever.

Se soûlever ne marque pas toûjours de la revolte, comme le croit l’Auteur des Remarques nouvelles ; il est vray qu’on ne dira pas que l’Espagne s’est soûlevée contre la France, en luy declarant la guerre : mais on dira fort bien, par exemple, que toutes les Nations de l’Europe se sont soûlevées contre un tel Royaume, parce que se soûlever ne se met pas moins pour conjurer que pour se revolter ; & quand on lit dans la Traduction du Nouveau Testament, qu’on verra se soûlever peuple contre peuple & Royaume contre Royaume, se soûlever se prend là pour, conjurer. Le sens de l’Ecriture étant, que tous les peuples s’armeront pour conjurer la perte les uns des autres.


Se saouler, s’ennuyer.

Exemple. Le plaisir qu’on sent à voir des Auteurs s’entre-déchirer, dit l’Auteur Favori du Pere Bouhours, ne soûtient pas long-tems les honnêtes gens dans cette lecture, & les autres s’en saoulent encore plûtôt que les Auteurs[4].

Il falloit dire : & les autres s’en lassent encore plûtôt que les Auteurs. S’en saoulent, est une expression peu polie, & assez digne d’un homme qui aime mieux dire se donner au diable, que de dire se tourmenter, se donner de la peine : falloit-il se donner au diable, dit-il, pour traduire ce passage de la sorte[5]. Un Ecrivain poli auroit dit : falloit-il beaucoup se tourmenter pour, &c.


Secourt.

L’Auteur dont je viens de parler, demande si secourt est un mot qui se dise[6] ; mais comment peut-on ignorer que le verbe secourir fait à la troisiéme personne, il secourt, comme : courir, recourir, parcourir, accourir, font : il court, il recourt, il accourt, il parcourt, comme : il parcourt la France. Le Sage recourt à Dieu dans ses besoins. Celui-là n’aime pas son prochain parfaitement qui ne le secourt pas dans le besoin[7]. Les avantages de la nature humaine ne sont pas suffisans, dit un bon Auteur, pour élever un homme à l’état de la grace, si le bras tout-puissant de Dieu ne le secourt[8].


Si tant est.

Il y a des personnes tres-habiles dans la Langue, qui trouvent que cette façon de parler est un peu passée : vous avez à faire à un Juge favorable, si tant est que vous puissiez nier ce que vous n’avez pas dû commettre[9]. Plusieurs Auteurs nouveaux ne laissent pas neanmoins de s’en servir quelquefois, & je crois qu’on la peut employer pourvû qu’on en use sobrement.


Sens faux.

On fait un faux sens en se servant de termes, qui signifient tout autre chose que ce qu’on leur fait signifier.

Le Censeur que le Pere Bouhours nous cite comme un modele sur la Langue, nous en fournira des Exemples.

Premier Exemple.

La reprehension est déja assez odieuse d’elle-même, quelque adroitement qu’on la prepare, sans la rendre encore de plus mauvais goût par les termes dont on l’assaisonne[10].

Le mot d’assaisonner ne convient pas là ; si je disois, par exemple, que la Critique à moins qu’on ne l’assaisonne choque toûjours ceux qu’elle attaque : je parlerois bien, parce que j’employerois alors le mot d’assaisonner dans son vray sens ; mais dire que la reprehension est déja assez odieuse sans la rendre encore de plus mauvais goût, par les termes dont on l’assaisonne, c’est donner à assaisonner un sens qu’il n’a pas, puis qu’on n’assaisonne les choses que pour les rendre de meilleur goût.

II. Exemple.

Rien n’est plus visible que son affectation de critiquer les Auteurs, qui ont été assez temeraires pour oser traiter les mêmes matieres que ces Messieurs, comme entr’autres le dernier Traducteur de l’Imitation de Jesus-christ[11].

Les Traducteurs ne traitent pas les matieres, ils ne font que tourner en une Langue ce qui est dans une autre.

III. Exemple.

Il étoit encore moins utile d’examiner un mot qu’Aristote a défini avec sa justesse ordinaire, pour n’en donner qu’une définition tres-imparfaite[12]. Il a voulu dire, plus inutile, ou moins necessaire ; car dans l’usage ordinaire, dire qu’il n’est pas utile de faire une chose, c’est dire qu’il est dangereux de la faire ; or je ne pense pas que ce soit là le sens de nôtre Auteur.

Simplicité.

Il en est du mot de simplicité ; comme du mot de Bon-homme ; il se prend tantôt en bonne part, & tantôt en mauvaise. En bonne, comme : la franchise & la simplicité sont d’une grande ame, les finesses & les détours sont d’un petit esprit. Jesus-christ a recommandé à ses Apôtres la prudence & la simplicité. En mauvaise, comme : il y a des gens qui s’offensent trop legerement, & qui par simplicité & faute de discernement, prennent feu mal à propos & se rendent ridicules. Traiter quelqu’un de mal-honneste-homme, parce qu’il ne sera pas de même avis que nous sur une piece d’éloquence, c’est bien moins une méchanceté ou un deffaut de vertu, qu’une foiblesse d’esprit & une simplicité.

Ce que je dis de simplicité se doit entendre aussi de simple, qui se prend de même que son substantif en bonne & en mauvaise part. En bonne, comme : il faut être simple & sans ruse. En mauvaise, comme : il faut être bien simple & bien bonhomme, pour s’imaginer faire accroire au Public, que ce soit blesser la charité Chrétienne & l’honnesteté civile, que de remarquer seulement dans un Auteur une faute de stile. J’ômets à dessein plusieurs autres Exemples.

Stile de Phrase.

Le stile de Phrase consiste à s’exprimer par des tours éloignez & qui ne sont point naturels, à se servir sans cesse de termes figurez, & à dire cent paroles où souvent il n’en faudroit qu’une. L’exemple fera mieux sentir le ridicule de ce deffaut, que tout ce qu’on en pourroit dire.

Exemple. « Bien que la verité soit commune à tous les hommes, que sa beauté ne fasse point de rivaux, que les aveugles la reverent aussi bien que les clairvoyans, & qu’elle dépende aussi peu du tems pour se faire connoître, que des sens pour se faire aimer ; bien qu’elle soit infuse dans l’esprit de tous les mortels, que la diversité des climats n’altere pas sa nature, qu’elle soit aussi constante dans Rome que dans Athenes, & que la coûtume qui détruit les Loix ne puisse abolir ses maximes ; neanmoins, &c. »

Voila veritablement du stile de Phrase : cette beauté de la verité qui ne fait point de rivaux : ces aveugles & ces clairvoyans qui la reverent : ces mortels dans l’esprit de qui elle est infuse : Rome & Athenes, tout cela fait un appareil magnifique, qui ébloüit les yeux d’un pauvre Auteur qui ne sçait pas écrire. Que de Prédicateurs auroient besoin d’avis sur ce Chapitre !


Subjonctif necessaire.

Exemple. Ne vous imaginez pas que tout va bien quand personne ne vous contredit[13] : cet Exemple est du Traducteur de l’Imitation si souvent cité par l’Auteur des Remarques nouvelles. Il falloit dire : ne vous imaginez pas que tout aille bien, & non que tout va bien ; car on ne dit point : ne vous imaginez pas que cela est, que je dis cela, mais : que cela soit, que je dise cela. Quand la proposition est affirmative on met l’indicatif, croyez que cela est : & quand elle est negative on met le subjonctif, ne croyez pas que cela soit.


Supléer à une chose,
Supléer une chose.

Il y a des occasions où l’on se sert du premier, & d’autres où l’on se sert du second. On dit, par exemple, supléer au défaut, supléer au besoin ; & non, supléer le défaut, supléer le besoin, & cependant l’on dit supléer ce qui manque, supléer un mot, supléer le sens.

C’est à quoy j’aspire uniquement, Seigneur, daignez supléer ce qui me manque pour cela[14], Ce que je croy mieux que si l’Auteur eut dit, daignez supléer à ce qui me manque pour cela.

La regle qu’on peut suivre en cecy, c’est que supléer ne veut point d’a aprés soy lorsqu’il signifie donner, mettre, accorder : comme, par exemple quand je dis supléer ce qui manque, c’est comme si je disois, donner ce qui me manque, au lieu qu’en ces Phrases cy supléer au défaut, supléer à la lettre, on ne peut pas faire un sens raisonnable en changeant le verbe supléer en celuy de donner, ou en quelque autre semblable, c’est pourquoy l’on ne peut pas dire, supléer le défaut, supléer la lettre.


Supposition.

Supposition se prend en plusieurs sens : le meilleur Systeme en fait de Physique, est celuy où il y a le moins de suppositions. Pour bien concevoir ce raisonnement, il faut premierement faire cette supposition, &c. mais il y a des occasions où ce mot se prend en mauvaise part ; ce sont des suppositions que tout cela, c’est à dire des choses fausses & inventées de mauvaise foy ; par exemple, c’est une supposition que le reproche que me fait un de mes Critiques, quand il dit que je reprends un Auteur d’avoir dit le Licée & le Portique, pour dire les Stoïciens & les Peripateticiens ; car il n’est nullement vray, que j’aye dit qu’il fallût dire les Stoïciens & les Peripateticiens, au lieu du Licée & du Portique : ces noms ne se trouvent pas même en toute ma Remarque.

C’est une supposition de dire, que je pretends que des mots soient à reprendre, lorsque tout le monde ne les entend pas ; puisque je pretends seulement que des mots, que tout le monde n’entend pas, sont à reprendre lors qu’on en fait parade, n’étant non plus permis de faire parade d’un terme de Science devant les habiles, que devant les ignorans.

C’est une supposition que de soûtenir, que j’aye dit que Ciceron & Cesar étoient infaillibles, & qu’il n’y a pas d’apparence qu’ils ayent fait des fautes.

J’ay dit seulement qu’il n’y avoit pas d’apparence, que tout exprés ils eussent fait des fautes ; ce qui est bien different.

C’est une supposition de m’attribuer d’avoir dit, que Prophete Roy étoit plus usité que Roy Prophete, puisque j’ay dit seulement qu’il l’étoit plus que Prophete Royal.

C’est une supposition de pretendre que j’aye condamné, à raison que, Barboter, depiqué : & que j’aye averti qu’on ne devoit pas dire plus bien au lieu de mieux, & mille autres choses de la sorte, ou que je n’ay point dites, ou que j’ay dites de toute une autre maniere que mon Censeur ne me les attribuë : comme, par exemple, ce qu’il me reproche sur amelette, sur Academie, sur visitation, sur viande dégoûtante, sur certaines équivoques dont j’ay rapporté des Exemples, pour en montrer le ridicule, & sur cent autres choses, qui font voir que cet Auteur ne croit pas sans doute, que la bonne foy soit l’ame de la Critique.


Supposer, s’imaginer.

On suppose, dit l’Auteur des Essays de Morale, qu’on aura quelque jour le tems de penser à la mort, & sur cette fausse assûrance, on prend toute sa vie le parti de n’y penser point. Un de nos Critiques reprend cet Exemple, & pretend qu’au lieu de on suppose, il falloit dire : on s’imagine, on se flatte. Le Critique s’est imaginé lui-même, il s’est flatté d’avoir bien rencontré ; mais je laisse au Lecteur à juger de ce qui en est.


Superbe, Orgueil.

Il se dit fort bien dans le stile de devotion, quoy qu’un de mes Censeurs pretende que ce n’est pas un mot dont on doive se servir ; c’est la Superbe qui a damné les mauvais Anges. Le Christianisme est ennemi de l’esprit de superbe, dit l’Auteur du Dictionaire Universel : mais ce qui est surprenant, c’est que nôtre Puriste ne se soit pas souvenu, qu’on disoit l’Ange de Superbe.


Sur peine, sous peine.

Ce n’est point pour examiner, s’il faut dire : sur peine de la vie, ou sous peine de la vie, que je fais cette Remarque, ce seroit rebattre ce que d’autres ont déja dit ; mais c’est pour faire observer que sur peine, se dit à l’égard d’un bien, & sous peine à l’égard d’un mal : on dit sur peine de la vie, mais on ne dit pas de même sur peine de la mort, il faut sous peine : ce que je dis de sur peine, je le dis de à peine : on dira à peine de la vie, & on ne dira pas neanmoins à peine de la mort, parce qu’à peine ne s’employe qu’à l’égard d’un bien dont on nous prive : à peine de cent écus d’amende, à peine de mille livres : on ne dira pas de même à peine de la prison, il faut sous peine de la prison.


Sous peine de mort,
Sous peine de la mort.

Il faut dire sous peine de mort ; & voici par quelle regle : quand la chose est déterminée on dit de la, mais quand elle ne l’est pas, on dit de, comme : sous peine de punition corporelle, sous peine d’amende, sous peine de mort, car il y a plusieurs genres de mort : on dit neanmoins sous peine de confiscation, mais c’est une exception ; quand la chose est déterminée, on dit du ou de la, selon le genre, sous peine du carcan, sous peine de la corde, &c. De ce principe il s’ensuit qu’on doit dire, sous peine de la damnation, & non de damnation ; & c’est aussi comme parle le Prédicateur, que j’ay déja cité plusieurs fois. Dieu a établi les Confesseurs comme les Tuteurs du bien public, en les faisant responsables sous peine de la damnation, du tort qui ne seroit pas reparé, à cause de leur mollesse & de leur indulgence criminelle[15].


Il suit de là,
Il s’ensuit de là.

Il s’ensuit est mieux : il s’ensuit de ce principe que, &c. d’où il s’ensuit, & non, il suit de , il suit de ce principe : il ne s’ensuit pas de là, dit le Pere Bouhours, que la Phrase de M. le Maître soit vitieuse[16]. Il est vrai que en paroît là superflu, mais il n’est pas plus necessaire dans ces autres façons de parler, qui sont cependant tres-bonnes, s’en aller d’un lieu, s’enfuïr d’un endroit, car en étant là proprement pour tenir la place d’un nom, il semble que puisque le nom y est, cette particule soit inutile. Je crois qu’on peut ajoûter que ensuivre, étant un vieux mot qui se disoit autrefois au lieu de suivre, il pourroit bien s’être conservé dans l’expression dont il s’agit ici ; en sorte que quand on dit, il s’ensuit de là que, &c. Il ne faut point regarder cette syllabe en comme un mot à part, mais comme une partie du mot suivre. Ensuivre quelqu’un de prés, disoit-on autrefois, ensuivre l’Antiquité, ensuivre une opinion.

L’Heritier va pleurant le mort,
Pour la vieille coûtume ensuivre,
Mais si le mort retournoit vivre,
L’Heritier pleureroit plus fort.


  1. Discours sur le chois des amis
  2. Sermon sur l’Incert. de la mort par le P. Cheminais.
  3. Serm. sur la parf. obs. de la Loi de Dieu
  4. P. 54.
  5. P. 101.
  6. P. 232.
  7. La maniere de bien vivre, &c.
  8. Guide des Pecheurs par M. Girard.
  9. Vaug. Quint.
  10. P. 163.
  11. P. 191.
  12. P. 265.
  13. Liv. 3. chap. 25. art. 2.
  14. Traduct. nouv. de l’Imitat. liv. 3. chap. 10. art. 4.
  15. Sermon sur la Restit.
  16. Suite des Remarq. nouvel. sur la Langue Franç.