Suite des Réflexions critiques sur l’usage présent de la langue française/D

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D

De.


Le Critique dont je viens de parler, ne trouve pas que le 6me. Aoust, le 7me Octobre, le 8me. Février, soient des manieres de parler correctes ; il faut, selon luy, ajoûter de, & dire le sixiéme d’Aoust, ce premier de Septembre, le 7me. de Février, le 4me. d’Octobre, il ne veut pas même qu’on abrege en mettant 6. de Nov. 5. de Jan. il faut mettre tout du long le 6. de Novembre, le 5. de Janvier. Voila une excellente remarque pour le stile ; En effet pourquoy retrancher ainsi les de. N’est-ce pas estropier le langage ? S’il y avoit songé, il auroit repris aussi le Pont Nôtre-Dame, la ruë saint Denis, la ruë saint Martin, &c. qui ne sont pas plus corrects que le 6me. Octobre & le 8me. Avril ; mais il faut esperer que ce Grammairien reformera tout cela, & qu’il fera voir au public qu’on doit dire le Pont de Nôtre-Dame, la ruë de saint Denis, le Fauxbourg de saint Germain, & la Foire de saint Laurens.


La Dame du logis.

Cela ne se doit point dire d’une Dame de qualité. Le Commandeur de… étoit proche parent de la Dame du Logis, dit un Auteur nouveau en parlant d’une Dame qualifiée, chez qui se tint une conversation entre des personnes du premier rang, qui s’y étoient renduës. Mais cet Auteur n’est pas à imiter en cela.


Démarche.

Le mot de démarche dans le figuré emporte d’ordinaire une idée de soûmission. Croyez-moy (diray-je à un ami que j’exhorterai d’écrire à son ennemi pour se reconcilier avec lui,) le bien de la paix & l’interest de vôtre conscience meritent bien que vous fassiez cette démarche. Ce mot dans le propre n’a point de plurier ; la plûpart des femmes & des jeunes gens ont la démarche affectée ; il ne faut rien avoir de contraint dans sa démarche. On connoît les Provinciaux à leur démarche, le bon air veut une démarche aisée.

Dans le figuré il se dit & au plurier & au singulier.

Au singulier. Comme : il s’est fort bien conduit, il n’a pas fait une fausse démarche. Vous avez fait là une démarche que je n’aurois pas voulu faire.

Au plurier. Comme, dans les reconciliations celuy qui fait les premieres démarches est le plus à loüer. Il y a de certaines démarches que c’est une bassesse de ne vouloir pas faire, comme il y en a que c’est une bassesse de faire.

Aprés toutes les démarches qu’il a faites, vous ne devriez pas luy refuser ce qu’il vous demande.


Des, des-la.

Il ne faut pas les confondre, l’exemple en fera connoître la difference.

Quand la tentation nous presente quelque objet fâcheux pour nous rallentir dans l’exercice des vertus, il faut alors faire face à l’ennemi ; La raison de cette défense est que nous sommes vaincus dés-la que nous cessons de combattre[1] ; dés que nous cessons de combattre, ne diroit pas la même chose, ou ne le diroit pas si bien. C’est que dés est plus propre pour marquer le temps, & dés-la pour marquer la cause, comme : lors qu’un homme se laisse aller à l’oisiveté, dés-la il est perdu ; c’est à dire, par cela même qu’il se laisse aller à l’oisiveté il est perdu.

Ce ne sont pas les richesses qui nous rendent heureux, l’on est malheureux dés-la qu’on croit l’être, c’est à dire par cela même qu’on croit être malheureux. Voila la difference qu’il y a entre dés & dés la ; elle paroîtra encore davantage par les exemples suivans.

On a toûjours honte d’avoüer qu’on a merité la mort, & ainsi il aimera mieux qu’on croye que vous lui avez fait tort, que non pas que vous luy ayiez fait grace, & dés-la vôtre vie est en compromis[2].

Ah ! Seigneur, s’écrioit Saint Augustin, qu’est-ce que l’homme quelque grand qu’il puisse être dés-la qu’il est homme[3].

Il est facile de sentir que qui mettroit en cet exemple, dés que pour dés-la ne feroit plus le même sens.

Dés-la qu’on est Chrêtien, on est persuadé que selon les principes de l’Evangile, il n’y a point de salut pour ceux qui refusent de pardonner à leurs ennemis[4]. C’est à dire en cela même qu’on est Chrêtien, en vertu de ce qu’on est Chrêtien.


Déterrer.

Ce mot est fort à la mode dans le figuré : si cet Ecrivain entendoit bien les interests de sa communauté, il auroit sçû bon gré à son Adversaire de n’avoir pas déterré cet endroit de la Censure[5].

Nous n’aurions peut-être jamais entendu parler de cette affaire sans le soin que vous avez pris de la déterrer[6].


Donner.
Je me suis donné une telle chose.

Cette façon de parler pour dire je me suis achetté une telle chose, est fort à la mode aujourd’huy.

Je me suis donné une Pendule, je me suis donné un Meuble ; je me suis donné un service d’argent, &c. mais il faut remarquer qu’elle s’employe plus au sujet du superflu que du necessaire, & que pour s’en servir à propos, il faut que la chose dont il s’agit, soit plus pour la commodité ou pour l’ornement, que pour la necessité. J’ay envie de me donner une garniture de cheminée, je me suis donné six beaux fauteüils, &c.


  1. Serm. du P. Cheminais sur la Vig. Chrest.
  2. Vaug. Quint.
  3. Serm. du P. Cheminais sur la Vig. Chrest.
  4. Le P. Chemin. Serm. sur le Pard. des Injures.
  5. Hist. des Cens. de Louvain.
  6. Sentiment des Jes. sur le peché Philos. premiere lettre.