Suite des Réflexions critiques sur l’usage présent de la langue française/E

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E

Echapper un danger,
Echapper d’un danger.


Monsieur de Vaugelas les confond (ce me semble) dans ses Remarques, mais ils sont neanmoins fort differens ; échaper un danger c’est l’éviter, & échaper d’un danger c’est s’en tirer aprés y être tombé. Je retranche les exemples, la chose est assez claire d’elle-même.


Edile, edil.

Il faut dire edile & non edil, quoy que l’Auteur des Remarques nouvelles pretende que tous les mots qui viennent du Latin ilis & dont la terminaison Latine est longue, font il en François au masculin, comme : gentilis fait gentil ; C’est une raison de College dont les gens du monde ne s’accommoderont pas ; & je ne crois point que pour faire valoir cette regle on s’avise jamais de dire avec nôtre Auteur, pueril, & servil ; au lieu de dire avec tous ceux qui parlent bien, puerile, servile ; le défaut du stile enflé, c’est de vouloir aller au de là du grand. Il en est tout au contraire du puerile, il y a je ne sçay quoy de ridicule & de puerile dans la maniere ordinaire de se venger. Nôtre Auteur veut qu’on dise je ne sçay quoy de ridicule & de pueril ; mais rien n’est si pueril, pour me servir de son terme, que de vouloir ainsi changer le langage pour établir une regle qu’on a faite.


Il s’en est fui,
Il s’est enfui.

Il s’en est fui marque à proprement parler une fuite de précaution, & il s’est enfui marque une fuite qui suppose qu’on est poursuivi. Il s’est enfui fait entendre qu’on n’a pas prévenu le danger qui a obligé de fuir, & il s’en est fui fait entendre qu’on l’a prévenu. Si les Soldats, par exemple, entrent dans le Camp ennemi, & que l’ennemi surpris prenne la fuite, je diray qu’il s’est enfui. Mais si l’ennemi prévoyant la surprise s’enfuit avant que l’on vienne, en sorte que les Soldats qui esperoient le surprendre dans son Camp ne l’y trouvent pas, je diray que l’ennemi s’en est fui, & c’est ainsi qu’en use M. de Vaugelas. Parmenion, dit-il, que le Roy avoit envoyé en diligence avec quelques troupes de Cavalerie pour empêcher l’embrasement, voyant que les Barbares s’en étoient fuis sur le bruit de sa venuë, entra dans la Ville qu’ils avoient sauvée[1].

Avec ce renfort il entra dans le païs des Dances peuple guerrier, dont Barzantes étoit Satrape : lequel apprehendant le supplice qu’il avoit merité, comme complice de Bessus, s’en étoit fui aux Indes[2].

Il vint de là à une contrée nommée Dedale, que les habitans avoient abandonnée, s’en étant fuis en des montagnes inaccessibles[3].

Aprés qu’on eut emporté le corps, le Roy commanda qu’on amenât aussi Amintas & Simas ; car Polemon leur plus jeune frere s’en étoit fui, lors qu’il sçût que Philotas étoit à la question[4].

D’un homme qui aura abandonné son parti & se sera refugié chez les ennemis, je diray de même qu’il s’en est fui du Camp, & non, qu’il s’est enfui, parce que sa fuite est volontaire & deliberée, & c’est aussi comme parle M. de Vaugelas dans son Quinte-curce : Un certain Bion s’en étant fui du Camp des ennemis, vint à toute bride avertir Alexandre que Darius avoit fait cacher sous terre des chausses-trapes de fer du côté qu’il croyoit que la Cavalerie ennemie devoit donner.


Epistre dedicatoire.

On voit des Epîtres dedicatoires au Pere Eternel, au saint Esprit, à la Trinité, à Nôtre-Seigneur, à la sainte Vierge, aux Saints ; & il y a des Auteurs qui y signent froidement, vôtre tres-humble & tres-obeïssant serviteur : Il ne resteroit plus qu’à mettre la datte du jour & de charger le Saint à qui on écrit, de faire nos complimens aux autres Saints de Paradis. Il y a un certain Livre qu’on appelle le Bouquet Sacré, où est à la teste une Epître à Nôtre-Seigneur & à la sainte Vierge, dont l’adresse est en ces termes : Au Roy des Rois, Jesus Eternel, Fils de Dieu, Createur des Cieux & des Elemens, Gouverneur de l’Univers, Redempteur du Genre humain, &c. Et à tres-Haute & tres-Puissante Princesse Marie, Epouse du Pere Eternel, Mere du Fils tout-Puissant, Imperatrice des Anges, Reine des Cieux, Avocate des Pecheurs & brise-teste du Serpent Infernal. Cette Epître est un peu ancienne, mais j’en pourrois raporter de plus nouvelles qui sont pour le moins aussi plaisantes. C’est une simplicité bien grossiere d’écrire ainsi des Lettres à Dieu & à ses Saints ; on a beau dire que c’est la pieté qui a introduit cet usage, il faut que la pieté soit raisonnable. On adresse des Prieres aux Saints ; mais pour leur écrire des Lettres, c’est une puerilité plûtôt qu’une devotion.


En la main, entre les mains.

L’Auteur des Remarques sur la Langue ne trouve pas que ce soit bien dit, il a le van en la main ; on ne tient pas, dit-il, un van comme un évantail, on l’a entre les mains, & non pas à la main. Mais nôtre Grammairien n’a pas pris garde que le sens de saint Jean-Baptiste, de qui sont ces paroles, n’est pas que Dieu vanne déja son bled ; mais seulement qu’il est prest à le vanner ; comme, il ne dit pas non plus qu’il nettoye déja son aire, mais qu’il la nettoyera. Or il me semble que quand on tient le van seulement pour s’en servir, & qu’on ne s’en sert pas encore, il est bien plus naturel de le tenir d’une main que des deux. Le voila qui a déja le van à la main & qui vient pour nettoyer son aire, disoit un Prédicateur qui entend parfaitement nôtre Langue : Qui ne sent que ce seroit une faute de dire, le voila qui a déja le van entre les mains & qui vient pour nettoyer son aire, puisque quand il n’y a point de grain dans un van, rien n’oblige à le tenir des deux mains comme si l’on vanoit. On void par là qu’il n’eut pas été désavantageux à nôtre Faiseur de Remarques d’être un peu plus Faiseur de Réflexions. Je ne dis rien de ce mot d’évantail dont il s’est servi, on ne tient pas un van comme un évantail ; il y avoit mille autres exemples qui pouvoient venir là aussi-bien que l’évantail, mais ce dernier luy a paru plus joli.


Ses Entrailles furent emües de compassion.

Cette expression qui est de l’Ecriture exprime parfaitement cet excez de tendresse dont Jesus-christ fut émû. Un de nos Grammairiens l’improuve neanmoins, & veut qu’on dise seulement Jesus-christ en eut pitié ; mais j’ay pitié moi-même de cette Critique. Le Grammairien n’en demeure pas là, & aprés avoir renvoyé au stile de Phrase l’expression dont nous venons de parler, il y ajoûte celle-ci, être ravi en admiration, & ne veut pas qu’on dise que quand Jesus-christ parloit, les peuples qui l’écoutoient étoient ravis en admiration, mais seulement l’admiroient ; & il n’y a authorité de l’Ecriture qui tienne, il ne veut pas qu’on dise non plus, tomber dans la condamnation, mais être condamné, ni être assujetti au trouble de ses passions, mais être passionné, qui signifie neanmoins toute autre chose.


Edifier, bastir.

Edifier peut se dire en ce sens dans le stile sublime, le plus seur neanmoins est de s’en abstenir, parce que ce terme semble être particulierement destiné pour ces expressions-ci. Edifier le prochain, édifier l’Eglise. Il y a une autre façon de parler, cependant où il se dit au lieu de bâtir, & c’est en celle-ci, ruïner au lieu d’édifier, en sorte que c’est sans sujet que l’Auteur du Livre des Doutes reprend M. de Balzac, d’avoir dit le Courtisan étourdi & interessé met toutes ses affaires en desordre, & ruïne au lieu d’édifier ; bâtir seroit une faute en cet endroit.


Entendu.

Qu’on dise un dessein bien entendu, une maison bien entenduë, cela paroît regulier ; mais qu’on dise un homme entendu, une femme entenduë, pour dire : qui entendent bien ce qu’ils font, c’est une bizarerie où l’usage fait bien voir son authorité, car c’est une expression élegante, & d’autant plus élegante qu’elle est plus irreguliere : elle revient à celles-ci qui ne sont pas moins usitées ; une chambre tenduë, des chemins semez de fleurs, un manteau parsemé de fleurs-de-lys.


Il s’encourt.

Monsieur de Vaugelas s’en sert. Sur cela, dit-il, s’étant separez, Nicomachus s’encourt à son frere nommé Cebalinus, luy découvrit tout ce qu’il venoit d’apprendre ; mais cette façon de parler n’est pas du bel usage, & je ne conseillerois à personne de s’en servir, pas même dans la conversation[5].


Envier, porter envie.

Nous estimons trop la vie, dit un certain Auteur, pour envier encore ceux qui n’en joüissent plus[6]. Cela n’est pas correct, on ne dit point envier quelqu’un, mais porter envie à quelqu’un ; on dit bien envier le bien d’autruy, envier une chose à quelqu’un, envier le bonheur de quelqu’un ; mais pour envier quelqu’un, on ne le dit pas. Si la fortune m’accompagne auprés de vous, dit M. de Voiture, je n’envieray pas à Alexandre toutes ses Conquestes ; nôtre Auteur devoit donc dire : nous estimons trop la vie pour porter encore envie à ceux qui n’en joüissent plus ; mais je m’apperçois que vie & envie font là un mauvais effet. Changeons donc la Phrase & disons, nous estimons trop la vie pour envier encore le bonheur de ceux qui n’en joüissent plus ; mais je trouve encore ici une faute : Il y a de l’équivoque en ces mots, le bonheur de ceux qui n’en joüissent plus ; comment donc faire, le voici, je crois : Nous estimons trop la vie pour être encore jaloux contre ceux qui n’en joüissent plus. Il n’y a plus là d’équivoque, ni de faute de construction.


Exercer une vengeance.

Exercer une colere, exercer une vengeance, ce sont des Phrases à quoy l’on ne prend pas assez garde. On dira bien exercer sa vengeance, exercer sa colere ; mais pour exercer une vengeance, exercer une colere ce n’est point parler correctement. Dieu exercera une vengeance severe contre ces faux Chrêtiens : Nous ne devons pas douter que Dieu n’exerce une plus rigoureuse colere contre ceux qui auront abusé de cette grace, que contre ceux qui ne l’auront pas reçûë. Cela n’est pas exact, il faut dire : Dieu exercera severement sa vengeance contre ces faux Chrêtiens ; nous ne devons pas douter que Dieu n’exerce plus rigoureusement sa colere contre ceux qui auront abusé de cette grace, que contre ceux qui ne l’auront pas reçûë. On ne dira pas non plus exercer une Critique, mais exercer sa Critique. Il y a des esprits chagrins qui exercent une cruelle Critique sur les meilleures actions ; il faut, qui exercent cruellement leur Critique sur les meilleurs actions.

L’Auteur des Remarques nouvelles dit dans la Preface de son second Volume, il exerce une impitoyable Critique sur d’autres Ouvrages & sur d’autres Ecrivains. Il devoit dire, il exerce impitoyablement sa Critique sur d’autres Ouvrages & sur d’autres Ecrivains.


Estre de mise.

C’est une façon de parler qui est plus à la mode que jamais ; on s’en sert dans la conversation, & même dans le haut stile. Un homme integre n’a pas souvent la force de resister aux reproches qu’on lui fait de vouloir cultiver un caractere qui n’est plus de mise dans le monde[7].


Estre obligé.

L’exemple fera entendre dequoy il s’agit : quand même nous ne donnerions pas pour indubitable la Critique que nous faisons, elle est obligée de l’être en qualité de Critique[8], dit un de mes Censeurs. Je dis que ces mots, elle est obligée, ne sont pas propres là, & qu’il falloit dire, elle doit l’être. Et voici là-dessus une remarque qui ne sera pas inutile ; c’est que, être obligé ne se peut dire des choses que lors qu’il marque une necessité Physique comme en ces exemples : Une balle poussée contre un corps dur est obligée de réflechir. Un poids balancé par un plus grand est obligé de monter : un corps est obligé de perdre autant de son mouvement qu’il en communique, &c.

Mais quand être obligé ne marque qu’un devoir moral, il ne se dit que des personnes & jamais des choses ; en sorte qu’on ne doit point dire, par exemple, que l’amitié est obligée d’être constante, quoy qu’on dise qu’un ami est obligé d’être constant ; on ne dira point non plus, que nos paroles sont obligées d’être sinceres, que la vertu est obligée d’être sans affectation. Il faut dire, on est obligé d’être sincere, la vertu doit être sans affectation. Nôtre Auteur s’explique donc mal quand il dit, que la Critique est obligée d’être incontestable, au lieu de dire, qu’elle doit être incontestable, ou bien qu’un Critique est obligé de ne rien avancer que d’incontestable.


Expressions qui ne se doivent pas prendre à la lettre.

Il y a des expressions qui seroient ridicules étant examinées à la rigueur, lesquelles ne laissent pas d’être tres-bonnes étant considerées par rapport à l’usage ; c’est à quoy un de nos Critiques n’a pas fait assez de réflexion, quand il censure ces exemples : « l’admiration de l’esprit est plus admirable que tout ce qu’il admire : & les desirs de l’homme sont quelque chose de plus noble que tout ce qu’il desire. Je voudrois bien sçavoir, dit-il, si lorsque quelqu’un admire & desire Dieu, son admiration est plus merveilleuse que ce qu’il admire, & son desir plus noble que ce qu’il desire. » Ce Censeur n’a pas pris garde qu’on dit tous les jours, qu’il n’est rien de plus estimable que le bon sens, de plus précieux que le tems, de plus cher que la santé, de si utile que le jugement ; que sont cependant toutes ces choses en comparaison de Dieu ?

Autre Exemple. Quoy qu’il soit vray que Dieu étant l’être Souverain, ne puisse rien ajoûter à sa grandeur ; on peut dire neanmoins que lors qu’il s’est abaissé si profondément pour sauver les hommes, il s’est relevé en quelque sorte au-dessus de lui-même ; nôtre Censeur ne trouve pas cela bien Catholique. « Que Dieu, dit-il, en qui la grandeur & la bonté sont également veritables, infinies & essentielles, se soit élevé en quelque sorte au-dessus de lui-même en s’abaissant pour sauver les hommes ; c’est ce que personne qui pensera juste & dans l’exacte verité, comme on doit penser sur cette matiere, ne dira jamais. » Mais il n’a pas pris garde que celuy qui trouve étrange qu’on dise, que Dieu s’est élevé en quelque sorte au-dessus de lui-même, en s’abaissant pour sauver les hommes ; doit trouver étrange aussi qu’on dise, qu’il s’est aneanti pour sauver les hommes, puis qu’il n’est non plus possible que Dieu devienne petit, qu’il est possible qu’il devienne plus grand. Cependant l’Ecriture ne dit-elle pas qu’il s’est aneanti, elle le dit même sans y ajoûter ni en quelque sorte, ni on peut dire. Ce qu’il faut donc remarquer ici, c’est qu’il y a une infinité d’expressions fort bonnes & fort en usage, qui ne se doivent point prendre cruëment & à toute rigueur. Je diray, par exemple, avec l’Ecriture, que Dieu oublie les pechez de ceux qui se repentent ; je diray qu’il se repent lui-même, selon la multitude de ses misericordes ; & si quelqu’un s’avisoit de répondre, que celui qui est impeccable & à qui tout est present, ne peut ni se repentir, ni oublier ; je ne crois pas qu’on dût beaucoup se mettre en peine d’une objection, qui feroit voir que celuy qui la proposeroit, n’auroit pas seulement les notions les plus communes.


Exemples,
Du choix qu’on en doit faire.

Je ne parle point ici de ces Exemples, qui se tirent des Livres, & qu’on est obligé de rapporter tels qu’on les trouve. Je parle de ceux qui se tirent de l’entretien ordinaire, & qu’il est libre de choisir à sa fantaisie ; & je dis que pour être bons, ils doivent être vrais & ordinaires, en sorte que quand on les cite, chacun les reconnoisse : Par exemple, quand l’Auteur des veritables Principes de la Langue Françoise, pour montrer qu’on se sert souvent de l’actif dans un sens passif, cite ces façons de parler ; un fruit bon à manger, du Tabac propre à mascher, les exemples sont bien choisis ; Mais quand l’Auteur des Remarques nouvelles, en nous donnant cette même observation comme si elle étoit de lui[9], quoy qu’elle n’en soit pas, cite pour exemples, un homme prest à marier, prest à pendre ; ces exemples sont mal choisis, car le premier n’est point vray, & l’autre n’est point ordinaire : on dit bien, une fille preste à marier, pour dire, preste à être mariée, & c’est l’exemple qu’il devoit prendre ; mais pour un homme prest à marier, cela est nouveau, & j’aimerois autant qu’on me dit, un homme nubile. L’autre exemple n’est point ordinaire, car enfin entend-t-on dire si souvent, un homme prest à pendre il faut bien manquer d’exemples pour en choisir de semblables. Il cite encore, de la viande qui ne vaut rien qu’à jetter, au lieu de tant d’autres qui paroissent beaucoup plus ordinaires & moins grossiers, comme seroient : une chose facile à faire, une chose facile à trouver, & mille autres qui se presentent d’eux-mêmes. J’ajoûte que les exemples ne doivent rien avoir de trop bas, quelques vrais & quelques ordinaires qu’ils soient d’ailleurs ; & c’est en quoy le même Auteur a un peu manqué de politesse, quand pour nous expliquer ce qu’on entend par le mot de dégoûtant, il nous apporte le bel exemple dont j’ay déja parlé dans ma Preface, car je suis bien aise de me dispenser de le rapporter une seconde fois ; les belles choses ne veulent pas être dites si souvent.

Je puis ajoûter encore, qu’il faut éviter de mettre ensemble certains exemples, dont l’un peut faire prendre quelquefois l’autre en mauvaise part : comme seroit, par exemple, Cordelier à la grand’manche, & chien au grand collier[10], que le Pere Bouhours rapporte de suite.


Equivoque.

Les équivoques dont il s’agit ici, sont un peu differentes de celles dont j’ay parlé dans mes premieres Réflexions. Exemple. Je l’ay trouvé allant aux Tuilleries. On ne sçait lequel alloit aux Tuilleries. Si c’est moy, il faut que je dise, m’en allant aux Tuilleries ; ou, comme j’allois aux Tuilleries ; si c’est lui, il faut dire, je l’ay trouvé s’en allant aux Tuilleries ; ou, comme il alloit aux Tuilleries.

« Il alla le 8me. jour dire la Messe à sainte Geneviéve, de laquelle il crut avoir reçû un grand secours en cet accident[11]. »

Sainte Geneviéve en cet exemple, signifie l’Eglise qui porte ce nom, & non la sainte sous l’Invocation de qui elle est. Ainsi il y a de l’équivoque à dire, qu’il fut dire la Messe à sainte Geneviéve, de laquelle il croyoit avoir reçû du secours. Qu’on l’examine tant qu’on voudra, cela n’est point correct.

Autre Exemple. J’examineray plusieurs negligences qui luy ont échappé[12], dit un de mes Critiques. Quand je lûs cet endroit, je crus d’abord que c’étoit des negligences où j’étois tombé, & je fus tout surpris de voir aprés que c’étoit des negligences que je n’avois pas remarquées dans les Auteurs que j’avois lûs. Il n’y a personne qui ne s’y trompât, & cet exemple est un des plus équivoques que j’aye encore vûs.

Un autre Critique trouve de l’équivoque dans cet exemple : Une femme qui mene à la Cour une mauvaise vie. Ne falloit-t-il point, me demande-t-il ? qui mene une mauvaise vie à la Cour. Voyons sur quoy est fondée cette belle difficulté ; c’est, dit-il, qu’en lisant tout de suite, une femme qui mene à la Cour, avant qu’on lise le reste, on entend naturellement que c’est quelqu’un que cette femme mene à la Cour ; & quand aprés cela, continuant de lire, on vient à trouver que c’est, une mauvaise vie, & non pas une personne que cette femme mene à la Cour, alors on reconnoît qu’on s’est trompé.

J’avouë que je ne comprens pas comment on s’y peut tromper, & s’il y a de l’équivoque dans cette Phrase, il faut dire qu’il y en a dans toutes les expressions du monde ; & pour me tenir à un exemple, si je disois, on se loüe fort à la Cour de la conduite d’un tel, il y auroit donc de l’équivoque ; car si le raisonnement de nôtre Puriste est bon, en lisant tout de suite, on se loüe fort à la Cour, avant qu’on lise le reste, on doit entendre naturellement, que c’est que l’on se vante beaucoup à la Cour ; & quand aprés cela continuant de lire, on vient à trouver que c’est d’un tel qu’on se loüe ; alors on doit reconnoître qu’on s’est trompé. Je pourrois rapporter mille autres exemples de cette nature, pour faire voir comme nôtre Censeur se connoît en netteté de stile.


Estre dans la bouche.

Cette Phrase s’employe souvent dans un sens figuré ; c’est un mot, dit-on, qui est dans la bouche de tout le monde, pour dire, que tout le monde dit, dont tout le monde se sert ; mais il est à remarquer que le mot de bouche, pris en ce sens là, a une certaine signification vague & confuse, qui ne souffre pas bien le rapport d’un pronom ; il me semble, par exemple, qu’on ne s’exprimeroit pas correctement, si aprés avoir dit qu’un mot est dans la bouche de tout le monde, on ajoûtoit qu’il est sur tout dans celle des femmes ; ce pronom, celle, ôteroit ce me semble, l’idée du sens figuré où la Phrase se prendroit, & donneroit en la place l’idée d’un sens propre où elle ne se prendroit pas.

L’Auteur des Remarq. nouv. dit en parlant de, il faut voir, il faut sçavoir, que cela a été quelque tems dans la bouche de tout le monde, sur tout dans celle des femmes, n’auroit-il point mieux fait de dire : dans la bouche de tout le monde, & sur tout des femmes ? Peut-être poussai-je trop loin ma delicatesse, mais je dis ce que je sens. Je ne désaprouverois pas cependant qu’on dist, ce mot sied fort bien dans la bouche d’un homme, & sur tout dans celle d’une femme. Des paroles qui sont indifferentes dans la bouche d’un Seculier, deviennent quelquefois criminelles dans celle d’un Religieux.

Je crois que ce qui est cause que ce pronom celle, ne choque point dans ces derniers exemples, c’est que le mot de bouche n’y est pas pris indéterminement & d’une maniere vague, comme dans le premier.

Enfin, il me semble que de dire qu’un mot a été quelque tems dans la bouche de tout le monde, & sur tout dans celle des femmes, est une Phrase qui ne choque pas moins, que de dire qu’il y a des défauts qui sautent aux yeux de tout le monde, & sur tout à ceux des femmes. Si le mot de ceux ne peut pas s’excuser dans cet exemple, pourquoy dans l’autre le mot de celle s’excusera-t-il davantage ?


Expressions contradictoires.

J’appelle expression contradictoire toute expression dont les termes se détruisent. Venons aux Exemples.

Je demande, dit un de mes Critiques, si ce n’est point se joüer du Public, que de le payer d’un il n’y a pas d’apparence, quand il faut apporter de bonnes raisons ; car qu’apprend-t-on par ce discours, qu’il n’y a pas d’apparence ? Mais quand il semble contre toute apparence, est-ce assez pour faire voir qu’il n’en est rien, de dire froidement qu’il n’y a pas d’apparence.

Je dis qu’il y a de la contradiction dans ces mots ; mais quand il semble contre toute apparence, parce que ce n’est que l’apparence qui fait que les choses semblent.

L’Auteur de cet Exemple trouve de la contradiction dans cette Phrase ci : « L’on suppose qu’on aura quelque jour le tems de penser à la mort, & sur cette fausse assûrance on prend toute sa vie le parti de n’y penser point. »

Il dit qu’il n’y eut jamais expression qui impliquât une contradiction plus manifeste : & la raison, dit-il, c’est qu’on ne sçauroit prendre parti sur une chose qu’en y songeant, & que prendre toute sa vie le parti de ne point songer à la mort, c’est y songer toute sa vie.

Examinons un peu ce raisonnement, prendre toute sa vie le parti de ne point penser à la mort, n’est-ce pas y songer toute sa vie, oüy ; mais ce n’est pas y songer pour s’y preparer, qui est la seule maniere de songer, dont il s’agit dans cet Exemple. Ainsi c’est là un sophisme des plus grossiers, que de s’appuyer sur un mot qui a deux sens, comme s’il n’en avoit qu’un ; c’est comme qui diroit : penser à la mort, est une chose salutaire. Or penser que la mort ne nous surprendra pas, c’est penser à la mort. Donc penser que la mort ne nous surprendra pas, c’est une chose salutaire. Si le raisonnement de nôtre Critique est bon, il faut que celui-là le soit ; & il faudra dire que prendre le parti de ne point payer ses dettes, c’est songer à les payer. Que prendre le parti de ne point penser à se corriger, c’est penser à se corriger. Je doute que nôtre homme s’accommodât fort de cette maniere de raisonner, & qu’ayant prié un amy de songer à quelque affaire, il crut luy être fort obligé, si cet amy prenoit le parti de n’y point songer du tout, sous pretexte qu’on ne peut prendre parti sur une chose qu’en y songeant.

On void bien, ajoûte ce subtile Logicien, que l’Auteur a voulu dire, qu’on prend le parti de ne songer à la mort de toute sa vie. Sans mentir, voila un Exemple bien corrigé, de dire que parce qu’on suppose qu’on aura un jour le tems de penser à la mort, on prend à cause de cela le parti de n’y penser en aucun tems. Le Critique a voulu dire lui-même, de n’y songer qu’à la fin de sa vie, & non pas de toute sa vie. Quand on veut se mesler de reformer, il faut du moins se donner de garde de tomber dans les fautes qu’on reprend. Non modo accusator sed nec objurgator quidem ferendus est is qui quod in altero vitium reprehendit, in eo ipse deprehenditur[13], dit un Ancien.

Autre Exemple.

« L’admiration de l’esprit est quelque chose de merveilleux. »

Cette expression paroît contradictoire à nôtre Critique ; parce, dit-il, que l’admiration ne venant que d’ignorance, qui est la chose du monde la plus naturelle à l’homme, on ne peut pas dire qu’elle soit merveilleuse. Ce raisonnement n’est pas tout à fait juste, & l’Auteur me pardonnera bien, si je luy dis qu’il ne prend pas garde que quand on dit que l’admiration de l’esprit est merveilleuse, il s’agit alors de l’action de l’esprit par laquelle il admire, & non de la cause qui le porte à admirer, car on sçait bien qu’il n’est pas merveilleux qu’il admire ce qu’il ignore ; mais ce qu’il y a de merveilleux, c’est l’action de l’ame par laquelle elle admire. Il n’est pas plus étonnant, par exemple, qu’un homme sente de la douleur quand on le picque, qu’il est étonnant qu’il admire ce qu’il ignore ; cette douleur cependant ne laisse pas d’être quelque chose de merveilleux, que les Philosophes ont bien de la peine à expliquer. Il n’est pas étonnant, non plus que l’on voye quand on ouvre les yeux, l’action cependant par laquelle on voit, & qui s’appelle vision, est quelque chose de bien merveilleux. Il en est de même de l’admiration : il n’est pas étonnant qu’on admire ce qu’on ignore ; mais l’action par laquelle nous admirons est une chose fort obscure, & dont nôtre Critique seroit peut-être bien empêché de donner la définition, ainsi il ne doit pas s’étonner qu’on l’appelle merveilleuse.


S’eslever de quelque chose.

Exemple. Comme nous n’avons aucun avantage que nous n’ayions reçû de Dieu, il ne faut s’élever de rien.

Sans la grace, l’homme n’est capable d’aucun bien, c’est une verité dont il est important que nous soyions persuadez, pour ne nous élever jamais des bonnes œuvres que nous faisons.

Cette maniere de parler est fort bonne aujourd’huy. Je sçay bien que l’Auteur des doutes sur la Langue Françoise, lequel decide plus qu’il ne propose, la désaprouve fort ; mais on doit considerer que ce Gentilhomme bas-Breton n’est pas infaillible.


Epuiser une remarque.

Le Faiseur de Remarques nouvelles sur la Langue, trouve extraordinaire que le Faiseur de Réflexions l’ait repris d’avoir dit épuiser une remarque ; & pour se tirer d’affaire, il a recours à une distinction scholastique qui ne me paroît pas luy être fort favorable : c’est que, dit-il, remarque, se prend dans cette phrase pour la matiere, ou pour la question que l’on traite, & que si c’est une bonne Phrase, épuiser une matiere, épuiser une question ; ce n’en est pas une fort mauvaise épuiser une remarque.

Si ce raisonnement est bon, il s’ensuit qu’on pourra dire : decider une remarque ; parce qu’on dit decider une question, qu’on pourra dire aussi épuiser un examen, parce qu’il n’y aura qu’à répondre que examen se prend pour la matiere qu’on examine. Voila où nous en serions si les subtilitez & les chicanes scholastiques étoient une fois admises dans le langage ; mais que diroit nôtre Grammairien, si quelqu’un disoit qu’on peut parvenir à épuiser une observation, comme il a dit qu’on pouvoit parvenir à épuiser une remarque ? Pourquoy fera-t-il plus de grace à remarque qu’à observation ?


Eternel, eternellement.

Ces mots sont fort à la mode : les hypocrites parlent de Dieu avec un fort grand respect, dit un Auteur nouveau ; ils font des éloges éternels de la Vertu & de la Sainteté.

Les personnes qu’on nourrit dans une trop grande contrainte, sont éternellement attentives à épier les momens de s’en délivrer.

Voila la destinée de la plûpart des hommes, il faut souffrir dans la vie d’éternels ennuys pour quelques bons quart-d’heures.


  1. Vaug. Quint.
  2. Vaug. Quint.
  3. Vaug. Quint.
  4. Vaug. Quint.
  5. Vaug. Quint.
  6. P. 38.
  7. Serm. du P. Cheminais sur le choix des amis
  8. P. 67.
  9. Suite des Remarques sur la Lang. Franç.
  10. Suite des Remarques sur la Lang. Franç.
  11. Vie du P. Cotton, Liv. 2.
  12. Suite des Remarques sur la Lang. Franç.
  13. Cic. orat. 8. in Verr. Lib. 3.