Ronsard - Œuvres, Buon, 1587/Lyre dorre, où Phebus

Œuvres de P. de Ronsard, Texte établi par Jean Galland, Claude Binet et al., BuonTome 2 (p. 106-108).
A SA LYRE.


ODE XXII.



LYre dorée où Phœbus ſeulement
Et les neuf Sœurs ont part egalement,
Le ſeul confort qui mes triſteſſes tue,
Que la danſe oit, & toute s’eſuertue,
De t’obeyr & meſurer ſes pas
Sous tes fredons accordez par compas,
Lors qu’en ſonnant tu marques la cadance
De l’auant-ieu, le guide de la danſe.
Le traict flambant de Iupiter s’eſteint
Sous ta chanſon ſi ta chanſon l’atteint :
Et au caquet de tes cordes bien iointes
Son Aigle dort ſur ſa foudre à trois pointes
Abaiſſant l’aile : adonc tu vas charmant
Ses yeux aigus, & luy en les fermant
Son doz heriſſe & ſes plumes repouſſe

Flatté du ſon de ta corde ſi douce.
Celuy ne vit le cher-mignon des Dieux,
A qui deſplaiſt ton chant melodieux,
Heureuſe Lyre honneur de mon enfance :
Ie te ſonnay deuant tous en la France
De peu à peu : car quand premierement
Ie te trouuay tu ſonnois durement,
Tu n’auois fuſt ny cordes qui valuſſent,
Ne qui reſpondre aux loix de mon doit peuſſent.
Moiſi du temps ton bois ne ſonnoit point,
Lors i’eu pitié de te voir mal-en-point,
Toy qui iadis des grands Rois les viandes
Faiſois trouuer plus douces & friandes.
Pour te monter de cordes & d’vn fuſt,
Voire d’vn ſon qui naturel te fuſt,
Ie pillay Thebe, & ſaccageay la Pouille,
T’enrichiſſant de leur belle deſpouille.
Lors par la France auec toy ie chantay,
Et ieune d’ans ſus le Loir inuentay
De marier aux cordes les victoires,
Et des grans Rois les honneurs & les gloires.
Iamais celuy que les belles chanſons
Paiſſent rauy de l’accord de tes ſons,
Ne ſe doit voir en eſtime pour eſtre
Ou à l’eſcrime ou à la luitte adeſtre :
Ny marinier fortuneux ne ſera,
Ny grand guerrier iamais n’abaiſſera
Par le harnois l’ambition des Princes,
Portat veinqueur la foudre en leurs prouinces.
Mais ma Gaſtine, & le haut crin des bois
Qui vont bornant mon fleuue Vandomois,
Le Dieu bouquin qui la Neufaune entourne,

Et le ſaint chœur qui en Braye ſeiourne,
Le feront tel, que par tout l’Vniuers
Se cognoiſtra renommé par ſes vers,
Tant il aura de graces en ſon pouce,
Et de fredons fils de ſa Lyre douce.
Deſia mon Luth ton loyer tu reçois,
Et ia deſia la race des François
Me veut nombrer entre ceux qu’elle louë,
Et pour ſon Chantre heureuſement m’auouë.
O Calliope, ô Cleion, ô les Sœurs
Qui de ma Muſe animez les douceurs,
Ie vous ſaluë, & reſaluë encore,
Par qui mon Prince & mon pays i’honore.
Par toy ie plais, & par toy ie ſuis leu :
C’eſt toy qui fais que Ronſard ſoit eſleu
Harpeur François, & quand on le rencontre,
Qu’auec le doit par la ruë on le monſtre.
Si ie plais donc ſi ie ſçay contenter,
Si mon renom la France veut chanter,
Si de mon front les eſtoiles ie paſſe,
Certes mon Luth cela vient de ta grace.