Ronsard - Œuvres, Buon, 1587/Lors que la tourbe errante. Prophetie de la Charante

PROPHETIE DV DIEV
de la Charante.


ODE VI.



LOrs que la tourbe errante
S’arma contre ſon Roy,
Le Dieu de la Charante,
Faſché d’vn tel deſroy,
Arreſta ſon flot coy :
Puis d’vne bouche ouuerte

A ce peuple ſans loy
Prophetiſa ſa perte.
Ia deſia te deſſerte
Te ſuit peuple mutin,
Qui ma riue deſerte
Saccages pour butin :
Mais le cruel Deſtin
Que ton orgueil n’arreſte,
Viendra quelque matin
Te foudroyer la teſte.
Oy de Mars la tempeſte
D’eſcailles reueſtu,
Et Henry qui appreſte
Contre toy ſa vertu.
Dy-moy qu’eſperes-tu
De ta vaine aſſeurance,
Qui dois eſtre abbatu
Par le ſoldat de France ?
L’impudente eſperance
De ton ſot appareil
Perira par l’outrance
D’vn grand Roy ſans pareil :
Ton ſang fera vermeil
Mon flot ores eſclaue,
Et tout verd eſmail
De ces prez que ie laue.
Voici le ſeigneur braue
De Guyſe qui te ſuit,
Et ia ſon los engraue
Sus ton dos qui s’enfuit,
Prince ſur tous inſtruit
Aux dangereux vacarmes,

Ou ſoit lors qu’il deſtruit
Les troupes de gendarmes :
Ou quand par les allarmes
De ſa pique l’effort
Fait bien quitter les armes
Au pieton le plus fort.
Ne vois-tu le renfort
Que Bouniuet ameine,
Prompt à haſter ta mort
D’vne playe ſoudaine ?
Comme la nuë pleine
D’orage iniurieux
Perd du bouuier la peine
Qui prie en vain les Dieux,
Le ſoldat furieux
Qui ia deſia t’enſerre,
Ton chef ſi glorieux
Perdra d’vn grand tonnerre.
Le Comte de Sanſerre
Et le Seigneur d’Iliers
Te porteront par terre
Indontez Cheualiers :
Parmi tant de miliers
Tu dois Iarnac cognoiſtre,
Que les Dieux familiers
Sous bon Aſtre ont fait naiſtre.
Comme l’ayant fait eſtre
De ſon haineux veinqueur,
Et de ſoy-meſme maiſtre
Commandant à ſon cœur :
Toy peuple ſans vigueur
Les craindras en la ſorte

Qu’vn Loup craint la rigueur
Du Lion qui l’emporte.
A la fin la main forte
Du grand Montmorenci
Rendra ta gloire morte,
Et ta malice außi :
Le Ciel le veut ainſi,
Qui ma bouche a contrainte
Prophetiſer ceci
Pour t’auancer la crainte.