Réflexions sur l’usage présent de la langue française/G

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G

Galant.


Cest un galant homme, marque un homme d’esprit, un homme enjoüé, agréable. Mais, homme galant, marque un homme qui a de certaines passions qu’il ne devroit point avoir.


Galimatias.

Ce mot marque un embarras de paroles, une confusion de mots qui ne signifient rien. C’est un terme qui ne s’employe que dans les conversations, & dans le stile familier ; comme : « la moins mauvaise des Traductions de du Ryer, est celle des Œuvres de Cicéron, quoy qu’il y ait passé plusieurs endroits qu’il n’a point entendus ; & que pour se tirer d’affaire, il y ait mis à la place de petits galimatias, propres à ébloüir, & à embarasser les jeunes gens[1]. » On dit ordinairement d’un Ouvrage où il n’y a qu’une vaine pompe de mots sans suite & sans jugement, que c’est un Galimatias. C’est un pur Galimatias que ce Livre-là.


Genre douteux.

Exemple : Que ton corps & ta teste sont belles ; Que ton corps & ta teste sont beaux. Il faut dire sont belles, & c’est comme parle le Traducteur de Phédre dans la Fable du Corbeau. On dit de même, les pieds & la teste nuë, & non nuds ; quoyque la Grammaire veüille qu’on fasse rapporter l’adjectif au genre le plus noble, comme nous le faisons en plusieurs expressions de nostre Langue.

Mais il y a une autre difficulté dans le genre ; on demande, par exemple, si on peut justifier cette phrase-cy dont se sert un bon Autheur ; il parle de la conformité que doivent avoir les paroles avec les choses, & il dit : Lors que cette conformité est extraordinairement parfaite, le discours l’est extraordinairement[2] ; car comme dans le premier membre le mot parfaite est féminin, on ne sçait s’il se peut sous-entendre dans l’autre pour un adjectif masculin, & s’il ne falloit point dire : Lors que cette conformité est extraordinairement parfaite, le discours est extraordinairement parfait ; je crois pour moy qu’il eust esté mieux de le dire. Il semble que la mesme difficulté se rencontre en ces autres façons de parler : Cet homme est aussi bon que sa femme, cette femme n’est pas si avaritieuse que son mary ; quand la femme est ménagere, l’homme ne l’est pas toûjours. J’ay veu là-dessus de tres-habiles gens, qui sont assez embarassez sur ce qu’ils doivent répondre ; car ces exemples-cy ne sont pas tout à fait de la nature du premier que j’ay apporté, il semble que l’usage les ait en quelque façon autorisez, quelque irrégularité qui s’y trouve. En voicy encore un autre d’un certain Autheur, qui paroist favoriser ce que je dis[3] : « Zacharie estonné de cette prédiction, demanda à l’Ange comment il s’en pouvoit asseurer, estant si vieux & sa femme aussi. » Il y a néanmoins des personnes qui croyent que pour une plus grande exactitude, il faut repeter l’adjectif féminin, & c’est sans doute ce qui a fait dire à Mademoiselle de Scudery ; l’on vit arriver Télamon aussi négligé, que Melisse estoit négligée[4].


Gens.

Ce mot ne se met jamais avec un nombre déterminé, on ne dit point dix gens, douze gens ; mais on dira bien dix de ses gens, douze de ses gens, car c’est comme si l’on disoit dix personnes, dix hommes de ses gens ; on dit aussi, vous y trouverez mille gens, car mille en cette façon de parler se prend indéterminément. J’ay dit que gens ne se met jamais avec un nombre déterminé, cela s’entend s’il n’y a point d’adjectif entre le nombre & le nom, car alors on ne suit pas la regle, & l’on dit fort bien, dix jeunes gens ; je ne sçay pourtant si ce ne seroit point par une opinion contraire que l’Auteur de l’Art de Penser a dit. L’experience fait voir que de mille jeunes hommes qui apprennent la Logique, il n’y en a pas dix qui en sçache quelque chose[5]. Il faut remarquer encore que ce mot, de gens, est masculin devant son adjectif, & féminin aprés. Ce sont de fines gens, ce sont des gens fins ; & quand il est entre deux adjectifs, il est féminin à l’égard de celuy qui le précéde, & masculin à l’égard de celuy qui le suit, comme : ce sont les meilleures gens que j’aye jamais veus, & non, veües. Il n’y a que, tout, qui se mette au masculin devant ce mot, comme : tous les gens de bien, & non, toutes.


Giste, logis, hostellerie.

On ne se sert plus gueres de ce mot, quoy qu’on le lise dans quelques Auteurs.

« Jesus-Christ ayant entendu ses Disciples disputer fortuitement entr’eux pendant le chemin, il voulut en sçavoir le sujet quand ils furent arrivez au giste[6]. » « On pense en lisant l’histoire de Xénophon faire un voyage ou l’on compte tous les gistes & toutes les hostelleries[7]. »

Ces exemples sont bons à remarquer, mais non pas à suivre.


Goguenard.

Goguenard ne se dit que dans le style bas & familier ; ce n’est pas un nom fort honorable : On dit ordinairement d’un homme qui se méle de railler sur tout, & de faire des pointes à tout propos sans beaucoup d’esprit, que c’est un goguenard ; & il y a apparence que M. Ménage n’a pas prétendu loüer le Pere Bouhours, quand il a dit de luy dans son Avis au Lecteur[8], nostre Réverend Pere goguenard, qui ne cherche qu’à faire rire ses Lecteurs.


Grand homme, Heros.

Le Héros n’est que d’un seul mestier qui est celuy de la guerre ; le grand homme n’a point de profession déterminée, il est ou de la Robe, ou de l’épée, ou du cabinet, ou de la Cour. Héros marque du courage, de la valeur, de la fermete dans les périls, de l’intrepidité. Grand homme marque un grand sens, une vaste prevoyance, une haute capacité, & une longue experience. Alexandre, par exemple, estoit un Héros, César un grand homme, & Loüis le Grand est l’un & l’autre.


Grand homme, homme grand.

En parlant d’un homme de haute taille, je m’exprimerois mal, si je disois, c’est un grand homme, il faut dire, c’est un homme grand. Mais si je louë son mérite, je dois dire, c’est un grand homme. C’est ce qui a fait dire à M. d’Ablancourt qu’un Acteur, marchant sur le bout des pieds pour réprésenter le grand Agamemnon, on luy cria qu’il le faisoit un homme grand, & non pas un grand homme[9].


Grand’Messe, grande Messe.

On dit grand’Messe, & non, grande Messe : c’est grand’pitié, & non, c’est grande pitié. La grand’Chartreuse, & non, la grande Chartreuse. Conseiller en la grand’Chambre, & non, en la grande Chambre, grand’chere, & non, grande chere. Nous en avons plusieurs exemples dans nos bons Auteurs.

C’est grand’pitié que cette sotte phrase ait tant de cours dans le petit peuple, dit le Pere Bouhours en parlant de la phrase, de demander excuse[10].

« Leur ayant fait grand’chére, la nuit comme ils furent endormis ils leur couperent la gorge[11]. »

Mais pour marquer que grand’ est là, au lieu de grande, & qu’on retranche l’E, il faut mettre une petite apostrophe au dessus du D. qui finit le mot, comme aux exemples précedens.


Grandissime, tres-grand.

M. d’Ablancourt s’est servy de ce mot. Nous voyons bien, dit-il, que dans la Gaule de César, il y avoit un grandissime nombre de Villes. Ce terme peut entrer dans un discours tout simple, mais si le discours est un peu relevé, ce seroit une faute de parler ainsi. Il en faut dire le mesme de habilissime, richissime, excepté de illustrissime, réverendissime, éminentissime, qui sont des titres d’honneur.


Gratis, gratuitement.

Gratis est un mot Latin que l’usage a francisé, il ne se dit que dans le discours familier ; gratuitement est plus noble, & mesme plus selon l’usage.


Grieveté, enormité.

Quelques-uns ont condamné ce mot, mais à tort ; on dit fort bien, la grieveté d’un crime ; on dit aussi, griévement malade.


Grillet, grelot.

Dans quelques Provinces, on dit un grillet, des grillets : mais il faut dire un grelot, des grelots.


Gros.

Gros Seigneur, grosse dépense, grosse chere, grosse querelle, &c. sont de vieux mots qu’on a fait revivre comme plusieurs autres encore ; car il faut plûtost enrichir la Langue que l’appauvrir ; on ne doit pourtant pas affecter ces sortes de termes, parce que l’affectation déplaist toûjours. On dit encore joüer gros jeu ; coucher gros, je suis gros de dire ce que je pense, &c.

Grosse femme, femme grosse.

Grosse femme, c’est une femme d’une grosse Taille ; femme grosse, c’est une femme enceinte.


  1. Jugement des Sçav.
  2. Art de Parler.
  3. Vie de J. C. par M. l’Abbé de S. Real.
  4. Entr. sur la Paresse.
  5. Art de penser, premier discours.
  6. Vie de Jesus-Ch. par l’Abbé de S. Réal.
  7. Retraite des dix mille par M. d’Ablancourt.
  8. Observations sur la Langue Françoise.
  9. Traduction des Apophtegm. des Anciens.
  10. Remarques sur la Langue Françoise.
  11. Vaug. Quint. curse.