Réflexions sur l’usage présent de la langue française/H

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H

Hanter, frequenter.


Ce mot se dit plûtost dans le stile simple que dans le stile relevé, hanter les compagnies. Personne n’osoit plus hanter des miserables, qu’on croyoit devoir estre brûlez au premier jour[1].


Have.

Have est un terme fort énergique. « Il devint si chagrin, si have, & si défiguré, qu’il ne ressembloit plus à un excellent portrait que j’avois de luy[2]. »


Hauteur, elevation.

Hauteur ne se dit pas bien pour élevation, quand il s’agit de fortune ou d’esprit : Et ce mot dans le figuré signifie ordinairement fierté & orgueil. Je dis ordinairement, parce qu’il y a des occasions où il s’employe élégamment pour exagerer la difficulté d’une chose, comme :

C’est en vain qu’au Parnasse un téméraire Auteur
Prétend de l’Art des Vers atteindre la hauteur[3].


Estre en hazard, estre au hazard.

Estre au hazard, demande quelques mots aprés, comme : estre au hazard de perdre la vie. Estre en hazard n’en exige point, c’est un terme absolu ; comme : la vie d’un corps frappé de peste est moins en hazard, que celle d’une ame malade & endurcie dans le peché[4].


Hors, Hormis.

Il y a des personnes fort éclairées, qui ne se servent de hormis que lors qu’il peut y avoir de l’équivoque en mettant hors ; Exemple : Tous partirent pour Rome, hors Ignace[5]. On les appella en peu de temps de tous les païs Catholiques, hormis de la France : Car hors de la France, feroit une équivoque considerable. Cependant, hormis est aussi bon que hors. Aussi M. Fléchier, & plusieurs autres bons Auteurs, ne font pas difficulté de s’en servir : Il renonçoit à tous ses plaisirs hormis à celuy qu’il recevoit en accomplissant ses devoirs[6].


Humainement.

On ne considere pas assez la signification de ce terme ; qui dit humainement, dit faussement, injustement, déraisonnablement : cependant par un petit abus, on se sert aujourd’huy de ce mot pour couvrir le vice, en le réprésentant sinon comme une chose loüable, au moins comme une chose conforme à la raison, telle qu’elle est dans le commun du monde. On voit mesme des personnes qui font profession de renoncer au langage corrompu du siecle, & qui parlent néanmoins de cette sorte ; humainement parlant, disent-elles, c’est un grand avantage d’estre riche. Il a un Benefice de vingt mille livres de rente, ainsi il est fort heureux humainement parlant. Et cependant sous ce terme d’humainement, on se cache ce que les choses ont de faux & de trompeur, pour n’y voir que ce qu’elles ont de conforme à la cupidité ; de sorte qu’il se trouve que l’usage de ce mot, qui ne seroit bon que pour condamner le mal, sert en quelque sorte à l’excuser. « Il y a grand sujet de craindre, dit à ce propos un Auteur célébre[7], qu’il n’y ait une illusion secrete dans ces sortes de discours, & qu’ils ne naissent d’une adresse d’amour propre, qui ne pouvant étouffer entierement la lumiere de la verite, & de la religion, qui condamne ces sentimens que nous appelons humains, est bien aise de s’y appliquer par ce détour. »


Hypercritique.

Ce mot se dit quelquefois dans le stile familier. Et M. Ménage s’en est servy assez à propos : voilà le critique, voilà l’hypercritique qui juge souverainement de tous les ouvrages[8]. Quelques-uns néanmoins trouvent ce terme un peu pédantesque.


  1. Vie de S. Ignace.
  2. Morale du monde ; entretien sur la jalousie.
  3. Satyres de M. Dépreaux.
  4. Morale du Sage.
  5. Vie de S. Ignace.
  6. Oraison Funébre de M. de la Moignon, par M. Fléchier.
  7. Essais de morale.
  8. Observations sur la Langue Françoise.