Réflexions sur l’usage présent de la langue française/F

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F

Fadeur.



Ce mot est tout-à-fait bon ; il y en a qui disent insipidité, mais fadeur est plus beau. « Une certaine maniere basse de plaisanter, dit un Auteur moderne, a passé du peuple jusques dans une grande partie de la jeunesse de la Cour, qu’elle a déja infecté ; il est vray qu’il y entre trop de fadeur & de grossiereté pour devoir craindre qu’elle s’estende plus loin[1]. »


Faire galanterie.

Cette maniére de parler plaist à plusieurs personnes. Mademoiselle de Scudery s’en sert souvent. « La plûpart des femmes qui ont le malheur de s’engager à faire galanterie ne s’y engageroient point, si elles n’esperoient pas qu’on n’en sçaura jamais rien[2]. » Mais il y a bien des gens qui condamnent ce terme ; parce qu’il dit plus qu’on n’en devroit entendre, & ne donne pas horreur du vice qu’il couvre ; & qu’il déguise malicieusement : il n’est que trop d’usage, aussi bien que son sujét trop fréquent parmy les gens du monde ; qui sont bien aises de nommer les choses, comme il leur paroist avantageux de les feindre.


Faits d’armes.

Ce mot ne se dit guéres qu’en y joignant l’Epithete de Beaux. Comme : il estoit charmé de leurs beaux faits d’armes[3]. Il ne se dit point au singulier.


Fasciner l’esprit.

Cette expression est quelquefois élégante, pourveu qu’on la sçache placer ; exemple, si ce sentiment n’estoit appuyé que sur l’opinion des hommes, on pourroit le regarder comme une erreur qui a fasciné tous les esprits[4]. Je dis le mesme de fascination.


Fastidieux.

Si ce mot vient en usage à la bonne heure ; mais je ne conseillerois pas à personne de s’en servir avant cela, il paroist trop Etranger & trop Romain. Il est beau pourtant & a quelque chose de pompeux : c’est peut-estre ce qui a porté un Auteur moderne à s’en servir[5] : rien n’est moins selon Dieu & selon le monde que d’appuyer tout ce que l’on dit dans la conversation par de longs & de fastidieux sermens. Mais n’eust-il point mieux fait de mettre : par de longs & d’ennuyeux sermens. Je sçay bien que ceux qui hazardent ces sortes de mots, le font pour enrichir la Langue, mais on leur seroit plus obligé s’ils nous en donnoient, afin d’exprimer des choses dont les termes nous manquent ; & c’est à quoy on devroit s’attacher, plûtost qu’à nous donner des Synonimes, autrement c’est songer à avoir le superflu avant que d’avoir le necessaire.


Fatuité.

C’est un terme qui se dit avec assez de grace, & de tres-habiles Ecrivains s’en servent ; ce sont là les fatuitez des Grands[6].


Fertiliser, rendre fertile.

C’est un tres-bon mot, & qui est mesme du bel usage. Les eaux du Nil débordent quelquefois[7], & vont fertiliser les Campagnes. Les fleuves sortent de leur source pour fertiliser la terre[8].


Femme poete, femme philosophe.

Il faut dire, cette femme est Poëte, est Philosophe, est Medecin, est Auteur, est Peintre ; & non Poëtesse, Philosophesse, Medecine, Autrice, Peintresse, &c. On doit en cela déferer à l’usage qui donne la terminaison feminine à certains mots pour le genre féminin, & qui ne la donne pas à d’autres. Ainsi on dit bien qu’une femme a esté Conseillere d’une telle action, mais non pas Jugesse d’un tel procés ; qu’elle a esté mon Avocate, mais non pas qu’elle a esté mon Oratrice. On dit bien la Galere Capitainesse, mais on n’appelle pas une femme Capitainesse, quoy qu’elle soit femme d’un Capitaine ou qu’elle conduise des Troupes. Il y a pourtant des mots que l’usage de nostre Langue n’a pas encore bien arresté là-dessus ; en ce cas là il faut suivre la regle que donne M. de Balzac, qui est de prendre conseil de l’oreille, de choisir ce qui la choque le moins, & qui est le plus doux à la prononciation ; « par exemple, dit-il, je diray plûtost que Mademoiselle de Gournay est Rhétoricienne que Rhétoricien ; & la Traductrice de Virgile, que le Traducteur[9]. » Le Latin s’accorde en cecy avec le François, se servant souvent de la mesme terminaison, tant pour le féminin que pour le masculin ; on trouve, par exemple dans le premier de l’Eneide, dux fæmina facti, & ailleurs Junon dit de soy-mesme, autor ego audendi. Dans plusieurs Auteurs : fæmina judex, mulier défensor, mulier persuasor. Les Grecs parlent aussi de la mesme sorte ; ce qui fait voir que ce n’est pas une incongruité de dire d’une femme, qu’elle est Auteur ou Poëte, & que l’usage n’a autorisé en cela, qu’une maniere de parler assez commune aux autres Langues ; ce n’est que dans le declin de l’Empire que le Latin a changé à cét egard, & que quelques-uns se sont servis de clienta pour cliens, en parlant d’une femme ; & quelques autres, comme Tertullien, d’Autrix pour Autor. Ces changemens de terminaison dans les genres se trouvent encore en plusieurs endroits des Novelles de Justinien ; ce qui n’est pas à imiter quand on veut parler purement.


Feu, feüe.

On dit feu au masculin, & feüe au feminin. La feüe Reyne ; je ne m’arreste point icy à toutes les Etimologie de ce mot : M. Ménage s’y est assez étendu, il me suffit que l’usage de tous les honnestes gens confirme ce que je dis.


Fondement, fondation.

Il y a des gens qui disent les fondations d’un bâtiment pour dire, les fondemens ; mais c’est mal parler. Fondation a un sens bien different : c’est proprement le jét des fondemens, & non les fondemens mesmes. C’est en ce sens qu’on dit, la fondation du Temple de Jérusalem : la fondation de Troyes, de Rome, comme : on conte quatre cens soixante & dix-neuf ans depuis la sortie d’Egypte jusqu’à la fondation du Temple : ainsi fondation est une action qui passe, & fondement une chose qui demeure. Fondation se dit aussi de ces rentes annuelles qu’on assigne pour l’entretien de quelque chose, par exemple, pour faire dire des Messes à certains jours de l’annee, & en ce sens fondation est regardé comme une chose permanente. On dit tous les mois dans cette Eglise une Messe pour luy, c’est une fondation. On doit conserver inviolablement les fondations, &c.


Fortuitement.

Quelques personnes préférent par hazard : mais c’est par un vain scrupule ; fortuitement est aussi bon, & quelquefois mesme beaucoup meilleur : & je doute qu’on pust reprendre raisonnablement un Auteur tres poly d’avoir dit : ils monterent sur des chameaux qui se trouverent fortuitement dans la Ville.


Foudre.

Ce mot est ordinairement féminin, la foudre. Le Pere Bouhours prétend qu’on ne dit un foudre que dans le figuré, un foudre de guerre ; mais je ne vois pas ce qu’on pourroit trouver à redire à ces phrases-cy. Quand le sublime vient à paroistre, il renverse tout comme un foudre[10]. Monsieur de Turenne ravage, comme un foudre, tous les bords du Rhin[11]. Ce qu’il y a à remarquer là-dessus, est que ce mot est toûjours masculin, quand on y joint l’article un. Hors cela il est toûjours féminin ; l’éclat de la fortune des méchans, ressemble à l’éclair que precede la foudre[12], je me souviens néanmoins d’avoir leû le foudre, dans les pensées de Paschal : « Si le foudre tomboit sur les lieux bas, les Poëtes, & ceux qui ne sçavent raisonner que sur les choses de cette nature, manqueroient de preuves. »


Fourbe, fourberie.

Plusieurs personnes se servent de ces deux mots indifferemment, & nous en avons des exemples dans nos bons Autheurs : « Celuy qui est accoustumé au mensonge découvrira bien-tost sa fourberie[13]. » « Les biens qu’on acquiert par le mensonge, & par la fourbe, ne méritent point ce nom. »

M. de Voiture néanmoins écrivant à M. Costar sur ces deux mots, luy mande qu’ils se disent avec quelque diversité de significations ; & en effét fourberie ne se dit-il point de la mauvaise foy en général, & fourbe de l’action de mauvaise foy en particulier ? comme : c’est une fourbe que cela, & non, c’est une fourberie. La fourberie est un grand vice, & non la fourbe. Enfin fourberie, ne marqueroit-il point le vice, & fourbe l’action du vice ? C’est ce que nous laissons à juger.


Frais, fraischement.

Frais se dit aussi bien dans le figuré que dans le propre ; de fraische date, des troupes fraisches, des nouvelles toutes fraisches ; mais on ne sçauroit en tous ces exemples se servir de fraischeur ; on ne dira point, la fraischeur de cette nouvelle : fraischement se dit aussi dans le figuré & dans le propre ; on dira par exemple, dans le propre, qu’il faut se loger fraischement en Esté : Et dans le figuré, on dira fort bien d’un homme qui est logé depuis peu dans un endroit, qu’il y est logé tout fraischement ; il est bon d’ajouter ce petit mot, tout, parce qu’autrement il y auroit de l’equivoque.


Fronde, fonde.

On prononce fronde ; il n’y a pas cent ans qu’on écrivoit & qu’on prononçoit fonde : Ce changement de prononciation pourroit bien estre venu du bruit qu’on fait en tournant la fronde ; car nous avons plusieurs mots qui sont faits à l’imitation du son. Il ne peut guéres y avoir d’autre raison de cette R, que nous y avons ajoûtée.


Frugal, frugaux.

Frugal n’a point de plurier au masculin ; on ne dit point, ce sont des gens fort frugaux ; ny ce sont des gens fort frugals : il faut tourner la phrase par le féminin, & dire, par exemple, Ce sont des personnes fort frugales.


Fumée.

Fumée, se met ordinairement sans plurier dans le propre ; on ne dit point les fumées des cheminées ; mais, la fumée des cheminées : dans le figuré au contraire, on met fumées au plurier, les fumées qui montent au cerveau ; le vin envoye des fumées ; les fumées du vin. On dit aussi des emportemens d’un homme, dont la colere ne dure gueres, que ce sont des fumées qui passent vîte.


Futile.

Ce terme n’est pas d’usage, & je suis surpris qu’un habile Ecrivain ait dit : Toute la littérature Grecque estoit futile & impertinente en comparaison de celle des Egyptiens.


  1. Mœurs de ce siecle.
  2. Entretien sur l’esperance.
  3. Vie de S. Ignace.
  4. M. Mascaron Oraison Funébre de feu M. de Turenne.
  5. Mœurs de ce siecle.
  6. Essays de Morale.
  7. Discours sur l’Hist. universel.
  8. Morale du Sage.
  9. Lettres de Bal.
  10. Traduct. de Longin.
  11. M. Masc. Oraison Funebre de M. Turenne.
  12. Morale du Sage.
  13. Morale du Sage.